La SF française est en pleine effervescence et la publication de «
Retour à la Terre » est un des premiers signes extérieurs de ce regain d'activité. A juste titre, Jean — Pierre Andrevon note dans sa préface : «
C'est à ma connaissance la première fois qu'un recueil français, d'auteurs différents, ne réunissant que des nouvelles inédites écrites à partir d'un même thème de base, est publié. » Une date dans l'édition spécialisée de la SF ? Possible. Quoi qu'il en soit, le feu vert est donné et d'autres anthologies françaises, thématiques (Philippe R. Hupp sur la guerre pour 10/18 ; Michel Jeury avec 5 utopies) ou non (l'anthologie de débutants de Lionel Hoebeke chez Denoël, Joël Houssin pour le Masque-SF) vont naître très bientôt, sans oublier «
Dédale » ( l'antho semestrielle de Henry-Luc Planchat chez Marabout ).
« Retour à la Terre » a donc le mérite d'être ; et d'être la première sur le marché. Ceci dit, allons voir ce qu'il s'y mijote à l'intérieur. Bien que tout n'y soit pas d'égale qualité, l'ensemble est de bonne tenue. Au sommaire : Daniel Walther, Pierre Marlson, Francis Carsac, Philippe Curval et Jean-Pierre Andrevon. Le thème : Après une longue absence, des voyageurs reviennent sur la Terre et au lieu de retrouver un monde surindustrialisé, découvrent un monde recouvert de verdure. Un thème très actuel, très mode même.
Il est curieux que seul Jean-Pierre Andrevon l'ait abordé par un biais politique (et encore si peu, presque timidement, par rapport à ses écrits habituels). Sa nouvelle « Le vallon », très schizophrénique dans sa conception, se déroule sur deux plans suivant un montage parallèle qui met en lumière la dualité de son auteur. Politique et poétique. Vulgarité voulue et grande délicatesse. Cynisme et tendresse. Ce parti-pris de dualisme transcende ce que le thème avait de trop classique et donne à cette nouvelle la sonorité d'un cri d'amour en la vie (celle qui devrait être : harmonie avec la Nature, l'animal et l'être aimé).
« Où se peigne la pluie aux courbes des ombrelles » est une excellente nouvelle de Pierre Marlson dédiée à Daniel Drode. Marlson a su éviter la gratuité des recherches formelles de certaines œuvres du Nouveau Roman (dont il est proche) en justifiant ses recherches stylistiques par les ressorts mêmes de son intrigue : opposition entre l'extérieur (monde rationnel) et l'intérieur (monde œdipien, voire fantasmé).
Il est regrettable que Francis Carsac n'est pas su renouveler le thème fort rebattu du bonheur insoutenable
1, quoique sa nouvelle « Tant on s'ennuie en Utopie » se lise sans... ennui.
Daniel Walther, fidèle à lui-même, est reconnaissable dès le titre de sa nouvelle, qui ouvre le recueil : « Le petit chien blanc qui rodait seul dans les rues de la ville déserte ». Avec son style très fantasmé il exprime la peur de l'homme devant la Nature. Cette nature châtrée, avilie, violée par l'homme, qui un jour se vengera de son bourreau. Walther fait du Walther ; il en fait même un peu trop. Sa nouvelle ne serait-elle pas alors un subtil autopastiche ?
« Adamève », la nouvelle de Philippe Curval est incontestablement la meilleure des cinq. Tout en s'inscrivant dans le champ thématique de base de l'anthologie et en renouvelant le thème — usé jusqu'à la corde — du dernier homme sur la terre, Curval propose une réflexion poétique sur certains concepts que la psychanalyse met en lumière et qui régissent notre vie : l'expulsion de la matrice (la sphère sous-marine) et le traumatisme de la naissance qui en découle, l'apprentissage du monde extérieur, apprentissage préparé par les mois de gestation (les années d'éducation dans la sphère), l'alliance entre Eros et Thanatos (l'amour avec les fleurs), la bisexualité de l'être humain, et enfin le retour à la matrice. Une nouvelle riche de connotations fort diverses et qui plonge au plus profond des racines humaines.
L'anthologie « Retour à la Terre » serait-elle l'hirondelle qui annonce un nouveau printemps de la SF française ? Après le long tunnel des années 60, acceptons-en l'augure.
Notes :
1. Voir sur ce thème, le roman homonyme d'Ira Levin : « Un bonheur insoutenable » (J'ai Lu 434).
Denis GUIOT
Première parution : 1/6/1975 dans Fiction 258
Mise en ligne le : 9/3/2015