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Le miroir à onze faces

Michel LAMART

Phénix n°31, juin 1992

          Nulle intention ici de déposer des fleurs aux pieds d'une statue 1. Il nous a paru, au contraire, plus pertinent de demander à quelques auteurs conjecturaux d'évoquer, dans une fiction en forme d'hommage, l'influence réelle ou supposée que Borges a eue sur leur œuvre.
          Toute écriture se nourrit de ce qu'elle trouve bon comme pâture. La lecture, on le sait tient une place importante dans la création. Ainsi, Maria Alzira Seixo a-t-elle pu écrire : « Toute lecture est la lecture d'une écriture » de même que « Toute écriture est l'écriture une lecture ». Et Umberto Eco, dans Apostille au Nom de la Rose, de renchérir : « les livres parlent entre eux. Les coupables, c'est nous »
          Cette question était d'autant plus légitime que la littérature conjecturale n'échappe en rien aux règles de la « bonne littérature ». Maurice Blanchot a montré, dans Le livre à venir, en quoi « Un livre n'appartient plus à un genre, tout livre relève de la seule littérature... »

          Pareille requête avait cependant de quoi déconcerter 2.
          Borges est, dans ces pages, considéré comme un grand écrivain. Sans considération de genre. C'est un conteur et un poète mais, avant tout, un lecteur à l'esprit latin, c'est-à-dire littéraire.
         Nul doute que les thuriféraires d'une littérature qui ne peut être que nord-américaine s'en plaindront Las ! Borges est sud-américain, francophone, et ne célèbre, qui plus est, que trois ou quatre maîtres (, Melville et Withman) parmi lesquels on compte une majorité de poètes...
          A un moment où le néo-naturalisme revient au galop, il est de bon ton de ne jurer que par une science qui, jusque dans la guerre (rappelons-nous les « bombardements chirurgicaux » du conflit contre l'Irak), redevient une valeur sûre dans le monde et au sein de la SF d'aujourd'hui. Oublié le péril nucléaire que dénonçaient nos pairs des années soixante-dix ? Redoutons les Tchernobyl de l'esprit !
          On pourrait citer Valéry à nouveau : « Il faut n'appeler Science : que l'ensemble des recettes qui réussissent toujours. Tout le reste est littérature. » (Tel quel I, p. 118)
          En fait, comme le souligne Bioy Casares dans l'Anthologie de littérature fantastique, Borges écrit « un nouveau genre littéraire qui tient à la fois de l'essai et de la fiction » destiné à « des lecteurs intellectuels, qui s'intéressent à la philosophie, et sont presque des spécialistes en littérature » (texte cité par Emir Rodriguez Monegal in Jorge Luis Borges Biographie littéraire, Gallimard, 1983, page 411). Ce qui n'a jamais empêché notre auteur de proclamer son admiration pour les genres dits populaires (roman policier, fantastique, SF). Pas plus que pour la science, d'ailleurs. Borges a, en effet, consacré un poème à l'arrivée des hommes sur la lune. Il jugeait l'événement comme « l'exploit capital de notre siècle » (Ultimes dialogues, Editions Zoé/Editions de l'Aube, 1988, p 37).
          L'auteur de Fictions s'intéressait à la science-fiction. Dans son Livre de préfaces (Folio, 1987), il note, à propos du livre d'Olaf Stapledon, Le faiseur d'étoiles : « ...on peut affirmer que ce qu'il y a de plus moderne dans la littérature c'est la fable ou fantaisie d'inspiration scientifique (op. cité p.223). Il avait déjà remarqué, réfléchissant à partir des Chroniques martiennes, que »Toute littérature (...) est symbolique« (op. cité P.38) et que les »quelques rares expériences fondamentales« n'ont que peu à faire du »fantastique« ou du »réel« , qu'il renvoie dos à dos, pour être transmises au de la science-fiction ? »
          Qu'importe ? C'est précisément ce que nous avons demandé aux auteurs les plus représentatifs du genre (si l'on veut bien nous pardonner cette taxinomie un peu douteuse).

          En effet, pour Borges, c'est la lecture, non l'écriture qui crée l'œuvre (voir Pierre Ménard, auteur du Quichotte, nouvelle reprise dans Fictions, 1957). Il montre à quel point écrire est réécrire. 3
          Comment ces auteurs l'ont-ils lu et comment cette lecture a-t-elle marqué leur œuvre ?
          La question ne demandait aucun développement théorique, elle appelait simplement les textes qui vont suivre.
          Ce recueil est moins une réflexion universitaire sur l'intertextualité qu'un livre de lectures.
          Borges pensait avec Emerson qu' « une seule personne est l'auteur de tous les livres qui existent dans le monde », (voir Gérard Genette, La littérature selon Borges, in Cahier de l'Herne Borges, Livre de Poche Biblio p.366).
          De même que l'élaboration de l'œuvre dessine peu à peu le portrait de l'auteur, de même ces textes reflètent l'image d'un des mythes littéraires les plus fascinants de notre époque où le faux le dispute en maître à un vrai évanescent.
          Peu à peu apparaît, au travers de ces textes, l'image du lecteur idéal : celui qui écrit.

Notes :

1. « La statue et la gloire sont formes du culte des morts, qui est une forme de l'ignorance ». Valéry, Tel quel I p. 39
2. E. Jouanne m'écrit : « Un »hommage« à Borges : dites-moi que je l'aime c'est tout ».
3. Voir l'ouvrage de Michel Lafont, Borges ou la réécriture, Seuil

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