Avec Malhorne, Jérôme Camut a, en peu d'années, construit une tétralogie hors du commun.
Il a su, avec quelques idées fondamentales comme l'eau, sa valeur et son usage, la réincarnation et une galerie de personnages attachants, au caractère étoffé, proposer une œuvre remarquable. Celle-ci conjugue la SF et le Fantastique, la fresque historique, la découverte de secrets enfouis avec un brin d'ésotérisme, la tension d'un thriller, la recherche initiatique et la vision d'un futur assez morne.
La sortie de La Matière des songes, le tome 4 très attendu par tous les aficionados, (de plus en plus nombreux) est l'occasion d'une rencontre avec un romancier talentueux.
Avec La Matière des songes, le volet quatre, clôturez-vous définitivement la saga de Malhorne ?
Oui, définitivement oui. Même si j'ai hésité. Je pense avoir conclu la tétralogie de manière satisfaisante. Quand on aime, il faut partir...
J'avoue regretter la conclusion de ce cycle et le départ de vos personnages, car je me plaisais bien en leur compagnie. Va-t-on les retrouver sous d'autres physionomies ?
Nous travaillons avec Nathalie sur un thriller Fantastique. Je crois qu'il y aura un peu de Malhorne dans le personnage masculin principal. Et puis, finalement, je mets dans la tête de mes personnages beaucoup de moi-même. Je suis dans Malhorne, Malhorne est en moi. Comment pourrait-il en être autrement ?
Les thèmes aussi reviennent. Et tant que je n'aurai pas solutionné les questions qui me tournent en tête, je reviendrai dessus. Il y en a certains que je ne résoudrai jamais, je le crains.
On parle de Malhorne, mais la véritable héroïne de votre saga n'est-elle pas l'eau ?
L'eau, la vie sous toutes ses formes. Les essais réussis ou non de l'évolution des espèces, le fait que tout est inscrit depuis le big bang, nous, ces questions auxquelles je réponds, vous qui êtes en train de lire, l'eau, etc.
Vous êtes le premier, à ma connaissance, à privilégier autant l'eau dans une intrigue, à lui donner des capacités, des pouvoirs quasi magiques, allant presque à une autonomie de pensée et d'acte. Pourquoi cet attrait ?
L'eau est la seule matière qui ne s'altère pas, elle est partout dans la chaîne du vivant. Celle que nous buvons aujourd'hui se présentait sous la même exacte forme du temps des dinosaures. Elle est passée par le tube digestif d'un T Rex avant de s'évaporer, repartir dans le cycle sans fin pour repasser par les tripes de Claudia Schiffer, être traitée par la Générale des eaux et finir dans votre verre. C'est écoeurant et magnifique à la fois. Au moins une fois par jour, je vide un verre en me disant avec poésie : Putain ce que c'est bon !
Vous définissez l'eau, (sous la forme de l'Aratta) comme la Matière des mondes. Que représente alors votre titre : La Matière des songes ?
J'aime assez frôler des thématiques sans les mentionner de manière explicite. La matière des songes, c'est l'eau. Mais ce n'est pas l'Aratta. Ce que j'ai voulu aborder avec ce titre, c'est l'inconscient collectif, cette drôle de notion partagée par beaucoup et qui pourtant ne trouve aucune racine rationnelle. Dans mon esprit (de romancier), l'eau est le lien, puisque nous le partageons tous, un lien communicant, pourvoyeur d'informations. C'est de cette façon que je m'explique comment les grandes inventions de l'humanité se sont faites un peu partout sur la planète dans des fourchettes de temps réduites.
Vous inventez, avec l'Aratta, un mode nouveau de téléportation ou de voyage extra corporel. Comment est née cette idée ?
Difficile de répondre avec précision. Le fantasme de cette histoire était multi directionnel. En mettant au point l'histoire du tome 1, je connaissais le point à atteindre, ce qui équivaut au tome 4. Je voulais décrire des humanités différentes, je voulais utiliser l'eau aussi. Et je ne suis pas très fan de technologies ou de procédés liés à la SF trop éculés. Utiliser l'eau était donc simple. Tout le monde en a vu.
Vous avez une très belle image : « ...ceux qui étaient depuis longtemps repartis vers les eaux de ce monde... » qui évoque bien que l'homme, en fait, est essentiellement composé d'eau et qu'il y retourne. Est-ce le lien avec une autre constante de votre saga, la mort et la réincarnation ?
Si vous répondez à la question en la posant, je n'ai plus rien à faire.
La question de ce qui reste de l'homme après sa mort me hante depuis toujours, ou presque. Mais une seconde me taraude aussi. Je suis fait de matière et j'ai du mal à envisager qu'un jour ce ne sera plus le cas. Bizarrement, je m'arrange assez facilement du fait qu'avant ma naissance, je n'ai pas la moindre idée de l'endroit où je pouvais bien me trouver.
Et comme je vis avec vous dans un système fermé qu'on appelle Ma planète, je me suis dit que ce faisceau d'espoir appelé l'âme pouvait très bien rester dans les parages, sous une autre forme.
De là à penser qu'elle peut se réincarner, il n'y a qu'un pas. Un pas franchi sans scrupule par bien des civilisations.
La réincarnation est-elle une façon de vaincre la mort ?
Elle est en tous cas un moyen de ne pas s'asseoir pour se lamenter.
La réincarnation de Malhorne ne symbolise-t-elle pas, à l'image du cycle de l'eau, un perpétuel recyclage de la matière humaine ?
Le symbole y est, l'envie que cela existe en l'état aussi. C'est tentant de le croire Moi, ça me rassure.
Quel a été le fait déclencheur de l'histoire de Malhorne ? Qu'est-ce qui vous a poussé à commencer à l'écrire ?
Des histoires pas très gaies, des décès de proches.
Mais pour ce qui est de savoir ce qui m'a poussé à l'écrire, c'est assez difficile de répondre. Je n'ai pas passé mes années sans écrire à me dire qu'un jour je le ferai. J'ai toujours été un contemplatif, un de ceux à se laisser porter par le vent jusqu'à ce qu'il me dépose quelque part. L'écrit est venu aussi comme ça. Bien sûr, il a fallu un acte volontaire pour y parvenir. Personne ne m'a collé une arme sur la tempe. Je l'ai fait tout seul, sans savoir vers quoi précisément cet acte allait me conduire. Si j'avais su qu'il me faudrait neuf ans pour achever Malhorne...
Et pourtant, je ne regrette rien. Ecrire m'a apporté des joies que je n'aurais pas connues ailleurs. Ecrire m'a fait rencontrer la femme qui comble point par point toutes mes attentes, et même au-delà. Ecrire est finalement la seule chose que j'aime et sais faire
Malhorne n'est-il pas, plus globalement, une approche critique et une réflexion sur l'homme, sur la place qu'il s'est donnée dans l'univers, sur son rôle dans l'évolution de la Terre ?
Vous avez vu tout ça ? Diable, me voici infiniment plus réflexif que je n'osais le croire.
Plus sérieusement, je rage chaque jour de constater que nous disposons collectivement de moyens incroyablement divers et riches pour nous sortir de la panade et que nous n'en usons finalement que très peu. Alors, oui, écrire est un bon exutoire. Malhorne regorge sans doute de ce que vous énoncez, encore que vous soyez plus à même de l'analyser que moi. Et je n'écrirai sans doute jamais de textes légers sur ces points.
Une autre constante, dans votre cycle romanesque, est la profusion du chiffre sept et de l'heptagone. Tout va par sept, jusque et y compris la révélation à la fin du troisième tome de l'existence de sept Terres et de sept humanités. Pourquoi avoir retenu ce chiffre ? Douze n'est-il pas également chargé de symboliques ?
Des chiffres chargés de symboles, il y en a à la pelle. Mais 7 est le plus brillant de tous, le plus parfait. Dans la cabale, il représente Dieu et l'eau. Vous voyez le rapport ?...
Et puis, il aurait fallu un cinquième tome si j'avais choisi 12.
Avec les sept terres, vous ouvrez des possibilités infinies. Pourquoi faites-vous « machine arrière » dans la conclusion de votre saga ?
Je ne fais pas machine arrière, je me donne la possibilité de jouer au créateur. Et qui possède le pouvoir de créer possède intrinsèquement celui de détruire. Malhorne, et donc moi par conséquent, se retrouve en possession d'un pouvoir qui le dépasse. Et il s'en sert. D'autre part, il ne détruit pas tout, alors qu'il en a la possibilité.
La conclusion du tome quatre n'est-elle pas une boucle avec un retour à l'Eden, à la Terre des premiers âges ? Mais pourrait-on revenir à cette Terre vierge sans une catastrophe humaine sans précédent ? Ne faudrait-il pas changer d'humanité ?
Si seulement nous pouvions faire machine arrière, revenir à des temps plus sains, avoir la possibilité d'infléchir le destin de l'humanité, son rapport avec son environnement, ne croyez vous pas que la plupart d'entre nous opterait pour une réforme large et pleine ?
Changer d'humanité, non, mais changer son point de vue sur la vie, avec plaisir.
Si nous nous étions comportés depuis l'aube de nos temps comme des bonobos et non comme des chimpanzés, la vie aujourd'hui serait sans doute différente. Il y a fort à parier qu'avec cette modification de notre comportement, nous n'aurions jamais, ou pas encore, lancé de fusée vers l'espace. Mais bien que l'espace me fasse rêver, il ne m'apporte pas de bonheur. Armstrong sur la Lune, c'est très chouette, mais ça ne me rend pas heureux.
Retrouver une Terre vierge, avec ce que nous savons faire à présent ? Oui, mille fois oui !
Les Néanderthaliens sont très présents, tout au long du cycle. Pourquoi cet engouement pour cette race disparue à qui vous prêtez toutes les qualités, ou presque ?
Devant les égarements de l'humanité présente, je regrette que nous homo sapiens, ayons été les seuls représentants de l'espèce. Si les néandertaliens avaient survécu, peut-être en aurions nous collectivement été plus riches. Peut être, même si je ne perds pas de vue qu'un vrai racisme aurait alors immanquablement vu le jour. Et si je leur prête quasiment toutes les qualités, c'est sans doute parce qu'ils représentent à mes yeux un fantasme de ce que nous aurions pu être.
Vous donnez de l'humanité issue des Sapiens une image très négative : bêtise, aveuglement, volonté de domination, esprit de lucre... les aspects négatifs pèsent-ils plus que les belles réalisations : œuvres d'art, monuments... ?
Ce qui me manque le plus dans les réalisations humaines, c'est une véritable volonté de vivre heureux, ensemble. Les arts ne rendent pas heureux, hormis les artistes, et encore. Et parmi les inventions, je n'en vois pas beaucoup qui prennent une réelle direction positive. Bien sûr, il y a les sciences humaines, la médecine, etc. Mais je n'allais pas écrire un roman sur l'industrie du médicament.
Nous avons collectivement tant gâché...
Vous abordez dans les quatre volumes tant de questions scientifiques, techniques, sociales et historiques qu'on se demande : Y a t il un domaine qui ne vous intéresse pas ?
Oui, le nombre de soupapes dans un moteur à explosion.
Cependant, cela a dû nécessiter un travail conséquent de documentation ?
Ça, c'est la partie immergée de l'iceberg. Certes, j'ai confronté mes délires de romancier à la réalité des livres universitaires. Mais je n'ai aucun mérite. Je n'écris que sur des sujets qui m'intéressent. Donc, je ne ferais pas de roman se déroulant pendant un grand prix de formule 1.
Vous aviez pensé écrire une trilogie, mais la matière était si riche qu'il a fallu un tome supplémentaire. Le premier volume présentait un visage essentiellement masculin, le second était féminin et le troisième, un mixage des deux. Comment peut-on définir le quatrième ?
La conclusion, non ? Pendant trois tomes, j'ai fait évoluer mes personnages. La plupart du temps vers un mieux aller. Le quatrième tome est l'heure de consécration de chacun, quelle que soit la fin, heureuse ou malheureuse, qu'ils y ont connue.
Vous présentez une machination (La conquête de Gursk) que le plus paranoïaque des dirigeants de l'humanité, pourtant fertile en la matière, n'a pas su produire. Est-ce parce que nos « parano » sont bridés par le temps ?
Imaginez un Hitler se réincarnant... c'est effroyable ! Vous êtes démoniaque, je n'y avais même pas pensé.
Et heureusement qu'ils sont bridés par le temps. Castro nous prouve que la vie de dictateur peut être sacrément longue.
Parmi la foultitude des personnages, des Éternels et des Immortels participent à l'intrigue. Quelle différence faites-vous entre les deux états ?
Je ne sais pas très bien de quoi vous parlez. A ma connaissance, dans Malhorne, il n'y a que des éternels. Mes héros intemporels ne cessent de mourir, ce qui les écarte définitivement du qualificatif d'Immortels.
Les humanités peuvent voyager entre les Terres. Certaines civilisations sont plus avancées technologiquement. Des représentants peuvent voyager entre les Terres. Vous faites d'Einstein, l'un de ceux-ci, un représentant d'autres humanités. Pourquoi l'avez-vous choisi ? Vous parait-il le génie humain le plus représentatif ou parce qu'il est le plus médiatique ?
Il y en avait un autre, très médiatisé, éminemment respecté, c'est Léonard de Vinci. Je vous laisse deviner pourquoi je ne l'ai pas retenu.
Einstein représente quelque chose de rare en ce monde. Il avait une éthique, une clairvoyance incroyable. Il a travaillé dans des domaines qui lui ont échappé, pour le pire et pour le meilleur. Cet homme est fascinant. Je donnerais beaucoup pour partager un tel cerveau ne serait-ce qu'une heure. Hélas, mille fois hélas, il ne reviendra pas.
Franklin Adamov n'est-il pas le personnage emblématique de la saga ? Comment le définissez-vous ? Un révolté ? Un précurseur ? Un bâtisseur, Un rêveur ou simplement un homme qui se bat pour ses convictions ?
Franklin est présent de bout en bout dans la tétralogie. Et lui aussi évolue beaucoup au cours de l'histoire. Au début, il est contemplatif, il agit peu. Puis il se bouge enfin, mais il lui faudra un élément détonateur particulièrement cruel pour s'y mettre. Et finalement, lorsque Malhorne jouera au destructeur de mondes (ou d'intentions de mondes), il ne bougera pas le petit doigt, indiquant par cette absence de réaction son accord avec les intentions de Malhorne.
Alors, un rêveur, oui. Un bâtisseur, il s'en serait passé. Quant à ses convictions, il finit par les abandonner en détruisant ce qui les recueille.
« Comment vivre à jamais le bonheur d'être deux ? » Malhorne laisse une grande place à l'amour entre les individus. N'est-ce pas un point positif pour l'humanité ?
Le plus stupide dans nos façons de vivre, c'est que nous avons toutes et tous le droit, la possibilité et parfois l'envie d'être heureux. Mais combien d'entre nous y parviennent. Combien de temps mettons nous à définir ce qui nous rend heureux ? Combien de temps perdons nous à nous leurrer avec de fausses réponses ?
Le bonheur, c'est une affaire d'individus. Il suffit presque de le vouloir sincèrement pour en jouir. Toute la question est de savoir ce que nous voulons vraiment. Et je ne crois pas que globalement les femmes et les hommes qui participent à l'épanouissement de mon espèce soient véritablement heureux.
Franklin, qui était plutôt solitaire, découvre l'amour assez tardivement. Est-ce une évolution au cours de l'intrigue ?
Absolument. Franklin étant le personnage dont je suis le plus proche — sans évidemment être mon portrait — il a accusé dans sa chair bien des épreuves de ma propre vie. Drôle de façon de le dire, je n'envisage pas l'amour comme une épreuve. C'est un don, le plus précieux de tous, qu'il faut chérir chaque jour davantage.
Parallèlement, vous écrivez, à quatre mains et à deux cerveaux, avec Nathalie Hug, une suite de thrillers assez noirs : Les Voies de l'ombre aux Editions Télémaque dont le premier tome, Prédation est sorti en Juin 2006. Y a-t-il un lien entre les deux séries, outre le fait qu'on retrouve le même nom pour deux détectives, au profil cependant bien différent ?
Les liens, ce sont les thèmes, enfin certains. Et puis le cerveau qui a contribué à leur éclosion. Et en l'occurrence, il y en a deux. Sans cela, je ne crois pas. Les voies de l'ombre explorent la psychologie d'un créateur de chaos et de ses victimes. Les personnages y sont mortels et tout cela se passe de notre temps et sur notre Terre. Mais les thèmes sont là, sourdant sous la surface des mots.
De quels romans allez-vous nous régaler en 2007 ?
C'est encore un peu tôt pour ceux qui sont en cours d'écriture. Une chose est certaine, Stigmate, le deuxième volet des Voies de l'ombre, paraîtra en avril ou mai 2007.
Ensuite, le troisième volet est prévu pour mi 2008.
Pour le reste, je ne peux rien promettre, mais je ne manquerai pas de vous le faire savoir.
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