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Fantastique

George W. BARLOW

Le Monde de la SF. M.A. Editions, juin 1987

          Bien que associés sous le nom de « littératures conjecturales » (Pierre Versins) ou « différentes » (Jacques Bergier), la S-F — procédant de l'esprit scientifique, qui vise à tout expliquer rationnellement — et le fantastique — fondé sur l'intrusion dans le normal d'éléments irrationnels — semblent diamétralement opposés. Comment alors peut-il y avoir des genres intermédiaires — « science fantasy », « heroic fantasy » ? Comment se fait-il que Robert Bloch y voie « les deux faces d'une même pièce », que Sternberg définisse la S-F comme « une succursale du fantastique » ?
          Une première explication serait que la SF, aliment moderne à la soif de merveilleux, doit éliminer son aliment ancien. « Les phénomènes surnaturels tendaient à se transformer en événements parfaitement naturels sous l'effet d'un examen détaillé », écrit Sheckley dans Fantôme 5 (Ghost V, 1954 in Le livre d'Or de R. Sheckley) où les explorateurs d'une planète sont victimes de monstres issus de leur subconscient sous l'effet d'un gaz. Même tentative de réduction du surnaturel au naturel pour les fées et les elfes dans La Réserve des lutins (PdF — Goblin Reservation, 1969) de C. Simak, pour les garous dans Plus noir que vous ne pensez (Presse Pocket — Darker than you think, 1949), de J. Williamson pour les élémentaux et singulièrement la salamandre dans Le Sang des astres (Masque 1963) de Nathalie Henneberg. Le fantôme de van Vogt (The Ghost, 1942 lu le Livre d'or de van Vogt), c'est un vieillard sénile qui pénètre dans le futur parce qu'il a perdu le sens du temps, comme il pénétrerait chez le voisin parce qu'il a perdu le sens des lieux ; avec Fantôme de Kuttner et Moore (Ghost, 1943 — in Déjà demain, Ahead of time, 1953 PdF), on franchit un nouveau pas vers le plausible — la station antarctique est hantée parce que les cerveaux radioatomiques ont été impressionnés par le suicide de l'opérateur — mais aussi vers le retour au merveilleux : « Avec les intégrateurs, vous avez ouvert la route au surnaturel. »
          Le grand mot est lâché : remplacez « intégrateurs » par bio-technique », et c'est Le principe du Loup-Garou de Simak ; par « radiations mutagènes », et ce sont les vampires de Matheson dans Je suis une légende. Bien loin donc de se pencher sur les mythes moribonds pour leur donner le coup de grâce, la S-F leur donne le baiser de la vie : cadre ou justifications qui les rendent plus acceptables au lecteur moderne — éloignement dans l'espace pour la Méduse dans « Shambleau » de C. Moore, éloignement dans l'avenir pour la Sirène dans Le Monde vert de B. Aldiss, bouleversement du temps et de l'espace à bord d'une arche stellaire dans La Geste du halaguen de Jean-Pierre Fontana (Néo — 1975, sous le pseudonyme de Guy Scovel).
          L'intention de l'auteur ici n'est évidemment pas de fournir une « explication scientifique au mythique « Doppelgänger », mais de s'exprimer sur la terrible rencontre avec un autre soi-même et sur le dédoublement de la femme aimée. De même, c'est l'impossibilité de se résigner à la mort de celle-ci, source du mythe d'Orphée et Eurycide, qui inspire Klein dans « Un chant de pierre » (1963 in histoires comme si..., 10/18), Ruellan dans Tunnel, Delany dans L'Intersection Einstein et Vladimir Volkoff dans Métro pour l'enfer (PP — 1963). Si Heinlein a écrit Marionnettes humaines, ce n'est pas pour prophétiser une invasion extraterrestre, mais pour redonner un contenu à la vieille hantise de la possession. De même Catherine Moore fait rencontrer à son « Aventurier de l'espace » la Nymphe des ténèbres, Yvala et le Dieu gris, ce n'est bien évidemment pas pour mettre en garde les futurs astronautes sur ce qui les attend mais pour formuler le lien en elle entre Eros et Thanatos.
          Ainsi l'œuvre fantastique (où dans un cadre d'un réalisme convaincant font irruption des phénomènes inouïs qui le font éclater) et l'œuvre S-F (où le cadre normal d'aujourd'hui est soigneusement élargi pour tolérer des phénomènes inouïs) ont un même projet, comme l'a bien analysé Christine Renard dans sa thèse de doctorat de psychologie, Etude des phantasmes dans la littérature dite de science-fiction (1967) : permettre l'expression des rêves et de cauchemars ancrés dans la chair et dans l'âme de l'auteur, et même de l'humanité.
          Lecture :
          Epouvante et surnaturel en littérature par H.P. Lovecraft (Supernatural horror in literature, 1919-39 — Christian Bourgeois éd.)
          Introduction à la littérature fantastique par Tzetan Todorov (1970 — Seuil)
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