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In Memoriam Arthur C. Clarke

Claude ECKEN

Robert A. Heinlein et la pédagogie du réel, mai 2008

          Arthur Charles Clarke est décédé le 19 mars 2008, à Colombo, au Sri-Lanka. Trois mois plus tôt, il avait fêté ses 90 ans, recevant à cette occasion la visite du chef de l'Etat Mahinda Rajapakse et les journalistes du monde entier.
          Rompant avec son habituel optimiste, il avait formulé trois souhaits : la découverte d'un substitut propre à l'énergie pétrolière, l'instauration de la paix au Sri Lanka, et la preuve de l'existence de forme de vie extra-terrestre, qu'il comptait jadis voir de son vivant. Il est vrai qu'il avait déjà écrit : « l'avenir n'est plus ce qu'il était ». Mais il est vrai aussi que Clarke, c'est avant tout l'ode au voyage et la foi dans l'avenir, conjuguant science et spiritualité.
          Sa popularité, immense, n'était pas seulement due à 2001, l'odyssée de l'espace, film de Kubrick dont il écrivit le scénario, à partir d'une de ses nouvelles, « La Sentinelle », qui, dès 1951, introduisait l'idée des « grands anciens », extraterrestres évolués donnant un coup de pouce aux formes de vie à la technologique moins avancée. Elle était aussi due à ses contributions scientifiques et ses textes de vulgarisation.
          Né le 16 décembre 1917, à Minehead, dans le Somerset, dans une famille pas assez fortunée pour lui payer l'université (le père est quand même ingénieur des télécommunications), il devient, après le lycée, auditeur dans une administration scolaire, avant de rejoindre la Royal Air Force pendant la guerre. Passionné d'astronomie au point de construire son premier télescope à l'âge de 13 ans (le manque d'argent, finalement, est émulateur), il découvre la science-fiction avec la fresque d'Olaf Stapledon, Les Premiers et les derniers, entre à la Société interplanétaire britannique qui se trouvait à côté de chez lui, avant d'en être le président de 1947 à 1950 puis en 1957.
          Mais entre-temps, Arthur C. Clarke a pris du galon à l'armée : d'abord dans les bureaux, il finit Flying Lieutenant de la RAF (de 1941 à 1946), où il travaille au développement du premier système de radar. Il est surtout à l'origine de l'orbite géostationnaire sur lesquels se placent les satellites de télécommunication, décrit dans un article « Extra-Terrestrial Relays », dans Wireless World, en octobre 1945. Cette orbite, appelée aussi orbite de Clarke, lui valut d'obtenir la même année la médaille d'or de l'institut Franklin. Il en tire une nouvelle en 1960 : « I remember Babylon, » dans Playboy, mai 1960 (« Je me souviens de Babylone », Avant l'Eden, J'ai Lu n°830, 1978). Dans ce récit, il se met en scène en prenant comme point de départ son article et ce qui en advint (preuve qu'il savait soigner sa publicité), pour adresser une mise en garde contre l'utilisation à des fins de propagande ou de lavage de cerveau : « Lorsque les transmissions télévisées seront rendues possibles grâce à des satellites en orbite au-dessus de nous, leur utilisation comme arme de propagande pourra être décisive. » (p.20). Il a aussi imaginé en 1950 un lanceur électromagnétique, le lunartron, qui « expédierait » les colis d'un satellite (extraction de minerai par exemple) au point L2 de Lagrange pour récupération.
          Et c'est bien cette célébrité, et non celle de 2001..., encore dans les limbes, qui lui permit de rédiger des articles de vulgarisation scientifique pour Playboy, ce qui était une position enviable, aussi bien pour la reconnaissance du grand public que sur le plan financier. La plupart de ces articles ont été réunis dans son prospectif ouvrage Profil du futur (Profiles of the future, 1962), souvent cité pour certains aphorismes qui, depuis, ont fait florès ; en effet, c'est là que sont décrites les trois fameuses lois de Clarke :
          1 Quand un savant distingué mais vieillissant estime que quelque chose est possible, il a presque certainement raison, mais lorsqu'il déclare que quelque chose est impossible, il a très probablement tort.
          2 Le seul moyen de cerner les limites du possible est de s'aventurer un peu au-delà dans l'impossible.
          3 Toute technologie suffisamment avancée serait prise pour de la magie par une civilisation inférieure.
          Ses romans, bien sûr, reprennent souvent les idées scientifiques que l'homme pourrait un jour mettre en œuvre, notamment dans la conquête de l'espace, son grand dada. Il n'est pas forcément le premier à avoir utilisé certains projets dans ses fictions, mais la rigueur de ses démonstrations font qu'on se souvient plus facilement des siennes : l'ascenseur spatial des Fontaines du Paradis (The Fountains of Paradis, 1979), la récupération de l'énergie du vide dans 3001, une des suites à L'odyssée de l'espace, un rien pesante par son didactisme. ? Considéré comme un auteur de hard science, Clarke ne répugne pas à utiliser les poncifs de la SF, usant au besoin de loufoquerie : chez lui, l'humour et la dérision n'étaient jamais bien loin. Rien n'est impossible à cet optimiste forcené qui décrit avec minutie, dans ses œuvres de jeunesse la conquête de la Lune et de Mars. L'humanité est mûre pour l'espace dans Les Enfants d'Icare (Childhood's End, 1954), le chemin des étoiles est même préférable à l'immobilisme de l'immortalité dans La Cité et les astres (The City and the Stars, 1956). Ces voyages ne sont pas prétextes à l'aventure mais à des méditations métaphysiques, non dénuées de lyrisme, sur la place de l'homme dans l'univers, comme par exemple celles suscitées par l'exploration d'un gigantesque vaisseau spatial dans Rendez-vous avec Rama (Rendezvous with Rama, 1973). On reconnaît en cela l'influence de Stapledon alors que l'humour de ses spéculations sur ce qui se passerait si... rappelle davantage le sarcastique Erik Franck Russell avec qui il a longtemps correspondu. Progressiste, Clarke n'est cependant pas le chantre aveugle de la science : plutôt que de préconiser un impossible retour à la nature, il estime que la science peut et doit résoudre les problèmes qui se présentent à elle. Spiritualité n'est pas non plus religiosité : contempteur de la superstition et il est aussi très critique envers la religion dans « L'Étoile » (« The Star », 1955). Pragmatiques, ses réflexions sociales échappent à la morale commune en s'adaptant aux nécessités. La rigueur scientifique prendra cependant le pas sur son imagination poétique même si on lui doit de très belles pages sur l'univers et son évolution finale.

 

          Par la suite, Clarke se contentera de rédiger des synopsis que d'autres transforment en romans : le cycle de Rama avec Gentry Lee, la suite de La Cité et les astres avec Benford, la série, Base Vénus (Venus prime, 1987) avec Paul Preuss, sans parler d'autres collaborations avec des auteurs capables de la même rigueur scientifique comme Baxter, Mc Quay ou Kube-McDowell. Ce n'est pas l'appât du gain qui le pousse mais la crainte de sa disparition ; en effet, ces collaborations ont commencé avec l'annonce d'une dégénérescence neurologique du cerveau, fatale à court terme, diagnostic erroné, ses problèmes de santé de l'époque s'avérant être des séquelles de la poliomyélite contractée dans l'enfance, et qui le conduira sur une chaise roulante.
          La mer et l'espace sont souvent considérés de façon similaire. Ce n'est sans doute pas un hasard si Clarke s'est révélé un furieux adepte de plongée sous-marine. C'est dans un stage de plongée qu'il rencontre son épouse, Marilyn Mayfield, épousée presque immédiatement le 15 juin 1953, dont il se sépare en décembre et de qui il divorce quelques années peu plus tard. Il ne se mariera plus jamais et on ne lui connaîtra pas d'autre liaison. Mais sa passion de la mer ne cesse de croître : il écrit, outre ses récits de science-fiction, des documentaires sur les chercheurs d'épaves ou sur la mer, s'établi à Ceylan en 1954, ébloui par les récifs coralliens. Il a d'ailleurs crée dans ce qui est devenu le Sri Lanka une école de plongée pour enfants défavorisés. Là-bas, une académie scientifique porte son nom.
          La popularité de Clarke a grandi au sein du fandom au point d'éclipser Van Vogt, en 49, du trio des grands auteurs (les deux autres sont Heinlein et Asimov). C'est ce qui conduira à conclure en 1988, soit après la mort de Heinlein, le pacte de non-agression de Parke Avenue, stipulant qu'ils ne se disputeront pas le titre de meilleur auteur de SF et/ou de vulgarisation, le partage étant fait ce jour là. C'est donc le 1er auteur de science-fiction qui vient de rejoindre, au panthéon de la littérature d'anticipation, Asimov, titulaire de la place de 1er vulgarisateur scientifique.
          Avant de mourir, Clarke avait eu le temps de corriger la version finale de son dernier roman The Last Theorem, co-écrit avec Frederik Pohl, un autre vétéran de la SF.
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Biographies, catégorie Bios
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