« Apparue du jour au lendemain, cette créature maléfique avait en un rien de temps exterminé plus de la moitié de l'humanité et pris la tête du peuple des monstres... » (tome 1, p.4) La présentation initiale du « roi-démon » au tout début de cette histoire ne laisse planer aucun doute sur la noirceur du personnage, même s'il se présente sous les traits d'une ravissante jeune fille. Pourtant, après son premier affrontement avec « le héros » — à ce stade, seule la fonction compte et son nom ne sera dévoilé que plus tard – , le parcours du roi-démon va devenir bien atypique. Et pour cause... Le héros a lui aussi un comportement des plus inattendus : il refuse de tuer les monstres qu'il ne voit pas comme des ennemis mais comme un peuple avec lequel l'humanité pourrait cohabiter. Il peut aller jusqu'à soigner les monstres blessés, ou jusqu'à prendre la fuite si cela peut épargner une vie, sans en éprouver aucune honte... Interloquée par une telle attitude, la jolie roi-démon tombe aussitôt amoureuse du héros et s'attache à ses pas – évidemment sans lui révéler sa véritable identité...
Si le premier chapitre, traité sur un mode humoristique assez hystérique, se montre quelque peu confus, l'auteur réussit au fil des albums à tirer le meilleur parti de l'originalité constitutive de ses personnages. Le héros non-violent et utopiste parvient tant bien que mal à s'en tenir à ses principes, quitte à passer pour un lâche aux yeux même des humains qu'il est censé protéger, quitte à douter de lui-même lorsque ses actions ou son inaction peuvent avoir de fâcheuses conséquences. Sa conviction affirmée en un message humaniste le détache même de l'humanité, à la façon d'un messie ou d'un Kwai Chang Caine – le héros pacifiste de l'antique série Kung fu. Paradoxalement, c'est ainsi Sheila, le roi-démon, qui se montre plus attachante, car elle est au contraire bourrée de défauts : puérile, égoïste, capricieuse, violente voire cruelle, dépourvue de compassion et de remords... Ses agissements sont de prime abord plus faciles à appréhender, car finalement plus « humains ». Elle n'est séduite par le héros que parce que la mentalité pacifiste de celui-ci lui demeure parfaitement hermétique, incompréhensible, donc fascinante. Elle met dans cet amour le même enthousiasme enfantin, la même « innocence », que dans le massacre et le génocide. De plus, l'histoire s'enrichit peu à peu de personnages secondaires intéressants, tel Lakshry, le compagnon du héros, Angelica, métisse d'humain et de monstre – qui prolonge la réflexion sur l'altérité – ou encore ce clone du roi-démon qui se révèle encore plus maléfique que son modèle...
Graphiquement, les jolies couvertures rendent bien compte de l'élégance du trait d'Ichtys, qui privilégie les personnages mais sans délaisser pour autant les décors et l'architecture. Le côté surchargé du premier chapitre disparaît rapidement au profit d'une narration graphique équilibrée, bénéficiant d'un découpage très dynamique.
Au final, Superior se distingue par l'originalité fondamentale de ses deux personnage principaux : le héros non-violent et le démon attendri. Il en résulte moins de tueries et plus de discours utopistes, ce qui pourra surprendre les amateurs de récits d'action plus primaires où le rôle des méchants à anéantir est attribué sans ambiguïté. Humour, énergie et subtilité compensent sans problème le moindre nombre de cadavres et cette approche ne peut qu'être saluée. Reste à savoir si Ichtys saura conduire ses protagonistes vers l'utopie souhaitée...
Pascal Patoz
nooSFere
01/02/2010
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