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Jean Dickens lecteur de Charles Ray

Ou Jean Ray et Charles Dickens : notes sur une intertextualité

Michel LAMART

Phénix n°32, septembre 1992

« Le fantastique selon Jean Ray feint de parler du réel et n 'arrête pas de citer la littérature. »
 
          De Jean Ray, on s'est surtout appliqué à ne voir que l'écrivain fantastique. Quand paraissent « Les Contes du Whisky », en 1925, Gérard Harry salue, dans le Figaro, « Un Edgard (sic) Poe Belge », tandis qu'André de Lorde situe l'auteur, grâce à ce recueil, à « un rang enviable parmi les écrivains du »genre terrifiant« .
          L'œuvre de Dickens pâtit, quant à elle, d'une éclipse assez inexplicable. Jean Gattégnon, dans son « Dickens » (Seuil, collection Écrivains de toujours), n'hésite pas à évoquer « le cas Dickens ». C'est que l'auteur de David Copperfield est définitivement relégué, semble-t-il, dans le ghetto des auteurs dits « pour la jeunesse ». Est-il pour autant lu par les enfants et adolescents qui s'ennuient sur les bancs des écoles et collèges ?
          Rien n'est moins sûr ! Pourtant, et ce n'est pas là le moindre paradoxe, Dickens a toujours été un auteur populaire. Il faut dire que les 1000 pages de Nicolas Nickleby ou les 1300 pages de Martin Chuzzlewit ont, de par leur longueur, de quoi décourager ceux qu'une nouvelle de trois pages rebute.

          Quant à Jean Ray, personne ne semble le connaître, en France, dans la tranche d'âge des 10/16 ans. Crise de lecture (pourtant les jeunes lisent davantage que les adultes !) et manque de curiosité sont les maladies chroniques de la littérature d'aujourd'hui 1.
          A en croire ceux qui l'ont fréquenté, Jean Ray lisait peu (cf De « l'autre côté » avec Jean Ray, article du père Pierre Pirard in l'Herne 38, 4è trimestre 1980), excepté Dickens « qu'il relit ». Ce point est, du reste, confirmé par notre fantastiqueur lui-même dans un entretien avec Francis Lacassin, publié dans le Magazine Littéraire n°66, intitulé « Littérature Fantastique ». A la question : « Aviez-vous subi des influences littéraires ? A bord, vous aviez le temps de lire ? », notre auteur répond : « Pas d'influences, non. Et je lisais très peu : seulement Dickens, Fritz Reuter et la Bible. » Jacques Van Herp confirme : « Jean Ray a subi diverses influences. Ainsi celle de Dickens, qui le dota largement de petites villes anglaises, figées dans le temps, peuplées de silhouettes de bourgeois épicuriens et replets, de maîtres d'école-bourreaux, et d'originaux de tous poils », (L'Herne, opus cité, in l'Univers de Jean Ray, p. 236).
          La référence à l'un des plus grands (si ce n'est le plus grand !) écrivains anglais du XlXè siècle est constante, aussi bien dans les propos de Jean Ray que dans son œuvre. Aussi m'a-t-il paru intéressant de recenser les clins d'œil, citations et réminiscences diverses de l'œuvre de Dickens qui abondent dans celle de Jean Ray.
          Mon but est moins de dresser un bilan exhaustif et commenté de ces références que d'indiquer quelques pistes de réflexion.
       La question que l'on peut, d'emblée, se poser est la suivante : pourquoi Jean Ray renvoie-t-il constamment en la citant, voire en la commentant, à l'œuvre du maître britannique ? Est-ce pour renforcer un fantastique qui peut paraître plus crédible dans les brumes londoniennes ? Est-ce pour rendre un hommage permanent aux talents de conteur de son modèle ? Est-ce parce que Jean Ray a senti que le fantastique urbain devait s'enraciner de la même façon dans un lieu (le Londres mythique) que dans une histoire (la société post-victorienne — noter à ce propos que dans « La volonté de savoir » et, plus particulièrement, dans le premier chapitre intitulé « Nous autres, victoriens », Michel Foucault rappelle que notre société réprime le sexe qu'elle évacue, dans la mesure où il est incompatible avec « une mise au travail générale et extensive ». Force est de constater que la sexualité est presque complètement absente de l'œuvre de Ray, alors qu'elle figure, de façon certes allusive, dans celle de Dickens : voir le personnage de Quilp, dans « Le magasin d'antiquités ») voire une culture.
         Dans un premier temps, nous nous efforcerons de relever les allusions faites à Dickens par Jean Ray dans les contes signés sous ce pseudonyme (il serait intéressant de faire un travail analogue à propos de l'œuvre publiée sous le pseudonyme anglo-saxon -et transparent — de John Flanders. Peut-être permettrait-il de souligner le fait que les citations sont plus rares, comme si le pseudonyme anglais permettait à l'auteur du « Monstre de Borough » de s'inscrire plus directement dans la littérature anglaise), puis nous ferons quelques remarques d'ordre onomastique sur les œuvres des deux auteurs, avant de conclure.
 
Recueils Commentaires

          Contes du Whisky 1925 (Irish Whisky)

          Extrait

          « Comment dites-vous ? C'est comme Marley et Scrooge dans les contes de Noël de Dickens. C'est bien cela, c'est bien cela ! Vous connaissez Dickens, monsieur ? »C'est fort bien !... Tous les soirs, je lis une ou deux pages de Dickens. C'est mon bréviaire à moi... Les trois nuits fantômales de Scrooge ; l'aventure de Thomas Veck dans la haute tour aux cloches ; la chanson du grillon et celle du vieux Caleb devant le verre où dansotte la flamme bleue du punch ; et l'auberge du Houx, monsieur, et l'ombre de l'homme possédé, et ce que racontèrent, par un Noël de détresse, les sept voyageurs pauvres... « Vous aimez Dickens, monsieur ? Mais vous êtes mon frère ! Je vous aime presque... » PP 8/9



          « La cité de l'indicible peur » 1943

          Extrait :

          « En quittant Londres, il (Triggs) avait acheté en solde, chez un libraire de Paternoster Row, les œuvres complètes de Dickens, illustrées par Reynolds. Il s'amusa d'abord à regarder les images et, certains personnages lui paraissant sympathiques, il en commença la lecture par les aventures de Nicholas Nickleby. » p.27

          « Même M. Gregory Cobwell, chez qui Triggs découvrit une détestable ressemblance avec M. Squeers, l'odieux maître d'école de Greta Bridge, se montra aimable et prévenant à son égard... » p.28

          « M. Pycroft avait été parmi les premiers habitants d'Ingersham à lui souhaiter la bienvenue, et Sigma avait eu beau fouiller le monde de Dickens, il n 'avait pu y situer l'apothicaire. Il s'en était ouvert à M. D. Doove, qui lui avait demandé s'il avait lu »Le Magasin d'Antiquités« , et sur sa réponse négative, le vieux scribe avait murmuré :

          — Il est vrai qu'on a toujours le temps pour faire connaissance d'un M. Quilp...« p. 139

          « — Ce n 'est pas une chose ordinaire, déclara-t-il

          (Wheel) après réflexion, et je ne m'y connais pas. Je n'ai jamais lu que Walter Scott et Dickens et il ne faut pas songer à imiter ces hommes de génies : tout le reste est mazette en matière de livres.« p. 145

          « Redoutant la rencontre des gens posant de sempiternelles questions à ce sujet, il (Triggs) resta confiné chez lui, fumant d'interminables pipes, feuilletant les gros tomes de Dickens sans parvenir à s'y intéresser. » pp. 165/166

          « Pour l'heure, tenez-vous bien tranquille, mangez, buvez, fumez votre pipe et lisez Dickens. Il n 'y aura rien de tel... Triggs soupira ; une heure après, il bourra sa pipe et reprit la lecture de Nicholas Nickleby. » p.206

          « — Vous me rappelez un brave homme de maître d'école, chef ; tenez, il ressemblait à Micwaber dans David Copperfield... » p.217

          « A propos, Sigma-Tau, saviez-vous qu'il y a dans l'œuvre de Dickens, dans Black House, un détective du nom de Basket ? » PP 232/233



          « Le livre des fantômes » 1947 La choucroute

          Extrait :

          « Comme Dickens disait »Tout en Squeers« , je dis »tout en Buire« quand je songe à l'étrange aventure qui fut mienne. » p.41



          « L'histoire de M. Marshall Grove »

          Extrait :

          « Les angles de son visage s'arrondirent, au point de lui donner l'aspect poupin et bienveillant d'un monsieur Picwick revenu à la jeunesse ».

          Il remarqua avec joie qu'en ses moments de détente et de confidence, le vieux Parker aimait émailler la conversation par les savoureuses « Wellerines », ou expressions chères à l'ineffable Sam Weller...« p. 100



          « Rues »

          Extrait

          « ... chaque maison, chaque rue possède son squelette, comme l'a dit Dickens. » p. 183



          « 25 histoires noires et fantastiques » 1961 Le psautier

          Extrait

          « — Cela me rappelle Squeers, dis-je, le maître d’école de Gretabridge dans le Yorkshire, dans Nicholas Nickleby. Vous n'avez pas le type de ce vilain homme. » p. 128

          « Je ne puis me retenir de reprendre une phrase de Dickens : Tout en Balister ! » p. 129



          « Le carrousel des maléfices » 1964

          Bonjour, Mr Jones !

          Extrait :

          « Et, presque aussitôt, je m'écriai : — Dickens ! Charles Dickens ! Il s'inclina et ses yeux riaient... riaient...

         - J'aime beaucoup Dickens, dit-il. Ses livres sont pour moi comme autant de bréviaires. Au moment de votre arrivée, je relisais Nicholas Nickleby et j'en étais au passage où Nicholas, tourmenté par la faim, accepte l'invitation de manger, à la table du brave M. Crummle, un pudding de filet de bœuf. C'est très bon le filet de bœuf et vous en mangerez chez les Arrowsmith.« pp. 3 8/3 9

          « Les miroirs ne me renvoient pas l'image de Dickens, mais la mienne de toujours. » p.40

 

 

        Ici, c'est tout un univers qu'il s'agit de mobiliser pour installer une ambiance. L'opposition Noël/whisky est intéressante : comme si les œuvres elles-mêmes étaient directement opposables, le sacré créant une antithèse avec le profane.

 

 

 

 

 

          Il est remarquable de noter que le début de l'aventure coïncide avec l'acquisition des œuvres complètes de Dickens dont la lecture jalonnera la progression du récit comme pour lui opposer un double.


 

          Noter que Dickens est la référence obligée que tout le monde connaît et cite ! Cela permet de renforcer la complicité entre les personnages.

 

          Scott et Dickens en tant que valeurs littéraires supérieures. Bon choix pour quelqu'un qui ne « s'y connaît pas » !


 

          Lecture mécanique ou tentative d'aller et retour d'un univers à l'autre ?


          Ce conseil ressemble presque à une prescription médicale !


          Il est rare, chez Dickens, que les maîtres d'école soient braves ! C'est même souvent le contraire.

          Coquille ou erreur de la part de Jean Ray : le détective de ce roman s'appelle « Bucket », non « Basket » !


 

 

 

 

          La citation permet d'amorcer le récit.

 

 

 

 
          Intéressant, ce thème du rajeunissement et finalement, de l'éternel recommencement cher à la littérature fantastique.

 

 

 

 

 

          De la ville comme présence palpable de la mort.


 

 

 

 

          Figure plus que personnage. Cette référence est constante (cf « La choucroute »)

 

 

 

 

 

 

 

          Retour du sacré (bréviaire). Ici, le narrateur qui cherche le diable reconnaît Dickens en M. Jones avant de devenir M. Jones, alias le diable. Cette étonnante réversibilité d'un auteur comme l'autre joue aussi dans le texte puisqu'on passe d'une situation prise chez Dickens à des personnages de Ray. Curieux texte où Ray joue à être Dickens. Pour Ray, le démon « c'est plutôt une force quasi fraternelle ». (Propos in Fiction 126).
  
 
          On le voit dans ce tableau, les citations jouent un rôle essentiellement référentiel. Elles renvoient au texte de Dickens pour les exigences narratives suivantes :
          — par analogie (économie d'une description de personnage),
          — pour créer une ambiance ou une complicité, — pour renvoyer à un type allégorique (Squeers, Quilp = antipathie),
          — pour louer le génie inégalable de Dickens, — pour établir une ressemblance (Micawber, Jones).

          Les résurgences de l'œuvre de Dickens, ses réminiscences, sont autant d'îlots culturels qui renvoient le lecteur à la grande littérature par effet de miroir. Ce sont autant d'Hélio-taquins (Cf « La cité de l'indicible peur ») qui agacent l'œil du lecteur et créent une situation de déséquilibre qui fait que, quand on plonge profondément dans la peur (c'est-à-dire le fantastique), ils assurent autant de prises culturelles qui soutiennent et renforcent le plaisir de lecture (opposition du connu — le fragment cité — à l'inconnu). On trouve ce procédé également chez Borges : le texte qui appelle — et donc se dérobe, se défait, s'efface — et qui cite d'autres textes en écho, ce qui permet une démultiplication du sens pratiquement à l'infini, Comme si la littérature fonctionnait en continuité et refusait le discontinu (la rupture) qu'impose souvent le fantastique. Le fantastique étant un rapport de soi à soi, une mise à distance de soi par le truchement de l'imaginaire, le recours aux textes périphériques permet d'éviter cette plongée totale (cette perte de soi) qu'induit la littérature fantastique (cf Hodgson et la thématique du « bord du monde », de la plongée vers l'inconnu, du maelström que l'on retrouve également chez Lovecraft). La citation chez Jean Ray, est un véritable garde-fou 2.
          Il convient aussi de montrer comment le modèle (Dickens) agit parfois sur la création de Jean Ray.
          Dans les Archives posthumes du Picwick Club, on trouve une jolie histoire fantastique dans laquelle les objets — et plus particulièrement un fauteuil — jouent un rôle prépondérant. Elle s'intitule « L'histoire du commis voyageur ».

          Tom Smart, ayant échappé à la pluie glacée d'une soirée d'hiver, trouve refuge dans une auberge. Depuis le coin du feu où il se trouve très confortable, il balaie du regard « la charmante perspective du comptoir, avec ses délicieuses rangées de fromages, de jambons bouillis, de bœuf fumé... », jusqu'à apercevoir « derrière le comptoir une veuve appétissante » 3, courtisée par un grand homme à cheveux noirs. La nuit, il est tiré de son « rêve confus de grands hommes et de verres de punch » par le fauteuil de sa chambre qui est, en réalité, la matérialisation d'un gentleman du siècle passé. Celui-ci apprend que son rival, Jinkins, est marié et qu'il a abandonné sa femme avec six enfants en bas âge. Le lendemain, Tom trouve, dans une armoire, un pantalon contenant une lettre qui compromettra Jinkins et permettra à l'audacieux commis voyageur de consoler la veuve et de devenir aubergiste.
          Cette histoire ressemble curieusement à « J'ai tué Alfred Heavenrock » (in « Les 25 meilleures histoires noires et fantastiques »). Qu'on en juge ! Le narrateur, un colporteur, a troqué le cheval contre un vélo. Il vend « tout ce qu'il faut pour se faire un visage glabre et propre ». Il cherche Chelsfield mais ne trouve que le village de Ruggleton détruit par les V1 allemands, dont il ne subsiste que la maison à louer de Florence Bee. En bavardant avec la demoiselle, il a l'idée de s'inventer un cousin imaginaire qui servira ses plans : s'approprier la maison et le cœur de Miss Bee. Il le nomme Alfred Heavenrock. Il se déguise et revient se présenter, sous ce nom, à la vieille fille à qui il trouve le moyen de déclarer que David, le narrateur, est amoureux d'elle. Il ne lui reste plus qu'à tuer Alfred, devenu encombrant. Tout se passe pour le mieux et notre colporteur n'a plus qu'à convoler en justes noces avec la demoiselle. Ils ont un fils méchant et cupide, Freddy, seule ombre à leur bonheur. Jusqu'au jour où Alfred Heavenrock apparaît pour de bon et enlève la femme. Le colporteur est doublement puni, puisqu'il se retrouve seul avec son fils infernal...
          Dans les deux contes, on trouve à l'origine le même désir : obtenir la chaumière et le cœur grâce à un subterfuge. Dans les deux cas, le fantastique dénoue les situations, favorablement chez Dickens, tragiquement chez Ray où l'imposteur est puni. Dans les deux cas, tout rentre finalement dans l'ordre et la morale est sauve.
          Il reste à évoquer l'importance que revêt le nom chez nos deux auteurs.
         Dickens en fait un élément de son comique. Chez lui, le nom porte souvent en germe une charge narrative intéressante. Ainsi, par exemple, on trouve dans M. Picwick (dont on connaît les rondeurs) la fameuse rencontre entre le comte smoltork et le héros chez les Chasselion. Le comte se plaît à le tourner en dérision en mettant son nom à mal. Le patronyme subit les avatars suivants :
          Pigwig (cochon : pig + perruque : Wig) — Bigwig (wig : perruque portée par les juges britanniques) — Pick-Wick (pique figue).
          Jean Ray utilise le même procédé. Dans « Les derniers contes de Canterbury », le secrétaire du club littéraire se nomme Tobias Weep (to weep : pleurer à chaudes larmes) : « Je suis le nommé Tobias Weep, et c'est sans joie ni orgueil que je porte ce nom trop banal » (P 7). Si l'on se reporte au conte cité plus haut, on s'aperçoit que Miss Bee (bee : abeille) attire par son miel (son argent) le narrateur qui périra de la manière dont il a péché (Heavenrock : littéralement pierre céleste, annonciatrice du châtiment).
          On trouve bien, chez Dickens autant que chez Jean Ray, le même goût pour l'onomastique. Il est à noter que le nom a, chez ces deux auteurs, un contenu dramatique non négligeable qui, tantôt renvoie à une fonction comique (Winkle, Tupman ... chez Dickens), tantôt à un destin (Heavenrock chez Jean Ray).
          En conclusion, on peut dire que tout questionnement comporte, en lui-même, ses propres réponses. Il existe une parenté réelle entre les paysages des Flandres (John Flanders) et la campagne anglaise. Jean Ray la souligne souvent (notamment dans « La cité de l'indicible peur »). D'autre part, Jacques Carion, dans son ouvrage sur Jean Ray, rappelle que le fantastique belge, au moment où l'auteur de Malpertuis commence à publier son œuvre, est une littérature sous influence anglo-saxonne. Et Carion de citer Poe, Scott, Hoffmann et Stevenson. Il est évident que Jean Ray n'a cessé de rendre hommage à Dickens avec une constante (et troublante) régularité, S'il se peint sous les traits de Dickens (Bonjour, Mr Jones), c'est pour mieux rappeler ailleurs qu' « il ne faut pas songer à imiter ces hommes de génie » (Scott et Dickens). Si Hugo était ce fou qui se prenait pour Hugo, selon le mot célèbre, nul doute que Ray ne s'est jamais pris (complètement) pour Dickens. En tout cas pas au sérieux ! En fait, tous deux font de la ville le lieu fantastique par excellence (celui du fantasme) où sommeillent la peur et le diable (le Londres de Dickens est essentiellement nocturne).
          Trouve-t-on un itinéraire de lecture de Dickens à peine caché dans l'œuvre de Jean Ray ? En relisant les contes de l'auteur des Contes du Whisky, nous ne pouvons pas ne pas nous poser ces questions : l'œuvre de Jean Ray n'est-elle pas, dans une certaine mesure, le fruit bénéfique de la lecture de Dickens ? Les contes de Jean Ray ne sont-ils pas contenus dans l'univers de Dickens ? Ne peuvent-ils s'y enchâsser comme les digressions en forme de récits qui constituent les aventures picaresques de M. Picwick ? En tout cas, le problème de l'identité culturelle de l'écrivain est posé par l'œuvre de Jean Ray. Jusqu'ici, on a pensé que la SF était un genre essentiellement anglo-saxon. Jean Ray nous rappelle que le fantastique est, par essence, britannique.

 

          Bibliographie ;
          Toutes les œuvres de Jean Ray citées renvoient à la pagination des éditions Marabout qui ont beaucoup fait pour la divulgation de l'œuvre. « Le monstre de Borough » a été publié chez Casterman. Fiction spécial Jean Ray N° 126, mai 1964. « Jean Ray », Jacques Carion, Editions Labor, Bruxelles, 1986. Cahier de l'Heme n° 38 consacré à Jean Ray, Paris, 1980.Le magazine littéraire n° 66, Littérature fantastique. Tous les titres de Dickens cités sont disponibles en collection de poche 10/18 (U.G.E.)« Dickens », Jean Gattégno, Le Seuil, Écrivains de toujours, Paris, 1975. « La volonté de savoir », Michel Foucault, histoire de la sexualité I, Gallimard, Paris, 1976.

 


Notes :

1. Selon un sondage récent, les 8/12 ans ne s'intéressent à la lecture qu'en 10è position, après la famille, les animaux, les jeux, la nature, les autres, leur avenir, l'école, le sport, l'argent ! Un garçon sur quatre n'avait lu aucun livre depuis la rentrée (sondage réalisé entre le 25 octobre et le 5 novembre 1986 par Télérama).
2. — « Dans l'œuvre de Jean Ray, on est toujours sur le point de découvrir quelque chose, au bord du vide qu'est la présence horrifiante, et la peur qui est ressentie n'est autre que la peur du dévoilement, de ce qui pourrait être dévoilé ». Jacques Carion, « Jean Ray », P 61.
3. Noter le contenu érotique de l'énonciation suivante « une veuve appétissante ». On voit ici que la gourmandise connotée par l'énumération de bonnes choses (fromages, jambons, bœuf) glisse vers une sexualité implicite grâce à l'utilisation d'un adjectif (appétissante) qui renvoie au désir (ne parle-t-on pas d'appétit sexuel ?). Cette transposition culinaire du désir est éclairante. Elle permet de déguiser le discours du sexe (interdit sécrété — décrété ? — par la société victorienne) en discours sur la gourmandise. De même, Jacques Finné traitant du thème de la gourmandise chez Jean Ray, dans son article paru dans le Cahier de l'Herne déjà cité, oublie de mettre en relation ces deux discours, le discours sur la gourmandise masquant, à mon sens, le discours sur le sexe dont j'ai déjà relevé la quasi-absence dans l'œuvre de Jean Ray. Pour Jacques Finné, « les allusions culinaires, à travers tous les contes, ne sont, d'abord, que le reflet d'une personnalité de gourmand » (in l'Herne p.32). Cela paraît quelque peu restrictif. N'oublions pas que le fantastique joue sur une frustration (celle d'une réalité usurpée) : nous restons le temps de la lecture suspendus à mi-chemin entre le réel et l'irréel. Dès lors, nul doute que la plate réalité doive apparaître autrement, d'où le recours au cryptage symbolique.

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