« L'avenir n'est plus ce qu'il était ». Signé Arthur Clarke, cet aphorisme en dit long sur le désenchantement qui imprègne la science-fiction moderne. Hiroshima, les guerres coloniales et la pollution galopante ont mis à rude épreuve le rêve occidental et le credo scientifique. Au triomphalisme de l'Age d'Or, succèdent le doute et l'égarement. Littérature d'avertissement et de critique sociale, elle trouve son inspiration dans le désarroi d'une société face à ses problèmes (violence, surpopulation, technofascisme) et dans celui de l'homme face à lui-même (aliénations diverses, désagrégation de l'espace intérieur). Révélateur de nos fantasmes d'angoisse, la science-fiction « dénonce les signes de mort d'une société malade de ses progrès » (Louis-Vincent Thomas dans Civilisation et divagations).
Des milliards d'habitants s'entassent sur une Terre exsangue, et comme on ne peut nourrir tout le monde, on pallie la pénurie en recyclant des cadavres transformés en de maigres rations alimentaires (Soleil vert d'Harrison). Par suite de la pollution industrielle, l'environnement se dégrade. La Méditerranée n'est plus qu'un lac fétide, et certains jours, il pleut des pluies acides sur New York (Le troupeau aveugle de Brunner). Tel un cancer, la violence ronge le corps social : la guerre raciale fait rage entre Noirs et Blancs dans L'année du soleil calme de Wilson Tucker (Presses Pocket, The year of the quiet sun, 1970), Alex et sa bande de dandys font régner la terreur dans Londres aux accents de la Neuvième de Beethoven, (Orange mécanique d'Anthony Burgess), de nouveaux jeux du cirque, dont la cruauté n'a d'égale que le raffinement technique, font leur apparition afin de tenir en laisse un sous-prolétariat urbain famélique et miséreux (L'ère des gladiateurs de Frederik Pohl et Cyril Kornbluth), tandis que dans le cauchemar totalitaire de 1984, Big Brother affirme que « la liberté, c'est l'esclavage ». Beaucoup plus feutrée, mais non moins redoutable, est la violence sécrétée par les nouveaux médias comme le SPD - Sommeil Paradoxal Dévié - une technique révolutionnaire qui permet de brancher directement la télévision dans votre cerveau (Les pieds dans la tête de Pierre Pelot, Dimensions, 1982). La mort de l'homme, c'est aussi la mort de la vie affective. La terre de l'an 2301 compte plus de 70 milliards d'habitants parqués dans des tours de mille étages au sein desquelles, promiscuité oblige, règne la plus totale liberté sexuelle ; mais l'amour a déserté ces tours du sexe triste (Les monades urbaines de Robert Silverberg). La société de L'incurable (de David Compton) a érigé le voyeurisme en institution : filmée incognito par Roddie, l'homme à la caméra greffée dans le cerveau, l'agonie de Katherine Mortenhoe est jetée en pâture à un public zombie avide d'émotion fortes.
Que ce soit par le biais de la satire (dans ses nouvelles, un Sheckley excelle à dénoncer les tares de notre société de consommation) ou par la peinture de véritables cauchemars dont elle n'est pas avare, cette SF-alarme s'emploie à barrer la route aux virtualités porteuses de mort, tentant de conjecturer l'avenir, « non pour le connaître (selon le mot de Ray Bradbury) mais pour l'empêcher ».
Lecture
-Histoires de l'An 2000, présentées par Gérard Klein (Livre de Poche, 1985).
-Histoires de sociétés futures, présentées par Jacques Goimard (Livre de Poche, 1984).
-Histoires de demain, présentées par Démètre loakimidis (Livre de Poche, 1975).
|