Christophe
Vacher est encore peu connu dans le microcosme de la science-fiction en France,
sinon des professionnels de l'illustration. Mais ce ne peut être qu'un
commencement. Son talent, qui a explosé outre-Atlantique, ne devrait pas tarder
à attirer l'attention des éditeurs de l'hexagone. D'autant que nos proches
voisins européens ont déjà commencé à s'intéresser à lui. Natif d'Issoire, dans
le Puy-de-Dôme, où il a passé toute sa jeunesse, il vit actuellement aux
Etats-Unis. Par chance, lors d'un récent séjour en France, il est venu me
rendre visite. Bonne occasion de converser un peu avec lui et de donner un coup
de chapeau à ce garçon exceptionnel que j'avais connu à ses débuts et qui, au
prix d'un travail acharné, a gravi peu à peu les échelons de la réussite.
J.P.F.
— Les lecteurs d'Asphodale ont découvert ton existence avec la parution du
n° 3 de cette revue dont la couverture reproduit l'une de tes peintures. Ce
n'est cependant pas ta première œuvre ?
C.V.
— Non, en effet, plusieurs d'entre elles ont été retenues pour des
couvertures de magazines et de livres aux U.S.A., ou ont été commissionnées
spécialement pour cela. J'ai également eu l'occasion de le faire en Europe,
ainsi que pour des CD et des jeux videos.
J.P.F.
— Tu ne vis pas en France.
C.V.
— Non. Je l'ai quitté en 1996 pour m'établir à Los Angeles. Plus
exactement à North Hollywood, en Californie.
J.P.F.
— C'est arrivé comment ?
C.V.
— Je travaillais pour les studios d'animation Walt Disney, à Montreuil. Le Roi
Lion a eu un tel succès que tous les studios américains voulaient
ouvrir des départements d'animation. J'ai saisi l'occasion. Après avoir engagé
un agent américain depuis la France, j'ai obtenu plusieurs offres de différents
studios. Finalement, c'est Disney m'a fait la meilleure offre pour que je reste
chez eux. J'ai alors demandé à travailler à Los Angeles dans leurs studios de
Burbank. Et j'y suis resté.
J.P.F.
— Mais comment as-tu fait pour rentrer chez eux ?
C.V.
-J'ai été engagé par Disney en 1993 comme décorateur. Mais auparavant, à partir
de 1989, j'avais travaillé dans plusieurs autres studios d'animation en tant
que designer de personnages, puis dessinateur de layouts,
décorateur ; et enfin chef décorateur. En fait, tout a commencé lorsque je
suis rentré à la société IDDH qui avait introduit Goldorak et Albator
en France et qui co-produisait à ce moment-là les Tortues Ninjas. Ce fut
mon premier job en animation.
J.P.F.
— Nous nous sommes connus en 1986. Rappelle-moi où et à quelle
occasion ?
C.V.
— Ah ! souvenirs, souvenirs. À ce moment-là, j'avais 19 ans. Je
voulais faire des couvertures de livres... et je me suis retrouvé à organiser
une exposition sur l'histoire de la bande-dessinée avec notre regretté ami
commun, René Sol, pour le premier Festival de l'Imaginaire de Clermont-Ferrand
dont tu étais l'organisateur et qui s'est déroulé en novembre 1988. C'est à
cette occasion que j'ai rencontré Philippe Caza qui allait, un peu plus tard,
me proposer de travailler avec lui.
J.P.F.
— A ce propos, n'éprouvais-tu pas à l'époque un vif intérêt pour la bande
dessinée ?
C.V.
— Oui ! En fait, au départ, la B.D., c'est ce que je voulais faire.
J'avais déjà eu plusieurs expériences semi-pros et je voulais vraiment me
lancer. Quand j'étais étudiant, j'avais eu l'occasion de participer à plusieurs
fanzines de BD avec des copains de la fac et des Beaux-Arts.
J.P.F. :
Donc, tu disais, Caza... ?
Après
notre rencontre en 1988, Philippe et moi étions restés en contact. En 1990, il
m'a proposé de réaliser avec lui un album d'héroïc-fantasy dont il écrirait le
scénario et que je dessinerais. Il m'a envoyé le synopsis et une séquence. Je
voulais vraiment faire cet album. Malheureusement — pour l'album — ,
le destin en a décidé autrement. Après avoir gardé le synopsis sous le coude
pendant quelques temps, j'ai dû le rendre à Philippe car un nouvel événement
dans ma vie se concrétisait de manière incontournable : mon départ pour
les USA.
J.P.F.
— Au fait, tu as bien suivi les cours des Beaux-Arts ?
C.V.
— En effet ! J'habitais Issoire (en Auvergne) depuis mon plus jeune
âge et je n'avais guère de choix si je voulais faire une carrière artistique.
Internet n'existait pas encore et je ne voyais pas comment trouver de sérieuses
infos sur le milieu de l'animation ou l'illustration. J'ai donc fait un an de
Beaux-Arts à Clermont-Ferrand. Et puis j'ai réalisé que je n'y apprendrais pas
grand chose d'un point de vue purement classique (merci l'Art Moderne !).
J'ai donc décidé de m'inscrire à la faculté. Ça me permettait d'apprendre tout
en percevant une bourse — ce qui soulageait mes parents d'un point de vue
financier — . Je suis resté deux ans en Histoire de l'Art où j'ai appris
pas mal de choses sur l'architecture gothique, romane et l'Antiquité. Ça m'a
beaucoup servi plus tard pour mes recherches artistiques personnelles.
J.P.F.
— Comment t'est venu ce goût pour l'illustration et la peinture ?
C.V.
— Je m'entraînais à dessiner avant même de savoir écrire. Je voulais faire
de la B.D. et, petit à petit, cette envie s'est transformée et je me suis
intéressé à la peinture.
J'étais
également fasciné par le cinéma, mais c'était pour moi un rêve totalement
inaccessible. Je me souviens que, dans les années 80, je regardais les dessins
animés en me disant : « Ah, si seulement je pouvais travailler dans
l'animation, ne serait-ce que pour des séries télévisées — ne parlons même
pas des films Disney aux USA ! — . Mais il y a probablement des
millions d'artistes qui rêvent de la même chose et qui sont cent fois meilleurs
que moi ! Et puis, je ne connais rien de la technique du dessin animé, je
vis dans un patelin paumé d'Auvergne. Je n'ai absolument aucune chance. Ce sera
déjà beau si j'arrive à faire de la BD et à en vivre ! » Et puis,
grâce à un acharnement et une discipline de vie qui me vient, sans doute, de ma
deuxième passion, les Arts Martiaux, de fil en aiguille, j'ai fait mon chemin
et je suis en quelque sorte arrivé à réaliser tous mes rêves (ou presque) en un
seul. Comme quoi, tout arrive...
J.P.F.
-Tes premières illustrations ? Ta première exposition ?
C.V.
— J'ai d'abord réalisé mes premières illustrations pour des fanzines et
magasins locaux. À cette époque, j'étais étudiant à Clermont-Ferrand et je
travaillais également comme responsable des activités artistiques du Centre
Régional des Oeuvres Universitaires et Scolaires. Puis, j'ai fait
quelques dessins publicitaires pour des boîtes locales, et j'ai même travaillé
quelques mois pour une compagnie d'architectes bâtisseurs. C'est aussi à ce
moment que tu m'as demandé de réaliser l'affiche du Festival International de
l'Imaginaire de Clermont-Ferrand. Après cela, j'ai commencé de vraiment
travailler sur mon portfolio. Une de mes tantes avait un contact à la compagnie
IDDH, et je me suis dit que c'étais le bon moment pour essayer d'y entrer. J'ai
été engagé, d'abord comme designer de personnages, puis designer de
layouts (décors en noir et blanc), puis peintre décorateur, et enfin,
chef décorateur. J'ai bossé pour des séries comme Les tortues ninjas, Prince
Valiant, Bucky O'Hare, Le petit Vampire, Conan
l'Aventurier, Back to the future,etc...
J.P.F.
— Quand tu es entré chez Walt Disney pour le film Dingo et Max, tu
as été engagé pour quoi ?
C.V.
— J'ai été engagé comme décorateur. Et quelques mois plus tard, j'ai
finalement été promu chef décorateur sur le film. Puis le studio Disney de
Montreuil où je travaillais — et qui produisait uniquement pour la section
TV de Disney (Dingo et Max était pour la première fois un long métrage
destiné pour le cinéma mais financé par la section TV) — le studio Disney
de Montreuil, donc, a été repris par la section Feature Animation de
Disney qui était à cette époque en train de réaliser Le Roi Lion. Disney
Feature Animation a complètement remodélisé les studios, investi
énormément d'argent, augmenté les salaires, et complété la formation des
artistes. Dans le même temps, ils ont envoyé leurs propres superviseurs en
France. Ils nous ont beaucoup apporté. Nous avons « refait nos premières
armes » sur le court-métrage Runaway Brain, puis sur Le Bossu de
Notre-Dame. À ce moment-là, l'animation marchait tellement bien aux
U.S. après Le Roi Lion que tous les gros studios ont ouvert des
départements pour faire des longs métrages animés. Les artistes ont commencé de
s'acheter à prix d'or.
J.P.F. :
C'est à ce moment-là que tu as négocié ton départ aux U.S.A. ?
C'est
ce que j'avais toujours eu envie de faire. J'ai obtenu les coordonnées d'un
avocat/agent américain et je l'ai engagé depuis la France. Il a négocié pour
moi avec plusieurs studios puis, comme je te l'ai dit, après avoir reçu
plusieurs offres, je suis retourné voir Disney qui, en définitive, m'a fait la
meilleure proposition. Je suis donc resté avec Disney, mais j'ai demandé à
partir aux Etats-Unis dans leurs studios de Burbank. Et là-bas, j'ai commencé
de travailler en développement visuel (conception artistique) sur Dinosaur,
puis en décors et conception artistique sur des films comme Hercules, Fantasia
2000, Tarzan et Treasure Planet.
J.P.F.
— Parallèlement, tu as continué à peindre ?
C.V.
— J'avais commencé de développer certains thèmes personnels et, dès que je
suis arrivé aux Etats-Unis en 1996, j'ai entrepris de montrer mes oeuvres dans
diverses expositions et salons. En 1997, à la suite de la gigantesque Artexpo
de Los Angeles à laquelle je participais, mes travaux ont été acceptés au sein
de la galerie Morpheus (la seule aux US à exposer les oeuvres de H.R.
Giger, celui qui a conçu la créature du film Alien ). Depuis, mes thèmes ont
évolué et j'ai commencé à exposer dans d'autres galeries (Carla à San
Francisco et Kaleidoscope Gallery à Mission Viejo et Laguna Beach). Mon
travail s'est tourné vers quelque chose de plus romantique, de moins sombre que
ce que je montrais à Morpheus, mais tout en restant dans un cadre
fantastique.
J.P.F.
— Tu as quitté les studios Walt Disney en 2002. Pourquoi, et que fais-tu
depuis ?
C.V.
— Depuis pas mal de temps, j'avais envie de faire un break avec le monde
du cinéma et de l'animation et de voir si je pouvais me faire un nom dans le
milieu de la peinture et de l'illustration. En fait, comme j'avais déjà
« préparé le terrain » alors que j'étais encore chez Disney, ça s'est
fait relativement bien. J'ai poussé le travail pour les galeries, notamment
avec Kaleidoscope Gallery qui marche bien pour moi. Et puis des éditeurs
et compagnies de différents horizons ont commencé à me contacter pour des
couvertures ou des cartes et affichettes. Entre-temps, certains de mes travaux
ont été acceptés dans l'anthologie annuelle « Spectrum », depuis le
numero 8 en fait. Cette année (2003), qui marque leur 10ème anniversaire,
ils ont même choisi l'une de mes peintures pour leur couverture. C'est un
accomplissement incroyable pour moi. De plus, une autre de mes toiles figurant
dans le livre a été nominée aux Chesley Awards dans la catégorie Unpublished
color artworks. Les résultats ont été annoncés le week-end dernier à
Toronto mais je ne les connais pas encore. En parallèle, je voudrais continuer
à faire du travail de conception visuelle pour le cinéma si mon temps me le
permet.

J.P.F.
— A l'occasion du Festival de Roanne, Philippe Caza m'a appris que tu
travaillais avec Dreamworks ?
C.V.
— J'ai travaillé un peu pour eux en Juin dernier. Ils m'ont fait une offre
pour rester chez eux mais, pour l'instant, je suis occupé ailleurs, donc je
reste en négociations. On verra ce que ça donne. Je regarde aussi du côté
d'autres studios comme Sony ou Warner, ou des boîtes de jeux
vidéos.
J.P.F.
— Je me souviens que tu es passé à l'émission « Capital » sur M6
il y a quelques années. C'est arrivé comment ?
C.V.
— Par un ami français, Didier Levy, qui avait été contacté par M6.
Il travaillait à l'époque en effets spéciaux chez Sony et il avait eu
droit à une page dans Le Figaro magazine. M6 lui a demandé s'il
connaissait d'autres Français dans le milieu du cinéma à Los Angeles car ils
avaient entendu parler du big boom dans le milieu de l'animation et de
l'inflation des salaires. Il les a branché sur les Français qui travaillaient à
Dreamworks et sur moi qui travaillait à Disney.
J.P.F.
— Comment se fait-il qu'une de tes peintures se soit retrouvée en
couverture d'Asphodale ?
C.V.
— Eh bien ! il semble que c'est un peu grâce à toi. Je crois que tu
avais parlé de moi à Sylvie Miller qui collabore à cette revue. Elle est allé
sur mon site : www.vacher.co Ce que je fais
lui a plu. Elle en a parlé à Lionel Davoult, éditeur de la revue. Il a aimé mon
travail et m'a contacté. Voilà.
J.P.F.
— Un dernier mot ?
C.V. :
Je pars pour le Japon. Un voyage organisé à travers le Japon historique. Ça
me
donnera une première approche... pour éventuellement y retourner plus tard
peut-être.
Petit
addenda à l'entretien :
Un
mois plus tard...
J.P.F.
— Alors Christophe, du nouveau ?
C.V. :
Oui, en un mois, il s'en passe des choses. Je travaille avec un jeune éditeur
français (Editions Sidh & Banshees) qui publie mes images en cartes et
affichettes. Mais j'essaie de ne pas me ruer trop vite dans la publication car
je me rends compte que de plus en plus de professionnels sont intéressés par
mon travail. Comme ils demandent souvent une certaine exclusivité, je me dois
de les choisir très soigneusement. Par ailleurs, en plus des trois couvertures
de livres qui viennent de sortir, une de mes peintures vient de remporter un
prix sur Internet, ce qui me conduit à un contrat avec une très grosse boite
internationale de reproduction de « Fantasy » sur T-Shirt. Et enfin,
je viens de recommencer de travailler pour Dreamworks, en concept artistique,
sur un film en collaboration avec les Studios Ardman à Londres (qui avaient
fait Wallace & Gromit de Nick Park). Je devrais rester ici pendant un peu
plus d'un an et demi. Je suis aussi en train de finir une couverture de livre
(la suite de « Mortal Engines ») et une aquarelle pour la galerie
d'Art qui me représente.
J.P.
F. — Donc, beaucoup de pain sur la planche ?
C.V. :
C'est le cas de le dire.
|