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Mandiargues : fantastique et merveilleux

Roger BOZZETTO

Roman 20-50, Hors-série n°5. André Pieyre de Mandiargues. Presses du Septentrion. Lille (p. 61-69), avril 2009

     Il peut paraître hasardeux d'associer les notions de merveilleux et de fantastique, que la critique française dissocie et oppose. Cependant, le merveilleux et le fantastique, comme leurs rapports génériques, évoluent, et cette évolution a un sens, comme le rappellent André Breton et les surréalistes, pour qui la présence du merveilleux est centrale 1. Leurs formes aussi évoluent, comme le signalent les auteurs de L'Antologia de la literatura fantastica 2. Ajoutons que Mandiargues lui-même a fantasmé sur ce qu'il nomme « le secret de la littérature fantastique » 3, qui se nourrirait de merveilleux et qui serait :
     « Cette aptitude à saisir tout de suite le lecteur et à le mener tout naturellement avec soi dans le climat du surnaturel. » (Préface p.9)
     Dans la tradition du « merveilleux romantique » (Préface p.8), Mandiargues a, de plus, traduit et/ou préfacé des auteurs fantastiques modernes et singuliers comme Tomaso Landolfi ou Marcel Bealu 4.
     Il fait énoncer à Méric Magne, l'un des personnages du « Marronnier », une approche de ce qui décrirait au mieux les rapports du fantastique et du merveilleux chez un auteur qui a fréquenté les surréalistes.
     « Que des écrivains aient eu besoin de la peur, en tant que motif de leur récit, nous ne les blâmerons pas, même si nous avons des vues totalement différentes sur le conte fantastique, que nous voudrions fondé plutôt sur la notion de merveilleux. » 5
     On peut considérer qu'il s'agit là d'une sorte de profession de foi où le merveilleux, comme le fantastique qu'il vise, se distinguent des notions anciennes qui en relevaient, tout en en gardant leur nom générique.
     C'est dans cette perspective que nous envisagerons l'univers fascinant des recueils de nouvelles de Mandiargues, en nous attachant plus spécialement aux plus récents : Porte dévergondée, Mascarets, Sous la lame et Le Deuil des roses. En effet, ses premiers recueils, comme ses romans, ont déjà été l'objet d'analyses pertinentes. 6
     Nous tenterons de saisir l'originalité d'une esthétique qui s'appuie sur la récurrence des thèmes anciens du merveilleux et du fantastique, mais qui sont à chaque fois renouvelés par une écriture précise et précieuse, par la mise en scène de fantasmes 7. Précise : on se souvient de la minutie des descriptions de menus lors des repas de poisson dans « Le Fils de rat », qui font décoller le banal vers la sublimation esthétique d'une image quasi surréelle.
     Où le friturier compose le plat :
     « Sous nos yeux, en effet, s'organisait une sorte de tableau, qui rappelait les compositions flamandes du XVIIe siècle. Il y avait deux muges dont les flancs bleutés portaient sous un hachis de persil et d'ail les marques du gril sur lequel on les avait rôtis, deux anguilles ployées en anneaux [...]. » 8
     Dans « La Grotte » (Porte dévergondée) encore où, sous l'influence de champignons hallucinogènes et/ou mortels, Denis transforme ce qui eût été une simple copulation avec une prostituée en la création d'un tableau, dans un musée personnel, une sorte de Sixtine inachevable.
     Précieuse, car par le miracle de cette lecture du quotidien, le banal et le monde onirique s'entrelacent, engendrant des effets d'horreur et de merveille, qui revisitent par endroits les traces du gothique et du fantastique.
     Nous montrerons les caractéristiques du monde suggéré par les décors et les personnages de ces nouvelles. Nous verrons ensuite comment Mandiargues s'appuie sur une érotique du merveilleux, et une exploration des domaines oniriques, pour des effets de fantastique originaux.

     Un monde mystérieux suggéré par une écriture précieuse
     Les personnages de ces nouvelles ne sont jamais banals, ils se distinguent de ceux que les héros du « Marronnier » méprisent : les personnages des textes « yankis » qui « sont généralement de médiocre importance, petits fonctionnaires, petits employés, petits comédiens, et que l'on dirait que l'auteur a eu la faiblesse de penser que la vraisemblance de son histoire tenait à pareille médiocrité [...] » (« Le Marronnier », p. 39-40).
     Les personnages de Mandiargues sont en effet des individus que l'on présente comme hors du commun. Ils se distinguent du vulgaire par leurs prénoms (Salluste, Méric, Céres). Ils évoquent des mystères, par leurs actes parfois incompréhensibles, leurs « chasses », comme le dit le narrateur de « La Grotte » 9, et leurs errances dans les marges de la société et du monde quotidien.
     Ils sont donnés à percevoir comme les avatars de ces aristocrates que présentaient les romans gothiques de Walpole, M. G. Lewis ou Sade. Ce sont des dominateurs, parfois violents, comme le militaire de « Sabine » (Porte dévergondée). D'autres dominent sans violence comme Hugo avec Miriam, qui se soumet au « rite » dont il faut « veiller au bon accomplissement » 10. D'autres aussi, comme la quasi déesse présentée dans « Le Fils de rat », s'imposent au regard, et leur simple présence magnifie en palais un endroit sordide, ici une « friturerie populaire » (p. 91) à Venise. D'autres encore subjuguent par leur inventivité sensuelle comme le jeune homme dans « La Marée », du recueil Mascarets. D'autres enfin se distinguent par leur folie à la fois mystique et esthétique, comme le narrateur de « La Grotte ». Celui-ci vise à l'achèvement d'un musée imaginaire, à atteindre par la drogue et le coït, qui le conduisent à l'extase 11. Il s'agit là de l'aboutissement d'une quête visant le merveilleux de la réussite esthétique, sans souci des moyens et des individus employés. Le narrateur se trouve peut-être prisonnier de son monde, dont on ne sait s'il est intérieur ou réel.
     « Et lui, pourra-t-il quitter la grotte où il flotte [...], dans une aliénation qui diffère peu de la béatitude ? » (« La Grotte », p. 65)
     Les personnages de Mandiargues établissent ainsi un singulier rapport à l'espace onirique. Il a pour eux plus de consistance que le quotidien. Ils le voient sans trouble s'épancher « dans la vie réelle », entraînant des effets de fantastique. Cet univers de la quête et de la coïncidence est parent des rencontres des surréalistes où André Breton imagine saisir « les plus hautes charges affectives, de l'apparition miraculeuse à la coïncidence bouleversante ». 12
     Rencontres qui créent ici un monde où la mort est souvent au bout du chemin. Parfois sous la forme du bref émerveillement solaire de l'accident mortel : celui de Marc se suicidant avec joie dans « Madeline aux vipères » 13, ou le suicide serein de Sabine après qu'elle a eu fréquenté « l'espace innommable » (Porte dévergondée, p. 26) imposé par le lieutenant.
     Parfois cette mort survient dans un éclair, pour avoir transgressé les frontières de l'inconnu. Dans « Les Pierreuses » 14, de minuscules et féeriques personnages féminins, dévoilés après le bris d'une géode, sont consumés après leur dernière danse, leur mort entraînant celle du transgresseur. Mais c'est aussi un monde où, malgré l'amour, la mort se présente, en relation avec le rêve dans « Crachefeu » 15. L'amour y a failli, pendant un moment, dévier le destin mortel annoncé par le rêve. En vain : la scène onirique trouve sa réplique dans le monde du quotidien, et l'accident mortel demeure. Mais cette rencontre peut aussi relever de « l'hallucination vraie », comme en fait foi la présence ensorcelante de Miranda pour le gabelou Jean Bouche Dor qui imagine avoir rencontré et tenté d'abuser « une créature du soleil » 16. C'est encore du miracle que relève une conception impensable dans la nouvelle « Le Diamant ». Une jeune fille vierge se retrouve fécondée par un être minuscule qui pénètre dans un diamant où elle a été projetée dans une sorte d'inconscience 17.
     Cette présentation volontairement chaotique et superficielle de l'univers dessiné par les nouvelles de Mandiargues a pour but de nous confronter à une série de facettes, de situations, de personnages, qui instaurent un singulier rapport au monde. On en tentera une approche par le biais de notions reconnues comme le merveilleux, le fantastique et l'érotique — chacun de ces termes ne servant que de pilote. Mais auparavant il semble nécessaire de situer cette modernité du fantastique de Mandiargues par comparaison avec des textes d'autres auteurs de textes fantastiques, mais venus d'autres lieux.

     Modernité et originalité
     Les textes de Mandiargues appartiennent à une branche du fantastique moderne, semblable et différente de celle des fantastiqueurs argentins, que sont Jorge Luis Borges, Alfonso Bioy Casares, Julio Cortàzar ou Silvina Ocampo.
     Semblable, car ces auteurs appartiennent à la même génération que Mardiargues, et, comme lui, ont grandi en même temps que le surréalisme dont ils se sont plus ou moins imprégnés. Comme Mandiargues, Cortàzar refuse l'opposition entre la réalité et l'imaginaire : « Je ne demanderai pas aux critiques de se dire « ici c'est le fantastique, là le réel » ». 18
     Comme Mandiargues, ils sont fascinés par l'irrationnel par « la découverte d'une lézarde dans la face de la réalité nous attire » 19. Cortàzar avoue ne pas imaginer les situations de ses récits à partir d'idées ou de concepts : « Je ne pars d'aucune conception intellectuelle [...] je pars de ce que j'appellerai plutôt un sentiment face à la réalité » 20. Il en va de même pour Mandiargues. Mais cette parenté, ces similitudes sont prises dans une optique différente.
     Les textes fantastiques de Silvina Ocampo, Bioy Casares ou même Cortàzar laissent les lecteurs désarmés, dans une sorte de confusion intellectuelle. Comme si nous nous trouvions devant un mur, devant un texte dont le sens nous est promis mais ne sera jamais donné. Dans ses récits, Mandiargues ne nous promet rien, il nous fait visiter des lieux et des personnages, nous fait participer à des scènes, nous présente des situations dont nous hésitons à savoir si elles relèvent de l'onirique ou si elles mettent en scène des fantasmes. Il nous conduit vers des merveilles solaires ou nocturnes qui touchent au plaisir, au désir, à l'érotisme, à la mort et à leurs rencontres génératrices de fantastiques.

     Une quête merveilleuse et désirante
     Les personnages de Mandiargues, on l'a vu, sont en quête, qu'ils le sachent, ou qu'ils pensent errer dans une démarche proche du somnambulisme. Comme les héros des contes merveilleux, ils sont à la merci d'une passion amoureuse absolue, qui souvent les atteint au hasard d'une rencontre et à laquelle ils succombent. Mais à la différence des héros des contes, lorsqu'ils succombent c'est avec un plaisir mêlé d'horreur, dans des situations fantasmatiques qui provoquent parfois des effets de fantastique.
     La quête du désir et de son accomplissement est, chez Mandiargues 21, présente dans de nombreux textes, et se nourrit souvent de merveilles. Il lui arrive d'être solaire. On peut en effet retrouver la présence de Pan, comme dans les jeux érotiques auxquels se livre Vanina avec le jeune homme sans nom qui a l'air d'un jeune satyre dans Le Lis de mer 22 ; ou encore dans cette scène de domination sans brutalité entre la jeune cousine et son cousin adolescent que l'on rencontre dans « La Marée » 23. Ces rencontres solaires sont souvent empreintes d'une sauvage violence et parfois mettent en scène, de manière magnifique, une frustration dont les modalités sont au-delà de toute borne. Le meilleur exemple est sans doute « Clorinde ». Le narrateur découvre dans les bois un chevalier minuscule dans son armure, et qui se révèle être une guerrière. Il la déshabille et la dévore des yeux sur « son lit de cryptogames » 24. Mais devant l'impossibilité de leur conjointure, il l'attache et va hurler son désespoir dans les bois. Au retour, elle a disparu, ne demeure que le lien rompu et un peu de sang. Il a rencontré et perdu l'objet de toute quête du « désir demeuré désir » dont parle René Char.
     « Ce que tout homme vaguement songe et désire s'est offert à toi [...], mais tu l'as repoussé par le délire de tes sens. Rien ne viendra plus pour toi que la mort. » 25
     Il s'agit là d'un érotisme solaire lié au merveilleux de la rencontre impensable et absolue, malgré la présence de la mort qui pourrait teinter d'effets fantastiques la mort programmée du chasseur. On retrouve une situation de cet ordre dans « Les Pierreuses », où la sensualité provient de la danse des trois minuscules nymphes, avant leur consomption : « Il se fit une flamme courte qui consuma les trois ballerines » (« Les Pierreuses », p. 64). C'est là un espace où le merveilleux de la situation n'épuise pas le nœud du fantasme.
     Le but de ces quêtes merveilleuses est de répondre à un désir qui se manifeste sauvagement lors de la rencontre avec son objet. Dans « Armoire de Lune », devant celle qu'il reconnaît comme le but de sa quête Luc est comme pétrifié :
     « [...] il avait compris que cette jeune femme était la forme même du désir qu'il éprouvait distraitement et paresseusement pour toutes les femmes jeunes qui venaient à portée de ses bras, la forme absolue de son perpétuel désir. » 26
     Mais même dans ce cas, malgré l'itinéraire fantasmatique développé dans l'imaginaire du personnage, le désir n'atteint pas son objet.
     En effet, Luc, le narrateur, sur le mode du conditionnel, fait se promener avec lui, dans l'imaginaire, la femme allongée dans la chambre, à demi nue, qu'il regarde, alors qu'il est en posture de voyeur. C'est là l'origine d'un scénario fantasmatique original, d'autant qu'il s'agit de la « Pension Minos » aux connotations mythologiques 27. Luc imagine alors qu'il fait peut-être partager à sa captive ses secrets et son désir. Elle le conduirait jusqu'au cimetière où il imagine qu'elle l'entraîne et où se trouve un tombeau qu'ils pourraient envahir et utiliser pour une nuit d'amour. Luc ne peut cependant éviter de se conduire de façon irrationnelle, proche d'un écart fantastique, et il viole celle qu'il idéalisait auparavant.
     Dans ces trois exemples, l'objet du désir n'est pas accessible, sauf en rêve ou dans le fantasme. L'érotisme s'appuie ici sur le merveilleux des rencontres, et nourrit des effets d'un fantastique original, où ne jouent plus les systèmes d'opposition traditionnels entre le quotidien et l'onirique, le merveilleux et la réalité banale. Ils sont remplacés par un ensemble hétérogène de « vases communicants » qu'affectionnaient les surréalistes, et qui permet cet « épanchement du songe dans la vie réelle ».

     Fantastique et onirique
     Dans d'autres nouvelles d'une tonalité plus nocturne, les trajets des personnages croisent d'étranges espaces, ceux des bas-fonds, des lupanars. L'univers où se meuvent ces personnages est souvent sordide et noir. L'introduction de Porte dévergondée en poétise le sens en lui assignant des lieux de l'en deçà « où prospèrent naturellement des espèces qui dans le plein jour paraîtraient monstrueuses » (p. 12) car « il se dit beaucoup d'histoires, au-dessous du seuil [...] » (Porte dévergondée, p. 14) 28.
     Pourquoi ? Mandiargues le dit dans ces récits :
     « On suivra avec ravissement les détours du beau rêve romantique qui prend la place de la banale existence à condition que l'on ne s'arrête pas à l'aspect superficiel de la réalité. Aller jusqu'au fond de l'ordinaire, c'est le secret et c'est la méthode de Chirico comme de Kafka, et c'est le seul moyen efficace d'accéder à un univers fantastique. » 29
     Les textes qui permettent l'exploration de ces lieux sont cependant élaborés sans la crudité d'une représentation, qui diffère de celle décrite dans L'Anglais décrit dans le château fermé, conçu volontairement comme un grotesque pornographique. Ces textes sont construits par la mise en place de multiples détails, insérés avec subtilité dans les représentations du quotidien. Ils permettent ainsi des évocations d'événements ou de scènes, souvent en référence à des tableaux connus : Giorgione dans Le Lis de mer ou « les tableaux du XVIe siècle » dans « La Grotte » (p. 58) par exemple. Cette présence, subliminale ou presque, de référents picturaux introduit au mystère évoqué, mime son origine diffuse dans le cadre quotidien présent et y provoque ce que Bioy Casares nomme « des lézardes dans l a face imperturbable de la réalité ». 30
     Mais le trajet le plus fréquent conduit les personnages dans un espace onirique qui engendre des effets de fantastique par la présence sournoise de la cruauté et/ou de la mort.
     C'est le cas du « Nu parmi les cercueils » où une femme du rêve est chassée, nue dans la nuit, par son amant. Elle est hébergée par un employé de pompes funèbres, qui la viole ensuite, après l'avoir contrainte à se dévêtir, et l'enferme nue parmi les cercueils. Est-ce rêvé par un narrateur ? Si oui, pourquoi alors à son réveil part-il à la recherche des lieux rêvés ? Pourquoi entend-il les mêmes sirènes des ambulances que la femme du rêve enfermée dans son cercueil ? Le texte l'avoue : « Comment arriver à un jugement exact ? » 31. Cette articulation du rêve et de la réalité suit des chemins divers. Dans « Le Triangle ambigu » (Mascarets), une femme : fait un cauchemar dans lequel elle est poursuivie nuit après nuit par une sorte de tueur parachutiste, qu'elle tue d'un coup de poinçon. Elle refuse que le narrateur qu'elle rencontre, et qui l'entraînerait volontiers chez lui à travers les ruelles vénitiennes, la suive, car il possède, comme le parachutiste de son cauchemar, une bague à tête de mort. Elle a peur de devoir le tuer, dans la vie réelle, et le fuit. Le texte laisse entière une question posée par la femme et à laquelle le narrateur ne répond pas : comment savait-il qu'elle était obsédée par ce cauchemar lors de leur rencontre ? Cette question permet au texte d'être abordé par le versant d'une rencontre fantastique.
     Dans « Le Songe et le métro » (Sous la lame), l'héroïne, Zoé, rêve qu'elle est couchée sur un banc de la station Châtelet, elle y est caressée par une ombre féminine enveloppée d'une cape, le plaisir sexuel qu'elle en retire est tel qu'à son réveil elle est sous le coup d'une intense frustration. Elle se lève alors et se dirige vers la station Châtelet, trouve le banc et s'y installe. Mais c'est une figure masculine qui apparaît, et la poignarde. Le prolongement du rêve dans la vie diurne est à la fois merveilleux, puisqu'en rêve le désir se donne à vivre, et fantastique par le changement de sexe de l'amant(e), ainsi que la transformation de l'extase sexuelle en la froideur du couteau qui tue l'héroïne.

     Un fantastique du merveilleux érotique ?
     Comme on le voit, de nombreux textes mettent en jeu une rencontre entre le merveilleux du rêve et l'indicible de l'érotique, qui se traduit aussi par l'alliance singulière entre les thèmes du fantastique liés à l'aspect sordide des lieux et la précision de l'écriture. Les effets de fantastique et d'érotique se partagent les zones de la suggestion par l'implicite. Le trouble fantastique et les fantasmes érotiques sont indiscernables dans les textes de Mandiargues, comme on le voit dans « Le Songe du métro », dans « Le Nu parmi les cercueils » ou dans « Clorinde », pour prendre trois modalités différentes de « rencontre » entre l'érotique et le fantastique. Certes, ce n'est pas toujours une « rêverie nourrie d'érotisme cruel » comme le propose Mandiargues dans la préface qu'il donne à L'Anglais décrit dans le château fermé. C'est une rêverie et une fantasmatique érotique, mais rarement cruelle, qui lui permet de construire son univers. C'est un monde singulier et peu accessible si on se fie aux coutumes de notre monde quotidien. Mais les règles qui régissent les textes de Mandiargues confèrent à l'univers qu'elles créent une logique de l'irrationnel acceptable, avec une densité de diamant.


Notes :

1. Le merveilleux n'est pas le même à toutes les époques » (André Breton, Manifeste du surréalisme [1924], Pauvert, 1962, p 29). Il distingue les merveilleux anciens et modernes.
2. Il n'y a pas un type mais de nombreux types de contes fantastiques » (Jorge Luis Borges, Alfonso Bioy Casares, Silvina Ocampo, Antologia de la literatura fantastica, Buenos Aires, Sudamericana,1940 ; 2da ed. 1965, 3ra ed. 1970, 4ta ed. 1990. préface, p. 7).
3. André Pieyre de Mandiargues, préface à Marcel Béalu, L'Araignée d'eau,Paris , Drouin, « Les lettres », 1948 ; Belfond, « Poche Club », 1964.
4. Tomaso Landolfi, La Femme de Gogol et autres récits, Gallimard, 1969.
5. André Pieyre de Mandiargues, « Le Marronnier », in Mascarets [1971], Gallimard, 1990, p. 47.
6. Lise Chapuis, La Matière d'Italie dans l'œuvre d'André Pieyre de Mandiargues, Thèse, Bordeaux III, 2002.
7. Alexandre Castant, Esthétique de l'image. Fictions d'André Pieyre de Mandiargues, Publications de la Sorbonne, 2001 ; Dominique Gras-Durosini, Mandiargues et ses récits. L'écriture en jeu, L'Harmattan, 2006.
8. André Pieyre de Mandiargues, « Le Fils de rat », in Porte dévergondée, [1965], Gallimard, « L'Imaginaire », 1997, p. 94.
9. La Grotte », ibid, p. 42.
10. André Pieyre de Mandiargues, Tout disparaîtra [1987], Gallimard, « Folio », 1989, p. 147 ; cf. « La violence de Mars ne fut point désagréable à Vénus [...] » (p. 43).
11. Voir Nathalie Quirion, L'Érotisme chez André Pieyre de Mandiargues ou la quête mythique, Thèse, Université Laval, 2000.
12. André Breton, La Clé des champs, Pauvert, 1967, p. 26.
13. André Pieyre de Mandiargues, « Madeline aux vipères », in Le Deuil des roses, Gallimard, 1983.
14. André Pieyre de Mandiargues, « Les Pierreuses », in Feu de braise, Grasset, 1959.
15. André Pieyre de Mandiargues, « Crachefeu », in Le Deuil des roses.
16. André Pieyre de Mandiargues, « Miranda », in Sous la lame, [1976], Gallimard, « L'Imaginaire », 2001, p. 105.
17. André Pieyre de Mandiargues, « Le Diamant », in Feu de braise.
18. Julio Cortàzar, Entretiens avec Omar Prego, Gallimard, « Folio », 1986, p. 101 (La fascinación de las palabras, 1984
19. Alfonso Bioy Casares, cité par P. L. Barca dans son introduction à LaTrama celeste,[1948] Madrid, éditeur ? 1990, p. 5.
20. Julio Cortàzar, Entretiens avec Omar Prego, op. cit., p. 72.
21. Marcel Spada, Érotiques du merveilleux. Fictions brèves de langue française au XXe siècle, Corti, 1984. Voir le chap. 3 : « L'Illumination passionnée d'André Pieyre de Mandiargues ».
22. André Pieyre de Mandiargues, Le Lis de mer, Laffont, 1956.
23. André Pieyre de Mandiargues, « La Marée », in Mascarets. Ce texte donnera lieu à un des Contes immoraux de Walerian Borowczyk (1974), avec Fabrice Luchini.
24. André Pieyre de Mandiargues « Clorinde », in Soleil des loups, Laffont, 1951, p. 97. repris in Gallimard L'Imaginaire p. 70
25. Ibid., p. 101.
26. André Pieyre de Mandiargues, « Armoire de Lune », in Mascarets, p. 97-98.
27. On pensera sans doute à l'enlèvement d'Europe. On peut aussi avoir pour référence, à cause de la position du regard voyeur, certains tableaux de Balthus.
28. Cf. « Au fond de la plupart de nous, dans des caves que beaucoup, je le reconnais, savent tenir fermées [...] » (André Pieyre de Mandiargues, L'Anglais décrit dans le château fermé, Gallimard, 1979, préface, p. 18).
29. André Pieyre de Mandiargues, Quatrième belvédère, Gallimard, 1995, p. 79.
30. Alfonso Bioy Casares op.cit p.5
31. André Pieyre de Mandiargues, « Le Nu parmi les cercueils », in Feu de braise, p. 141.

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