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Aux origines de Dracula de Bram Stoker

Jacques SIRGENT

Les Mondes de l'Etrange n°4, septembre 2006

          Connaître les sources d'inspiration d'un romancier enrichit la connaissance qu'on peut avoir de l'écrivain et le rend plus proche tout en permettant de mieux cerner et d'appréhender l'œuvre en question. Il y a les sources officielles et historiques ; tous les renseignements réunis qui permettent de rendre le roman plus réel ou convaincant, instructif et passionnant. Mais il est des sources plus troubles qui peuvent avoir inspiré fauteur sans qu'il s'en rende lui-même compte ou ose l'admettre ou se l'avouer. Il est une légende tenace qui dit que Balzac trouvait les noms des personnages de sa Comédie Humaine en se promenant tout simplement dans les allées du cimetière du Père Lachaise. Etrange assertion. Au cours de mes longues recherches sur la question, je n'en ai trouvé que deux : Staub, le tailleur des riches et Valentin, le personnage central de La Peau de Chagrin. Donc rechercher du côté des causes officieuses ayant encouragé, poussé ou même contraint un écrivain à se lancer dans la rédaction d'un ouvrage précis est un projet hasardeux. Le présent article cherche à éclairer l'une des sources d'inspiration majeures du roman Dracula, publié par Bram Stoker en 1897 et qui depuis cette date, est constamment réimprimé dans le monde entier. L'un des enfants de Stoker a présenté la genèse du projet comme étant le résultat d'une indigestion due à une trop grande consommation de crabe et ayant ainsi provoqué un cauchemar horrible dont son père ne se serait jamais remis ! Curieuse façon d'expliquer l'origine d'un roman... Des critiques malveillants ont insinué que Stoker souhaitait juste s'engouffrer dans le créneau des romans dits « gothiques », forts à la mode dès la fin du XVIIIème siècle au Royaume-Uni avec les livres de qualité inégale d'Ann Radcliffe, Horace Walpole, Mary Shelley, Polidor/Byron, et les chefs-d'œuvre absolus que sont le Moine de Lewis, le Melmoth de Mathurin, les confessions d'un pêcheur justifié de Hogg, la dame en blanc de Wilkie Collins et le Carmilla de Shéridan le Fanu. Mais en plus de l'inspiration et des considérations littéraires, financières et artistiques, il y a les motifs profonds qui ont provoqués et déclenchés l'envie irrépressible de coucher sur le papier les aventures d'un personnage hors norme, venu de la nuit des temps et qui hante encore aujourd'hui notre inconscient collectif !

 

          Stoker avait déjà écrit plusieurs ouvrages d'inspiration fantastique dont un recueil de contes pour enfants « sous le coucher de soleil » ainsi qu'un roman « le passage du serpent » et il faisait partie du Golden Dawn, une société ésotérique plus ou moins secrète qui réunissait, entre autres membres, bon nombre d'écrivains connus de cette époque. Il s'est mis en tête vers 1889, d'après des notes très parcellaires et laconiques rédigées en style quasi télégraphique, de rédiger un livre contant les méfaits d'un personnage cruel, quasi éternel sinon immortel et doté de pouvoirs énormes relevant du surnaturel et du démoniaque : Dracula, dont le nom ne lui vint pas immédiatement à l'esprit. Stoker lut énormément d'ouvrages sur la Transylvanie et le phénomène des vampires : le pays au-delà de la forêt (Transylvanie) de Emily Gérard, le livre des Loups garous de Sabine Baring Goul et qui traite succinctement de la comtesse Bathory sans jamais la nommer expressément, « De la dégénérescence » de Max Nordau, James Frazer et son ouvrage sur les coutumes et rites funéraires. Stoker rencontra souvent et se lia d'amitié avec Arminius Vambéry, un savant et peut-être même un agent secret venu de l'est et fort au courant des légendes transylvaniennes et qui lui transmit nombre d'informations utiles à l'élaboration de son roman. Le personnage historique de Vlad Tepes Drakul, vlad III, roi de Moldavie Valachie, né en 1431 et mort dans des circonstances très mystérieuses en 1476. Drakul a fait plus que simplement donner à Bram stoker l'idée d'appeler son vampire Dracula. Il en fit non pas le descendant du voïvode mais sans doute le voïvode lui-même qui, n'étant pas mort en 1476, devint vampire par une mystérieuse alchimie sur laquelle l'auteur ne s'étend pas ! Mais il est une source probable qui n'est jamais évoquée, car elle prend son origine en dehors de l'histoire ou de l'imagination pure et relève tout simplement de ce que l'on appelle un fait divers, bien que le fait divers en question fasse maintenant partie de l'histoire ou du moins des histoires que tout le monde connaît au moins de nom : il s'agit du personnage quasi légendaire que l'on surnomma ou qui se nomma peut être lui-même Jack l'Eventreur et qui sévit officiellement de fin août a mi novembre 1888 sous le règne de la reine Victoria. Avant de chercher plus avant à approfondir cette source qui n'eut aucune influence sur la construction du récit mais sûrement et uniquement sur le façonnage du personnage central du roman, revenons un peu en arrière dans la biographie de Stoker et cherchons à trouver les événements qui ont pu le prédisposer à être intéressé et surtout particulièrement horrifié par les crimes atroces commis par ce Jack l'Eventreur.

 

          Bram Stoker, né en Irlande en 1847 d'un père fonctionnaire et d'une mère attentionnée (trop ?) et très impliquée dans la défense des déshérités et des droits de la femme, eut une enfance étrange et déstabilisante du fait d'une maladie mystérieuse qui le garda alité jusqu'à l'âge de sept ans. On ne sait presque rien de cette affection qui a pu être de nature psychosomatique ou peut-être plus « simplement » une forme de tuberculose osseuse appelée la maladie de pot et dont l'une des caractéristiques est de pouvoir handicaper à vie celui ou celle qui en est atteint ou qui peut disparaître soudainement sans laisser de séquelles apparentes. Le jeune Stoker ainsi immobilisé eut l'avantage ou l'inconvénient d'être totalement dépendant de sa mère et de bénéficier de ses soins incessants et insistants et de l'entendre lui raconter toutes les légendes irlandaises concernant les banshees, ces fées annonciatrices d'un décès proche par leurs » cris plaintifs ou les leenaunshees ces fées atrocement belles qui, séduisent les jeunes gens en leur prenant leur sang et le reste car les fées de la mythologie irlandaise n'ont pas de sang par elles-mêmes et doivent donc s'approvisionner auprès de voyageurs égarés au sens propre et figuré du terme. Mais Madame Stoker mère ne se contenta pas de remplir la tête et l'âme de son fils de contes et de légendes mais lui narra également bon nombre d'anecdotes concernant la grande famine qui sévit en Irlande de 1845 à 1849 et de l'épidémie de choléra qui décima près d'un million d'irlandais entre 1848 et 1850. Elle s'attardait sur les détails macabres concernant les centaines de malades enterrés vivants alors qu'ils n'étaient qu'évanouis. Une pratique couramment employée au moyen-âge pour éviter la propagation du choléra et de la peste ! Elle racontait comment un pasteur défendait à coups de fouet l'entrée de son temple où s'étaient réfugiés des malades que des villageois enragés voulaient mettre en terre absolument ou comment l'un de ses amis dut descendre dans une fosse commune en écartant une dizaine de corps pour récupérer sa femme, encore en vie et gisant au fond de cette sépulture plus que sommaire.

 

          Bram Stoker ne pouvait réagir que mentalement, étant cloué dans son lit ou sur le canapé du salon où il passait toutes ses journées. Il dut ressentir une forme d'impuissance difficilement supportable devant l'horreur que sa mère faisait jaillir devant ses yeux. Cette impuissance était peut-être de même nature que celle ressentie par les Londoniens et les Britanniques dans leur ensemble devant les détails macabres relatés par la presse du Royaume-Uni concernant les crimes de l'éventreur... Dans le cas des épidémies et des famines, l'on ne peut rien faire car il est presque impossible de lutter contre les catastrophes dites naturelles, devant les crimes de ce tueur en série avant l'heure, on ne pouvait rien faire car l'on ignorait l'identité du tueur. Dans les deux cas, l'impuissance engendre une peur qui peut aller jusqu'à la panique. S'il est un détail qui rend impossible que Stoker ne se soit pas intéressé au phénomène de l'éventreur ce sont les gros titres de la presse britannique concernant les crimes de l'éventreur et qui consistaient à le présenter comme étant « un monstre assoiffé de sang d'une espèce nouvelle rôdant dans Londres... » Une phrase pouvant s'appliquer directement au comte buveur de sang. Le mot de vampire fut même employé dans un autre article... Continuons d'explorer les événements dans la vie de Stoker qui ont pu le rendre encore plus sensible aux horreurs qu'accomplissait l'éventreur de Whitechapel.

 

          Stoker vécut deux vies diamétralement opposées à partir du moment où il devint l'employé-associé de l'acteur Henry Irving dans la gestion du théâtre londonien le Lyceum en 1878. Henri Irving était un personnage vampirique au sens psychique du terme qui ne laissait aucun répit à ses collaborateurs même s'ils étaient ses amis (un vampire ne peut agir que si sa victime l'y invite d'après la légende...).Physiquement d'ailleurs Stoker s'inspira d'Irving pour créer son personnage de Dracula presque autant qu'il s'appuya sur l'aspect physique du voïvode de Valachie. Irving était imposant, d'une ironie « mordante » ! Stoker dormait le jour et travaillait toute la nuit au théâtre. Il arrivait même qu'Irving l'enferme le jour pour terminer les comptes. Les vampires font de même ainsi que Jack l'Eventreur qui n'agissait que la nuit (l'un des meurtres eut lieu à 5 heures du matin qui fait encore partie de la nuit dans la mythologie vampirique). Détail plus troublant, comme beaucoup de ses contemporains, Stoker fréquentait les prostituées, du fait de sa relation plus qu'ambiguë avec sa femme Florence, née Balcombe et qui fut un moment la fiancée de son ami Oscar Wilde. Après la naissance de leur premier enfant, Florence qui était considérée à juste titre comme la plus belle femme d'Irlande, déclara à son mari ne plus être intéressée par les relations dites conjugales ce qui poussa Bram à fréquenter plus ou moins assidûment les belles de nuit comme le faisait Jack l'Eventreur. Une réaction causée plus par la frustration que par le simple désir, une caractéristique « purement » victorienne. On peut dire que le personnage ou la légende mais non le mythe, de Jack l'Eventreur symbolise et réunit toute l'hypocrisie, la frustration et le mépris des femmes que représente l'ère victorienne. Bram Stoker, qui, une fois remis en apparence complètement de sa maladie infantile, devint physiquement un géant et un champion d'athlétisme du Trinity Collège, mais vécut toujours à l'ombre d'Irving qui était plus beau et donc plus séduisant que lui. Cela ne pouvait qu'exacerber son désir d'obtenir une notoriété par l'écriture. Encore une forme de frustration qui le poussait à s'intéresser aux meurtres de prostituées commis par un homme ( ?) qui symbolisait toute l'ambiguïté des relations que les Anglais entretenait avec les femmes en général. Il ne faut pas oublier la violence qui caractérisait la place accordée aux femmes dans cette société à l'ambiance étouffante. Elles n'avaient pas le droit de vote ni le droit d'exercer des métiers « nobles ». Les travaux manuels exténuants auxquels elles étaient soumises 16 heures par jour pour un salaire de misère oscillant entre 10 et 4 shillings la journée les poussaient dans la prostitution qui leur rapportait par jour ce qu'elles gagnaient en une semaine.

 

          La société victorienne à partir de 1850 connut une progression fulgurante de meurtres commis par des femmes. Comme si la seule forme d'exutoire que les femmes pouvaient adopter était la violence la plus extrême. La société condamnait cette attitude mais se montrait relativement clémente dans ses jugements. Quand une femme issue des couches modestes de la société était jugée pour meurtre, elle était généralement condamnée à être pendue jusqu'à ce que mort s'ensuive. Par contre quand elle était issue de la bourgeoisie, elle se contentait de faire quelques années de prison avant d'être discrètement libérée comme si la société victorienne reconnaissait à certaines femmes le droit de compenser les frustrations auxquelles la soumettait l'ordre moral. Cette violence compensatrice de certaines femmes a pu aussi influencer Stoker dans sa rédaction de Dracula puisqu'il n'y cite que des hommes forts et que les femmes n'y sont présentées que comme victimes réelles ou potentielles.

 

          On n'a jamais attrapé l'éventreur ni même cherché à connaître le nombre exact de ses victimes : non pas cinq comme officiellement établi mais plus proches des trente sept victimes sur une période de dix ans ! Un meurtre de prostituée, Martha Tabram, commis le 7 août 1888 fut attribué par la police à l'éventreur. Quoi qu'il en soit, toutes les victimes étaient pauvres, alcooliques (ce qui peut expliquer qu'aucune victime n'ai jamais ameuté le quartier par ses cris). Il s'agissait de prostituées et de femmes tout simplement. Quel intérêt à découvrir qui les massacrait ? Scotland Yard créé en 1828 entra en concurrence avec le City of London Police, dont la tâche principale était de protéger la city, et cette guerre des polices ne fit guère progresser l'enquête bien que dans son ensemble, la police s'acquitta remarquablement de son travail, interpellant quatre suspect dès le 11 septembre 1888 : Jack Pizer, John Richardson qui furent libérés et William Piggot et Joseph Issenschmidt qui furent internés dans des asiles psychiatriques. Des dizaines de milliers de tracts furent distribués et une imposante somme d'argent (2400 livres) proposée comme récompense à toute personne donnant des informations permettant l'arrestation de celui qui fut abusivement surnommé « Jack l'Eventreur ». On peut aussi dire que le Yard n'était pas là pour trouver l'assassin mais pour prouver que le coupable n'était pas le fils de la reine Victoria, le prince Albert que la rumeur populaire bien plus que la presse présenta un moment comme étant le suspect principal. Il fréquentait les prostituées, (on voyait souvent le carrosse Royal traverser à vive allure Whitechapel) il était légèrement handicapé sur le plan mental. Le fait qu'il n'ait jamais fait d'études de médecine fut retenu à sa décharge puisque les crimes de l'éventreur dénotaient un certain savoir faire chirurgical. Mais le prince Albert était un grand chasseur devant l'éternel et quand on sait découper le gibier, l'on peut aussi mutiler une femme et lui prélever tous ses organes vitaux. Il était comme le comte Dracula, de sang royal. D'ailleurs, plusieurs des suspects estampillés comme ayant été un éventreur potentiel étaient originaires des Balkans ou possédaient un nom a consonance balkanique.

 

          Aaron Kosminski, suspecté en 1894, mais aucune charge ne fut retenue contre lui. Michel Ostrog, condamné plusieurs fois pour vol avec violence. Le docteur Alexandre Pedachenko, aussi connu sous le nom de Comte Luiskovo ! Mais il se pourrait que ce suspect n'ait jamais existé, comme les vampires... Un suspect de sang royal a pu inspirer à Bram Stoker de créer un tueur en série d'ascendance noble : Le prince Albert Victor (Eddy pour ses amis) ne fut réellement suspecté que longtemps après que les crimes aient officiellement pris fin. Le cinéma le présente cependant à maintes reprises comme étant Jack l'Eventreur dans plusieurs des meilleurs films sur ce criminel hors normes. La presse ne fit jamais vraiment état des soupçons qui pesaient sur le prince Albert mais il faut prendre en compte que Bram Stoker fréquentait les cercles les plus élevés de la société londonienne, ainsi que bon nombre de journalistes qui étaient autant de confrères. Il est donc à peu près certain qu'il dut être à un moment ou un autre au courant des soupçons concernant ce membre de la famille royale. Il y eut aussi la théorie de la conspiration royale qui fut illustrée au cours de ces dernières années par les deux bons films que sont « Meurtre par décret » avec dans le rôle de Sherlock Holmes luttant pour découvrir l'identité du tueur, Christopher Plummer et From Hell avec dans le rôle principal de l'inspecteur de Scotland yard chargé de l'enquête, Johnny Depp. Cette théorie impliquait le prince Albert aurait eu un fils avec une jeune prostituée ou du moins une jeune catholique ( !) pauvre du nom de Alice Mary Crook (qui signifie bandit en anglais). Il s'agissait donc de faire tuer la mère et toutes les femmes au courant de cette naissance qui était un crime de lèse majesté. Les cinq femmes auxquelles Mary aurait pu confier son fils sont donc les cinq prostituées massacrées de manière à faire croire à des meurtres de maniaques.

 

          Des études récentes mettent maintenant l'accent sur la symbolique du sang et l'aspect racial dans le roman Dracula. Les mésalliances et les alliances contre nature viciant le sang du peuple anglais dans son ensemble. L'immigration massive et forcée d'Irlandais pauvres vers l'Angleterre après la grande famine faisait redouter aux anglais cette source de « pollution » extérieure. Les Irlandais buvaient beaucoup (du gin) et faisaient beaucoup d'enfants. Dracula boit beaucoup (de sang) et multiplie les victimes qui se reproduisent en quelque sorte entre elles. Il représente l'étranger qui fait peur, le métèque, l'agression extérieure. Ses origines nobles n'adoucissent en rien la peur qu'il provoque. Mais le mode opératoire de l'éventreur se rapproche un peu de celui d'un vampire : il est précisé par bon nombre de ripperologues (spécialistes de l'éventreur) que les photos des victimes et les rapports des médecins légistes indiquent clairement que les victimes du tueur auraient présenté au cou des blessures pouvant s'apparenter à des morsures. Blessures maquillées par les autres mutilations qui auraient été accomplies après coup. Il existe aussi deux traces de procès verbaux de prostituées ayant porté plainte contre un client particulièrement violent qui les aurait mordues toutes deux au cou avant d'être mis en fuite. Ces plaintes ne furent jamais suivies d'aucune enquête... Bram Stoker, s'il s'est intéressé de près au déroulement de cette affaire, a pu être mis au courant de cette « anecdote ». Pour en revenir à l'aspect purement narratif du roman Dracula et aux liens qu'il peut avoir avec le mode opératoire de l'éventreur, il ne faut pas oublier que le comte Dracula, en plus de Carfax Abbey fit l'acquisition de plusieurs demeures plus discrètes disséminées dans Londres afin de pouvoir y entreposer plusieurs de ses cercueils et ainsi disposer de plusieurs points de chute au cours de ses sorties nocturnes meurtrières. Il est pour ainsi dire impossible que Jack l'Eventreur n'ait pas lui aussi pu disposer de plusieurs « sorties de secours » lui permettant, tel un vampire de littéralement se volatiliser ou se transformer en courant d'air.

 

          La description physique que Jonathan Harker donne de Dracula : un homme assez fort, pas très grand, portant moustaches correspond de très près aux rares descriptions faites par des témoins considérés comme fiables et enregistrées comme ayant aperçu l'éventreur accompagnant certaines victimes avant leur mort. Concernant le meurtre d'Annie Chapman, commis le 8 septembre 1888, madame Elisabeth Long dit que l'homme entraperçu avec Annie était un peu plus grand que sa victime (qui mesurait 1 m55), sa peau était sombre et il paraissait d'origine étrangère. Concernant le meurtre d'Elisabeth Stride, commis le 30 septembre l'agent de police William Smith précise que l'homme qu'il avait vu avec Elisabeth mesurait à peu près 1m7O et était d'allure respectable. Pour le meurtre de Mary Jane Kelly, commis le 9 novembre, George Hutchinson affirma que l'homme entraperçu avec sa future victime mesurait 1m67, était vêtu élégamment, portait moustaches et était sûrement un étranger.

 

          Toujours au sujet du meurtre de Mary Jane Kelly, une prostituée, Mary Ann Cox, indiqua qu'elle avait vu sa « collègue » avec un homme « costaud, de petite taille avec une moustache fournie ». Un autre détail autant biographique, psychologique et sociologique insiste sur le lien possible et probable entre Jack l'Eventreur et l'esquisse du personnage du comte Dracula. Il s'agit de la nature des victimes de ces deux prédateurs ainsi que celle des femmes que l'épouse de Stoker le poussait à fréquenter.

 

          Stoker fréquentait les péripatéticiennes et se « transformait », se déguisait comme tous ses contemporains pour ses virées nocturnes (ainsi que le faisait le peintre Walter Sickert ce qui a poussé l'auteur américaine Patricia Cornwall a en faire son suspect préféré). En quelque sorte les victoriens se transformaient tels des vampires pour aller exploiter leurs « victimes » féminines. Dracula ne séduit pas ses victimes mais les attaque de nuit alors qu'elles dorment ce qui apparente ses agressions à une forme d'hypnose puisque après la première attaque ses victimes ne sont qu'en apparence consentantes. La femme même de Stoker se droguait au laudanum, comme bon nombre de ses contemporains d'ailleurs. La femme d'un ami très proche de Stoker, le poète Dante Gabriel Rossetti, mourut d'une overdose de laudanum. Les comédiennes que côtoyait Stoker au théâtre en tant que directeur et régisseur général, étaient sous la coupe exclusive d'Irving qui ne tolérait pas de monter une pièce où le premier rôle était dévolu à une femme. Un microcosme de la société anglaise de l'époque. Toutes les victimes, sauf Mary Jane Kelly, avaient plus de 40 ans mais toutes paraissaient avoir au moins vingt ans de plus. Leur mode de vie, une alimentation pauvre et leur alcoolisme surtout les vieillissaient prématurément. Boire de l'alcool vous fait paraître plus âgé alors que boire du sang vous rajeunit. Bram Stoker n'a t-il pas été frappé par cette caractéristique presque antinomique ?

 

          Toutes ces femmes ont en commun d'être sous influence et de ne disposer d'aucun libre arbitre. Achetées, tuées, hypnotisées, commandées, et dans tous les cas de figure, meurtries et victimes involontaires. A l'image de ce que fut souvent la femme au cours des siècles passés et ce qu'elle est même encore maintenant dans trop de pays. Le roman Dracula recèle encore bien des mystères ainsi que l'affaire de l'éventreur. Nous y reviendrons.
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