Basée sur l'idée pas forcément très originale d'une école pour adolescents dotés de facultés hors normes, la série-mère Freaks' Squeele aurait pu se perdre parmi les innombrables récits de fantasy humoristique que l'on qualifie poliment de « sympathiques ». Au lieu de cela, elle s'est imposée comme un titre phare du genre, une référence désormais incontournable, saluée entre autres par une nomination au Grand Prix de l'Imaginaire 2013. Florent Maudoux a en effet réussi à construire un univers enthousiasmant, à la fois décalé, astucieux et drôle, mais aussi cohérent et sensible. Son graphisme précis et dynamique s'est également révélé d'une grande efficacité, aussi bien dans le noir et blanc d'origine que dans la réédition colorisée.
Rançon de ce succès mérité, voici venir maintenant plusieurs séries dérivées, comme Rouge en début d'année (où Maudoux n'assurait que le scénario) et le présent Funérailles qui explore le passé d'un des professeurs les plus étranges de l'école. Il est naturel de se méfier de ces spin-off qui se contentent généralement de surfer sur la vague d'un succès en exposant paresseusement la biographie de quelques-uns des personnages principaux, sans rien apporter de bien neuf. Mais là encore, Florent Maudoux continue à surprendre ! Avec Funérailles, il n'hésite pas à changer de registre, au profit d'une dark fantasy particulièrement sombre.
Jugez plutôt : au royaume de Rem, les grossesses, toutes gémellaires, induisent une compétition meurtrière in utéro. L'un des fœtus doit mourir, tandis que le survivant naît avec les séquelles plus ou moins graves de ce combat fratricide. Le pays se trouve donc majoritairement peuplé d'éclopés de toutes sortes, dans une ambiance des plus malsaines que scrute l'œil-caméra de cyclopes façon steampunk... Cependant, certains fœtus parviennent à tuer leur double sans avoir aucune lésion en retour : ces « parfaits » affichent ainsi, avant même leur naissance, une aptitude particulière à la survie, qui les désigne naturellement comme les plus légitimes à diriger la société. A l'inverse, des jumeaux entre-déchirés survivent parfois, sans qu'aucun des deux ne parvienne à affirmer sa supériorité. Mais il est tout à fait exceptionnel qu'on assiste à la naissance contre-nature de deux « parfaits », comme les jumeaux Scipio et Pretorius. Cette situation inacceptable pousse leur mère à faire jeter l'un d'entre eux dans une porcherie pour que le nouveau-né superflu soit dévoré... C'est ainsi que, défiguré mais toujours vivant, le jeune Prétorius deviendra le mystérieux Funérailles...
Ce péché originel in utero fonde la société décrite par Florent Maudoux dans sa nouvelle série. On comprend que l'ambiance y soit sinistre et formidablement morbide, sans rapport avec celle, beaucoup plus joyeuse, de la série principale. De plus, de complexes luttes de pouvoir dans les cercles politiques et religieux achèvent d'assombrir l'atmosphère. Par exemple, l'amour impossible entre le jeune guerrier désargenté aux allures de Batman et la belle prêtresse de la Maison de l'Araignée ne résiste pas longtemps face à l'ambition personnelle et à la soif de puissance.
Bref, Funérailles impressionne par son originalité et sa noirceur assumée. Cette nouvelle série prouve que Florent Maudoux peut se renouveler et exceller dans tous les registres. Voici qui devrait lui assurer facilement une place de grand maître ès fantasy dessinée.
Pascal Patoz nooSFere 23/06/2013
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