Au commencement, l'Homme créa le Robot pour en faire son esclave. Mais le peuple s'est révolté et a fui vers une Terre promise où coulent en abondance l'huile de vidange et l'électricité. La mémoire de cette civilisation riche et brillante se perpétue à travers tout un cycle de mythes, contes et légendes dont Stanislas Lem, ethnorobotlogue émérite, nous livre ici la quintessence. Princesses d'argent et palais de cristal, princes d'or et tyrans d'airain, démons de mercure et dragons de fer, c'est tout un univers cliquetant et clignotant qui déroule sous nos yeux incrédules les fastes de ses circuits imprimés. Seul l'humour y est grinçant.
1 - Les Trois électribuns (Trzy elektrycerze, 1964), pages 9 à 16, nouvelle, trad. Dominique SILA 2 - Les Oreilles d'uranium (Uranowe uszy, 1964), pages 19 à 25, nouvelle, trad. Dominique SILA 3 - Comment Erg l'automorphe terrassa le blêmard (Jak Erg Samowzbudnik Bladawca pokonal, 1964), pages 29 à 45, nouvelle, trad. Dominique SILA 4 - Deux monstres (Dwa potwory, 1964), pages 49 à 58, nouvelle, trad. Dominique SILA 5 - Comment Microphile et Gigatien suscitèrent la fuite des nébuleuses (Jak Mikromil i Gigacyan ucieczke mglawic wszczeli, 1964), pages 61 à 67, nouvelle, trad. Dominique SILA 6 - Les Conseillers du roi Hydrogue (Doradcy króla Hydropsa, 1964), pages 71 à 87, nouvelle, trad. Dominique SILA 7 - L'Ami d'Automathieu (Przyjaciel Automateusza, 1964), pages 91 à 113, nouvelle, trad. Dominique SILA 8 - Le Roi Globares et les sages (Król Globares i medrcy, 1964), pages 117 à 130, nouvelle, trad. Dominique SILA 9 - Conte du roi Trognace (Bajka o królu Murdasie, 1964), pages 133 à 145, nouvelle, trad. Dominique SILA 10 - Les Trésors du roi Biscalare (Skarby króla Biskalara, 1964), pages 149 à 160, nouvelle, trad. Dominique SILA 11 - Le Prince Ferrice et la princesse Cristalie (o Królewiczu Ferrycym i królewnie Krystali : z dziela Cyfrotikon, 1965), pages 163 à 177, nouvelle, trad. Dominique SILA 12 - La Mort blanche (Biala smierc, 1964), pages 181 à 188, nouvelle, trad. Dominique SILA 13 - Conte de la machine à calculer qui combattit le dragon (Bajka o maszynie cyfrowej, co ze smokiem walczyla, 1964), pages 191 à 199, nouvelle, trad. Anna POSNER
Critiques
Le titre polonais est sans doute plus transparent que le français : Bajki robotów, « contes de robots ». En effet, le « inoxydable » du titre français, s’il joue sur le double sens du matériau et de la résistance au temps, concerne bien les protagonistes principaux de ces contes : qu’ils soient électribuns, happelopins ou astruands, ces robots ont créé une société autonome qui se passe très bien de l’être humain. Celui-ci n’a pas complètement disparu, il intervient même très ponctuellement, mais le surnom que lui donnent les robots, les « blêmards », montre bien tout le mépris que les êtres inoxydables lui vouent. Il faut dire que les robots de Lem ont des pouvoirs que ne pourront jamais posséder les humains : ils maîtrisent l’électricité, qui leur ouvre un éventail d’inventions et de technologies invraisemblables, mais cela va encore plus loin : ils sont capables de forger des planètes, des étoiles, des galaxies… bref, de jouer au démiurge, parfois inspiré, parfois un peu bricoleur sans conscience. Et leurs faits s’apparentent bien souvent à de la magie. Ce qui nous ramène à l’autre élément du titre, la notion de conte. Les récits ici réunis adoptent ainsi tous cette forme, avec la portée philosophique qu’on lui connaît ; car, tout robots qu’ils soient, les personnages reproduisent le comportement et les modes de pensée des hommes, avec une propension évidente au despotisme, à la ruse, la trahison, bref à tout un tas de penchants obscurs que Lem, avec sa misanthropie et un ton sarcastique que lui permet ce double décalage, décortique avec gourmandise et beaucoup d’humour pour dresser un tableau peu flatteur des travers de l’âme humaine. Pourtant, l’utopie est parfois à portée de main pince : si tous les éléments sont à disposition pour construire une société idéale durable, il y a toujours un caillou dans l’engrenage.
On ressort ainsi de ces Contes inoxydables avec l’impression d’avoir lu quelque chose de profondément original, issu du contraste entre des contes à la Grimm ou à la Perrault et des protagonistes robots aux facultés quasiment divines et hautement technologiques, frappé du ton iconoclaste de Lem. On conseillera néanmoins de lire sans précipitation, pour d’une part éviter les redites (tous les contes étant en effet construits sur le même principe, même si les éléments de l’intrigue diffèrent), d’autre part laisser le temps de mieux percevoir leur portée universelle, qui reste valable près de soixante ans après la parution originelle du recueil. En un mot : inoxydable.