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France : La SF française avant 1970

Roger BOZZETTO

Le Monde de la Science-fiction. M.A. éditions. 1987 , juin 1987

          La mort de Jules Verne, en 1905, ne marque pas la fin de ce qu'on appelle alors « roman d'hypothèse » ou « de merveilleux scientifique ». Mais une distinction va s'opérer. D'un côté des auteurs reconnus par la littérature générale (Rosny Aîné, Maurice Renard, etc.), qui publient des textes relevant de notre domaine, mais où l'on ne voit que fantaisies et divertissements de lettrés. De l'autre une multitude d'écrivains populaires dont les textes seront réputés pour la jeunesse. Ces textes, d'auteurs au statut si opposé, et qui s'ignorent, paraissent souvent dans les mêmes revues, Je sais tout, Sciences et voyages, etc. Ils sont repris dans les mêmes collections populaires, qui ne sont pas spécialisées, même si elles contiennent une proportion importante de SF. Il n'existe en fait aucune unité de la SF. En tant que produit elle est éparpillée dans des collections pour enfants et adolescents. Elle n'est reconnue ni critiquée en tant que telle bien que M. Renard ait tenté de la définir comme genre spécifique dès 1909. Les auteurs qui en écrivent ne se perçoivent pas comme faisant partie d'un même univers. Pourtant ces écrivains (reconnus ou non), donnent une dimension plus imaginative au domaine strict de l'anticipation vernienne. Rosny le premier, depuis 1887 avec Les Xipehuz puis La Mort de la Terre (1910) ou Les Navigateurs de l’infini (1925) (réunis en un volume chez Marabout). On trouve aussi l'auteur-dessinateur Robida, Maurice Renard (Le Docteur Lerne, dédié à Wells, 1908, Le péril bleu, 1910 en Marabout), Gustave Le Rouge (Le Prisonnier de la planète Mars, 1908 — Laffont), ou Jean de la Hire. Sans oublier l'influence exercée en France par les textes tôt traduits de H.G. Wells. On peut ajouter des noms : A. France, J.A. Nau, L. Varlet, C. Farrère, R. Messac (qui traduira les premiers américains). Mais ils sont censés écrire des « contes philosophiques », pas de la SF, d'ailleurs le mot n'existe pas encore. Les œuvres : La machine à lire les pensées d'A. Maurois (1937, LdP), ou La Guerre des mouches de J. Spitz (1938, Marabout). D'autres nombreux, écrivent sous divers pseudonymes des romans très curieux, dont certains excellents, qui attendront 1970 pour être repris en volume comme (1925) de La Fin d’Illa José Moselli (Marabout). Ces ouvrages « pour adolescents » sont pleins d'inventions, voire même pimentés d'érotisme (Le Valseur phosphorescent, Le Satyre invisible !), font rêver de mondes perdus, de voyages spatiaux fabuleux. C'est aussi fou que ce qui paraissait alors dans les pulps américains d’Amazing Stories. Après les années 25-30, pour des raisons diverses, elle est censurée, elle s'assagit (et s'affadit) au point de disparaître quasiment vers 1939.

 

          L'après-guerre a vu le retour de quelques périodiques, de quelques collections non spécialisées qui n'ont pas duré, et d'un auteur, Barjavel, dont il faut lire Ravage (1943, Folio). La SF américaine, qui avait une unité plus forte, des auteurs, un fandom, des revues, etc., déferle avec le coca cola, le polar, et le jazz. De jeunes écrivains comme Boris Vian, des connaisseurs des USA comme Michel Pilotin alias Stephen Spriel (traducteur d'Au-dessous du Volcan de M. Lowry), des directeurs de collection qui flairent le bon coup, une jeune femme très remuante dans les médias de l'époque, France Roche : le tout concocte un parachutage de la SF US en France.

 

          Georges Gallet et M. Pilotin créent Le Rayon Fantastique (1951) : on y publie Van Vogt, M. Leinster, Sturgeon. On fait un battage monstre dans France Dimanche (1952) « Français attention, la SF arrive » illustrée de nouvelles, on investit les revues « intellectuelles » de type Temps moderne (1951), Esprit, Mercure de France (1953), Entre-temps, d'autres avaient eu l'idée de publier des éditions françaises de revues de SF, M. Renault avec Fiction (qui dure encore, et continue de servir de lien avec la SF US), d'autres avec Galaxie. Le Fleuve Noir lançait en 1951 une collection Anticipation avec des auteurs français. Et en 1954, se créait la collection Présence du Futur (le titre est de M. Pilotin) pris en charge par Robert Kanters. En quelques années, et jusqu'en 1960 environ, c'est le boom : collections qui se multiplient, auteurs qui produisent, traductions : le bon créneau. La qualité ? Pour les auteurs anglo-saxons traduits, en général c'est bon ; compte tenu du retard pris, il y avait de quoi choisir. Pour les Français, c'est variable. Combien ont écrit et continuent parfois encore, dont on ne tirerait, sur le plan de l'imaginaire, pas plus qu'un pet d'un âne mort ? Qui utilisent les mêmes ficelles que les écrivains du début du siècle, fraîcheur en moins. C'est la cohorte des J. Guieu, des Richard-Bessière, des M. Limat, etc. à qui l'on ne peut rien reprocher que d'être des contre-exemples pour la SF, à un moment (depuis 1960), où elle se veut une dimension originale de l'imagination, et se présente comme « fiction spéculative ».

 

          De nouveaux auteurs voient cependant le jour, d'abord comme imitateurs de la SF US, puis trouvant leur ton de voix. C'est le cas d'un Gérard Klein qui, en culottes courtes, fréquentait la librairie confidentielle des amateurs de SF (La Balance, de Valérie Schmidt) et apprenait l'Américain à toute vitesse, pour traduire Dick dans la revue qu'il allait lancer avec d'autres fans (Satellite, en 1958), d'un P. Curval, qui collabore au Petit Silence Illustré de J. Sternberg, et y fait paraître quelque short short. Puis l'imagination épique prend son essor avec C. Henneberg, S. Wul, K. Steiner. Tous peuvent se lire de nos jours encore. Citons aussi le très en avance sur son temps Surface de la planète de Daniel Drode (Ray. Fant. 1959, réédité en AetD). Parallèlement Fiction, piloté par Dorémieux, est le champ d'essai d'une critique qui acclimate les auteurs étrangers, par le biais de biographies, de rapprochements avec des textes français, de réflexion sur les thèmes, de comptes rendus et d'articles.

 

          Tout semblerait donc aller pour le mieux, mais les faits sont là : le Rayon Fantastique ferme boutique en 1964, la revue Galaxie est morte, l'équipe de Fiction la reprend sous son aile, mais n'y publie que des auteurs anglo-saxons. En somme vers la fin des années 60 la SF française, si elle est reconnue comme un « phénomène de société », est de nouveau en train d'agoniser. Ce qui entraîne encore moins de débouchés pour les auteurs français (Fiction et Anticipation, et quelques rares Présence du futur) : où se faire connaître  ? Où faire ses gammes ? De plus, aux USA, et pour d'autres raisons, une sorte de crise de textes : la SF est en mue. Ce marasme US n'incite pas les auteurs français à faire du neuf. Pourtant, il y a les fameux « événements de Mai 68 » : disons que leur influence sur la SF est, au premier abord, nulle. Quant à l'influence de la SF sur Mai 68... Rien ! à part le fait que certains situationnistes qui ont donné un contenu intellectuel à la révolte, étaient des amateurs de SF. Signalons cependant, en cette période de vaches maigres, l'arrivée de Daniel Walther en 1965 et le premier texte de J.P. Andrevon publié dans Fiction en Mai 68, justement, et au titre emblématique de la SF d'alors : La Réserve. Malgré tout, quelque germes de futur s'annoncent : cauchemars dickiens, souffle ellisonnîen et inspiration ballardienne vont permettre une émancipation rageuse de la SF française, qui va pouvoir dès 1970 s'appuyer sur de nouvelles politiques éditoriales.

 

 

          Lecture
          — Sur l'autre face du monde d'A. Valérie (et autres romans scientifiques de Sciences et Voyages) (AetD. Classiques).
          — L'Anthologie de la science-fiction française (Seghers) :
           Le Grandiose avenir, les années 50, présentée par Monique Battestini et Gérard Klein (1975).
           En un autre pays, la période 1960/1964, présentée par Gérard Klein (1976).
           Ce qui vient des profondeurs, la période 1965/1970, présentée par Jacques Goimard (1977).
          — Histoire de la science-fiction moderne 1911/1984 par Jacques Sadoul (AetD., 1984).
 
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