Léonora MIANO Première parution : Paris : Grasset, 21 août 2019
GRASSET
(Paris, France) Date de parution : 21 août 2019 Dépôt légal : septembre 2019 Première édition Roman, 608 pages, catégorie / prix : 24 € ISBN : 978-2-246-81360-6 Format : 14,1 x 20,7 cm✅ Genre : Science-Fiction
L'éditeur mentionné en pages intérieures est "Grasset & Fasquelle". Existe aussi sous forme électronique sous l'ISBN 978-2-246-81631-3.
Dans un peu plus d’un siècle, nous voici à Katiopa : un continent africain presque entièrement unifié, devenu prospère, où les Sinistrés de la vieille Europe sont venus trouver refuge.
Les Fulasi, descendants d’immigrés français qui avaient quitté leur pays au cours du XXIe siècle parce qu’ils s’estimaient envahis par les migrants, sont désormais appauvris et recroquevillés sur leur identité.
Le chef de l’État veut expulser ces populations inassimilables, mais la femme dont il tombe amoureux est partisane de leur tendre la main.
La rouge impératrice, ayant ravi le cœur du héros de la libération du Continent, ne risque-t-elle pas de désarmer sa volonté ?
Pour les « durs » du régime, il faut à tout prix séparer ce couple contre-nature, car cette passion menace de devenir une affaire d’État.
Jouant avec les codes de l’utopie et les techniques narratives de la série, cette vaste fresque poétique et politique, d’une ampleur et d’une ambition rares, opère un renversement ironique : l’obsession nationaliste et le malaise des minorités y sont mis en scène dans un environnement panafricain.
Née en 1973 au Cameroun, Léonora Miano vit en France depuis 1991. Elle est l'auteur de neuf romans, dont Contours du jour qui vient (Plon, 2006, prix Goncourt des lycéens), La Saison de l'ombre (Grasset, 2013, prix Femina), Crépuscule du tourment 1 et 2 (Grasset, 2016 et 2017).
Critiques
[Critique parue exclusivement dans la version numérique de la revue]
Classés en « mauvais genres », la science-fiction ou le fantastique s’invitent parfois chez les éditeurs « institutionnels » peu habitués aux déviances de l’Imaginaire ; on parle alors souvent de réalisme magique ou autre pirouettes littéraires. Oubliez toutes ces précautions oratoires destinées à rassurer le lectorat habituel des « grandes maisons d’édition » : Rouge impératrice de Léonora Miano est non seulement un roman de science-fiction mâtiné de fantastique, mais c’est également un grand roman superbement écrit, passionnant, et forçant son lecteur à réfléchir et à se mettre face à des réalités difficiles à entendre, quelle que soit sa couleur de peau ou son genre.
Imaginez un monde où les dérèglements climatiques et autres escarmouches nucléaires ont profondément rebattu les cartes géopolitiques. Dans ce monde, l’Afrique – rebaptisée Katopia –, presque entièrement unie depuis cinq ans, construit peu à peu une civilisation prospère, si ce n’est isolationniste, sous la direction d’Illunga, son président. Parmi les multiples scories sur son chemin se dresse une communauté fulasi (comprendre française) venue se réfugier dans ses anciennes colonies pour fuir un pays qui ne leur ressemblait plus, et qui depuis refuse obstinément de s’intégrer par peur de perdre son identité. Alors qu’Illunga est prêt à montrer la porte de sortie à cette communauté dérangeante, la rencontre avec une femme au teint rare en Katopia (partiellement albinos, elle est rousse à la peau cuivrée) va bouleverser son cœur et ses projets politiques, au grand dam des partisans d’une ligne dure…
Une problématique à large spectre, donc, que Léonora Miano explore ici avec une grande finesse, abordant les bouleversements qui se sont déjà produits dans sa Katopia unifiée autant que ceux à venir, les relations amoureuses entre les hommes, les femmes, les non-binaires, et la place que chacun doit prendre dans la vie publique et privée. En mélangeant les différents passés des peuples d’Afrique (y compris des successions de colons qui se sont enracinés dans ces terres, qu’ils viennent d’Europe ou d’ailleurs) et des descendants exilés vers d’autres continents, elle élabore ainsi, au fil des pages, un miroir de notre société actuelle. Miroir particulièrement fidèle, d’ailleurs, au point d’en être parfois douloureux, mais aussi porteur d’espoir et d’une certaine poésie.
En revanche, narrant un processus évolutif complexe, Rouge impératrice n’est pas un livre facile. D’autant que le récit est émaillé de nombreux termes peu familiers – éclairés par un glossaire assez restreint. Aussi, une bonne cinquantaine de pages sera nécessaire pour entrer dans le récit et s’adapter au mode de narration proposé. Plus que dire des faits, Miano décrit les pensées des narrateurs et narratrices de chaque passage avec, à l’instar de la pensée humaine elle-même, des allers-retours entre passé et présent, ce que l’on voit et constate autour de soi et la façon dont on l’interprète. Ajoutez-y une dose de fantastique, avec la présence d’une magie ancestrale, métissage de plusieurs traditions africaines et de nombreux voyages dans le monde des rêves, et vous obtiendrez de quoi dérouter le lecteur. Avant de le remettre dans le droit chemin quelques pages plus loin. Voilà un univers qui se mérite, en somme, mais dont on ressort changé, comme plus ancré dans une réalité qui n’était pas tout à fait la même avant qu’on entreprenne la lecture de ce Rouge impératrice.