G
.-J. Arnaud, incontestablement le plus prolifique
des auteurs français n'a jamais cessé d'écrire. A dix ans déjà, il
noircissait des pages (à la façon d'Alphonse Daudet)
et dévorait des livres et revues populaires dont le grenier était plein à
craquer. Cela ressemble à une classique image d'Epinal, mais elle est
réelle.
Ses débuts professionnels sont
plus originaux. Sa femme envoie un de ses manuscrits au Prix du Quai des
Orfèvres, qu'il obtient en 1952... alors qu'il effectuait son service
militaire. Malheureusement, son vrai nom est déjà utilisé comme pseudonyme
par l'auteur du Salaire de la peur et les éditions Hachette lui
demandent d'adopter à son tour un pseudonyme. Celui-ci sera
Saint-Gilles, son lieu de naissance (St Gilles du
Gard). Une autre raison, soufflée par l'éditeur, veut qu'il s'agisse d'un
discret hommage à l'un des membres du jury, auteur des aventures du
commissaire Gilles. Ce sera donc le brigadier Georges Arnaud
Saint-Gilles qui recevra le prix. Le même pseudonyme servira
pour une vingtaine de
romans.
Georges
Arnaud a toujours vécu comme une usurpation le fait que son
patronyme soit déjà utilisé et qu'il lui soit interdit de publier sous son
vrai nom. Un malaise qu'on retrouve dans son oeuvre : la double
personnalité ou le problème d'identité apparaît dans nombre de ses livres
(Tel Un Fantôme, Les Imposteurs). La difficulté
sera contournée au Fleuve par l'emploi des initiales de ses deux premiers
prénoms (Georges Jean, le troisième étant Camille). C'est sous ce nom que
paraîtra l'essentiel de son oeuvre. Ce qui lui vaudra une ultime
mésaventure à la mort de l'usurpateur, Antenne 2 diffusant à cette
occasion la dernière interview de... G.-J.
Arnaud !
Mais
G.-J. Arnaud a utilisé bien d'autres pseudonymes dans
les genres les plus divers : Gil Darcy (les
aventures de Luc Ferran), Georges Muray (polar et
espionnage), Serge Sovac (espionnage), David
Kyne (guerre), Georges Ramos, Ugo
Solenza, Frédéric Mado, Gino
Arnoldi, Pierre Rabeau, Laude de
Sevetan, Lilas Marny, Osman
Walter (érotique parfois mâtinés de
fantastique).
Après un passage à
l'Arabesque durant les années 50, G.-J. Arnaud entra
au Fleuve Noir, non pas pour signer des romans policiers (le plein
d'auteurs était fait) mais pour écrire de grands romans d'aventures
teintés de romantisme. Le premier paraît en 1959. L'entrée dans la
collection « Spécial Police » se fait l'année
suivante.
On connaît tous la carrière
exceptionnelle de G.-J. Arnaud, principalement au
Fleuve Noir. Le Commander, héros de récits d'espionnage, est au départ un
personnage stéréotypé (comme l'était ce genre populaire) jusqu'à ce que
l'auteur réalise qu'il peut s'en servir comme d'un outil pour dénoncer les
maux de notre société. L'actualité politique, économique, mondiale est
ainsi traitée par ce biais. Ces intrigues demandent à G.-J.
Arnaud davantage de travail en raison de l'importante
documentation qu'il est nécessaire
d'accumuler.
Ses romans policiers, quant
à eux, se déroulent le plus souvent en France, et s'intéressent à la vie
des gens simples ainsi qu'aux magouilles des sociétés. L'énorme qualité de
G.-J. Arnaud est de mettre en scène des personnages
qui nous paraissent familiers, de nous livrer une image fidèle de la
société, où, sous l'apparente tranquillité d'un quotidien banal,
s'ourdissent des complots qui dépassent le citoyen ordinaire. Le complot,
la machination, les ficelles qu'on tire dans l'ombre sont des thèmes
récurrents qu'on trouve aussi bien dans Le Coucou, Ami-Ami
flic (devenus des téléfilms), Bunker Parano ou dans d'autres
romans adaptés au cinéma : La Tête dans le sable, Zone
rouge... L'intrigue est donc ici plus psychologique, plus intime et se
déroule dans un cadre relativement restreint (un quartier, un immeuble)
dans une micro-société qui reflète celle qui l'englobe.
Elle flirte parfois avec le fantastique
(La Maison-Piège et surtout Enfantasme, Prix Mystère de la
Critique en 77, devenu à l'écran L'enfant de la nuit), genre dans
lequel Arnaud aura l'occasion de prouver qu'il est à l'aise quand le
Fleuve Noir lui demandera de fournir des romans pour la collection
« Angoisse ». Ceux-ci sont au nombre de trois : Ils sont
revenus, La Mort noire et La Dalle aux maudits, ce
dernier titre flirtant avec la science-fiction, puisque des déchets
radioactifs enfouis depuis plusieurs siècles menacent de s'échapper dans
un petit village des Pyrénées
Orientales.
Arnaud
avait déjà écrit un premier cycle de science-fiction, Chronique de la
grande séparation (Les croisés de Mara, Les monarques de
Bi, Lazaret 3), qui a connu plusieurs éditions dans diverses
collectons du Fleuve Noir, mais c'est avec La Compagnie des Glaces
qu'il conquiert le public des lecteurs de S.-F. L'histoire d'une compagnie
ferroviaire dans un futur où est survenue une nouvelle glaciation est la
plus grande saga de S.-F. jamais écrite (60 volumes plus les romans
annexes se déroulant dans le même univers, à diverses périodes).
Arnaud a souvent avoué la tendresse qu'il portait à
ses personnages (Lien Rag, Yeuse et les autres) et au plaisir qu'il avait
de les retrouver pour un nouveau bout de chemin, le temps d'un roman. La
tyrannie de la société ferroviaire est à rapprocher des manoeuvres des
entreprises dans les romans policiers. Le train est un élément récurrent
dans l'oeuvre d'Arnaud : la vieille locomotive
qui s'essouffle en gravissant une côte (comme par exemple dans Les
Longs Manteaux, la micro société des compartiments le fascinent. Quant
au décor, il vient d'une suggestion de sa femme qui a remarqué qu'il
décrivait mieux ce qu'il n'aimait pas que ce qu'il aimait. Arnaud a
souvent avoué la tendresse qu'il portait à ses personnages (Lien Rag,
Yeuse et les autres) et au plaisir qu'il avait de les retrouver pour un
nouveau bout de chemin, le temps d'un roman. Tout ceci explique
probablement l'accueil enthousiaste du public et de la critique puisqu'il
reçoit le prix spécial du Grand Prix de la Science-Fiction française en
1982.
G.-J. Arnaud s'est également taillé un succès remarquable dans des romans du terroir.
Désireux d'écrire sur les origines de sa famille à partir de la guerre de
1870, il entame une saga dont le premier volume, Les Moulins à
nuages, obtient d'emblée le prix RTL. Il ne sera pas le seul à le
décrocher sur les six que compte actuellement la saga. Une nouvelle
catégorie de lecteurs découvre G.-J. Arnaud à cette
occasion.
Souvent adapté au cinéma ou à
la télévision, G.-J. Arnaud est en général peu
satisfait du travail des réalisateurs quand il ne s'estime pas trahi. Le
seul à tirer son épingle du jeu et avec lequel s'est instauré un véritable
dialogue est Michel Favart, dont les téléfilms soignés
restituent avec fidélité (mais non servilité) l'ambiance des romans
d'Arnaud.
Ce géant de la littérature populaire, qui revendique fièrement cette étiquette, a
écrit près de 400 romans.
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