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La convention Mondiale de SF NOREASCON

Jacques GUIOD

Galaxie n° 91, décembre 1971

La Convention Mondiale de S. F.
Noreascon
PAR JACQUES GUIOD


          Le Noreascon, 29e Convention Mondiale de science-fiction, s'est tenue du 3 au 6 septembre 1971 dans l'hôtel Sheraton de Boston, Massachusetts. Plus de deux mille personnes s'étaient inscrites et plus de seize cents vinrent effectivement participer à la convention. Déjà, sur ce point précis, Noreascon fut un succès. L'écrivain invité d'honneur était Clifford Simak et l'invité fan était Harry Warner Jr. qui tient depuis une trentaine d'années une place importante au sein du fandom américain.
          On pouvait noter la présence de nombreux écrivains en plus de Clifford Simak : Robert Silverberg (qui était grand-maître des cérémonie ), Isaac Asimov (qui remettait les Hugos), John Brunner, Poul Anderson, Gordon Dickson, Larry Niven, Dannie Platcha, Hal Clément, Emil Petaja, R.A. Lafferty, James Gunn, Bob Shaw, Ben Bova, Lester del Rey, Lin Carter, Sprague de Camp, Alexei Panshin, Frederik Pohl, Sonya Dorman, etc... Quelques écrivains s'étaient inscrits mais ne vinrent malheureusement pas, dont Philip José Farmer, Roger Zelazny, Algis Budrys.
          Sans compter les artistes : Jeff Jones, Frank Kelly Freas, Karen Thole, J. Wyrs, Jack Gaughan, Eddie Jones...
          Voici comment se déroula le programme (il faut remarquer qu'il pouvait très bien se passer plusieurs choses simultanément dans plusieurs endroits — Boston n'est pas Heidelberg) :
          Jeudi 2 septembre :
          — Soirée de films.
          Vendredi 3 :
          — Matinée de films (consacrée, comme toutes les autres matinées, a l'œuvre de Harry Harryhausen).
          — Ouverture officielle et présentation des célébrités.
          — Film sur l'intelligence chez les dauphins.
          — La SF et la critique, animé par Lester del Rey.
          — Discussion sur l'univers urbain.
          — Discussion sur le film de SF.
          — Soirée de cinéma.

          Samedi 4 :
          — Matinée de films.
          — Conférence sur l'Atlantide, par Henry M. Eichner.
          — Choix du site de la convention de 1973.
          — Problèmes de l'analyse littéraire en SF, avec Virginia Carew, Tom Glareson, A. Panshin et Ivor Rogers.
          — Débat sur les futurs possibles de l'humanité, avec Ben Bova et Lester del Rey, Joe Hensley et Bob Silverberg ;
          — Discussion sur les cinq prochaines années dans la SF, avec Clifford Simak, Poul Anderson, James Gunn et d'autres. Plus un court métrage tourné pendant un symposium sur la new wave que dirigeait Harlan Ellison.
          — Défilé de costumes et cérémonie de St. Fantony.
          — Soirée de films.
          Dimanche 5 :
          — Conférence de Bob Briney sur certains écrivains fantastiques comme Sax Rohmer ou Keeler.
          — Le temps et ses modifications, par le Dr Wallace Howell.
          — La place du robot dans la société, dialogue entre Cliff Simak et Isaac Asimov.
          — La technologie pour une terre habitable, dirigé par Hal Clement.
          — Les usages du futur, dialogue entre Fred Pohl et Sidney Feinleib.
          — Banquet et remise des Hugos.
          — Soirée de films.
          Vendredi 6 :
          — Discussion sur l'enseignement de la SF.
          — Discussion sur l'art de la SF.
          — L'intelligence artificielle.
          — Les implications de la génétique.
          — Le rôle de l'artiste dans la SF, avec Eddie Jones, Jeff Jones, Frank Kelly Freas, Karel Thole, Donald Wollheim.
          — Conclusion officielle de la convention et soirée de films.

          Il faut remarquer que, à une seule exception près, le programme effectif était exactement celui qui avait été prévu et annoncé plusieurs semaines auparavant.
          Il ne faut pas oublier de citer les innombrables réunions qui se tinrent un peu partout dans l'hôtel : Bibliophiles de E.R. Burroughs, First Fandom, S.F.W.A., etc. Ou encore les ventes aux enchères qui avaient lieu une ou deux fois par jour. Ou bien enfin les groupes de discussion qui s'étaient formés quasiment a nihilo et qui portèrent sur un nombre incalculable d'aspect de la SF. D'un point de vue personnel, nous croyons que ce fut peut-être la l'aspect le plus fructueux et le plus profitable de toute cette convention.

          Comme on peut le voir, le cinéma a tenu une place très importante au Noreascon : plusieurs dizaines d'heures de projection ont permis aux sans-logis de trouver une salle obscure et un plancher accueillant, et aux cinéphiles de se délecter en voyant (ou en revoyant — pour ne citer que quelques titres) : Planète interdite. Le voleur de Bagdad, Le choc des mondes, Le jour où la Terre s'arrêta, 2001 (dans une version moins tronquée que celle qui nous a été présentée en France), La conquête de l'espace, Le monde perdu, Les premiers hommes dans la Lune, L'île mystérieuse, Them, La guerre des mondes, Wizard of Id, Le 7e voyage de Sinbad, etc... Plus un nombre énorme de sérials (Flash Gordon, The Avengers, Captain Marvel), de dessins animés ou encore de films résumés en une douzaine de minutes. Certains films passaient même sur la télévision privée de l'hôtel et pouvaient donc être vus dans toutes les chambres. Rien que pour son programme de films, Noreascon valait largement le déplacement.

          Un grand nombre d'artistes exposaient des œuvres souvent très intéressantes. A remarquer tout particulièrement une salle entière de peintures de Jeff Jones qui, bien que très jeune, semble se tailler une place de plus en plus importante dans l'art fantastique. Par certains côtés, il dépassa même Frank Frazetta qui a malheureusement tendance à ne pas beaucoup se renouveler — mais peut-être est-ce la faute des éditeurs qui ne lui commandent que des couvertures d'heroic fantasy. Le concours de peintures inspirées par l'œuvre de Clifford Simak se montra particulièrement décevant ; sur les trois œuvres récompensées, les deux premières étaient à mi-chemin entre le dessin d'enfant à l'école maternelle et le graffiti de débile mental. Seule la troisième œuvre — une peinture d'Eddie Jones illustrant Demain les chiens — avait quelque intérêt. Plusieurs autres prix plus ou moins bidons — surtout plus que moins ; il faut bien faire plaisir à tout le monde, n'est-ce pas ? — furent décernés : « Poésie de l'enfance »( ?), « Conception astronomique de l'espace extérieur »( ! ? !) — qui alla, soit dit en passant, au Français Jacques Wyrs pour un des trop nombreux tableaux qu'il avait accrochés — etc... Un artiste de très grande valeur, Karel Thole, exposait les originaux des couvertures qu'il réalise pour le magazine italien Urania, Thole avait déjà exposé à Heidelberg et viendra en décembre au mois de la SF de la Maison de la Culture de Grenoble.

          Noreascon était aussi une fête pour le collectionneur de vieux livres ou de vieux magazines (pulps, comics, etc...). Par exemple, le tout premier numéro de Weird Tales fut allègrement vendu 125 dollars ; la première BD de Frazetta, Thunda, 75 dollars. Et le reste a l'avenant. Le problème financier mis à part — au diable l'avarice ! — cette convention était vraiment une occasion unique de compléter ses collections. Seule la Convention Mondiale de BD qui se tiendra en avril 1972 à New York — 75 ans de comics — pourra dépasser Noreascon en importance.

          A part cela, on a beaucoup bu, beaucoup rigolé, beaucoup fait un tas d'autres choses — des parties durant toute la nuit se tenaient à tous les étages de l'hôtel — tendant à raffermir les liens amicaux entre fans venus de divers horizons, il 'y eut malheureusement quelques incidents à déplorer : grincheux extra-convention décidant d'appeler les flics pour tapage nocturne, expulsion des fêtards, réflexions des bourgeois sur l'allure et la tenue de certains fans, etc... C'est ce qui arrive obligatoirement quand l'hôtel n'est pas entièrement réservé aux membres de la convention. Contact avec les «  non-initiés » ? Parlons-en : l'idée même d'une convention de SF fait sourire ; la SF, c'est bon pour les adolescents boutonneux ; ce sont des choses qui n'existent pas ; et aussi, merveille des merveilles : « La SF, ça serait pas les histoires de James Bond ? ». Autant donc rester entre nous ; l' «  éducation des masses » sera pour une autre fois.

          Peut-être est-il nécessaire de présenter quelque peu aux lecteurs français Harry Warner Jr., l'invité d'honneur fan de la convention.
          Harry Warner Jr. est né le 19 décembre 1922 en Pennsylvanie et a passé la plus grande partie de sa vie dans le Maryland. Il a passé tellement de temps dans cet endroit qu'il a acquis le surnom de Hermite de Hagerstown ; ce n'est qu'au bout de quarante ans qu'il a réussi à faire mentir son surnom. Mais il n'est pas devenu pour autant un voyageur téméraire ; Boston n'est que sa troisième convention... Harry Warner Jr. est plus connu pour la place importante qu'il tient dans le fandom américain. Il édite depuis une trentaine d'années un fanzine ( beau record ! ) et a publié un livre assez important sur le fandom des années quarante et sur les écrivains américains de SF, All our yesterdays, paru en 1969 chez Advent, Chicago.


          L'autre invité n'est plus à présenter, puisqu'il s'agit de Clifford D. Simak dont chacun a au moins lu le fabuleux Demain les chiens 1. Simak a déjà reçu deux fois le Hugo : en 1959 pour sa novelette La grande cour du devant et en 1964 pour son roman Au carrefour des étoiles 2. C'était pourtant la toute première fois qu'il était nommé invité d'honneur d'une convention mondiale. Il a aussi remporté l'International Fantasy Award et le premier prix du palmarès des lecteurs de Galaxy.
          Lester del Rey a dit de Simak qu'il « lutte toujours pour présenter des personnages emplis de dignité et de décence, qu'ils soient humains, robots ou extra-terrestres... Simak est probablement le seul écrivain capable de construire une histoire a suspense sur un mode léger. Une histoire de Simak est toujours dramatique ; elle n'est jamais mélodramatique. Cela requiert du talent ».
          En plus de ses nombreux romans et nouvelles, Simak écrit des articles de journalisme et des livres de vulgarisation scientifique, sans avoir aucune formation scientifique particulière.
          Simak n'est d'ailleurs pas très différent de ses personnages les plus forts et les plus vivants. Ses opinions sont puissantes et il croit véritablement en ce qu'il fait ; il sait accepter les critiques de bonne humeur mais ressent profondément les injustices envers les autres. Enfin, Simak n'a rien de l'écrivain vieillissant et gâteux que l'on nous décrit trop souvent. On pourrait croire qu'un homme qui écrit depuis plus de trente-cinq ans et qui est une des figures de tête de la SF traditionnelle serait opposé à tout réformisme où à tout modernisme. Les écrivains ennemis de la New Wave se comptent par dizaines ; des associations ont même été formées pour lutter contre les méfaits de cette «  pseudo-littérature pervertie et décadente » — par exemple, le groupe Seconde Fondation qui comprend dans ses rangs Sam Moskowitz, pour n'en citer qu'un. Clifford Simak, au contraire, n'a pas eu peur de dire : « Oui... c'est la révolution. Il faut que cela change. Tant mieux s'il y a un renouveau dans la SF, pourvu que les textes soient de bonne qualité. Et il y en a plus qu'on ne veut ordinairement l'admettre... »
          Un très beau texte de Simak était d'ailleurs cette année en compétition pour le Hugo de la novella. La chose dans la pierre 3. Enfin, un roman de Simak devrait paraître au tout début de 1972, ou même en décembre 71 chez Putnam. Il s'agit de A choice of gods, qui devait originellement s'intituler The project and the principle.
          De tous les débats qui eurent lieu pendant le Noreascon, nous ne nous préoccuperons que d'un seul, celui portant sur La place du robot dans la société. Bien d'autres points évoqués pendant cette convention se retrouvaient à Heidelberg ou à Worcester, pour ne citer que les deux plus récentes conventions de quelque importance. Les problèmes de l'analyse littéraire, de la critique, de l'enseignement de la SF ou de l'art dans la SF sont plus que rebattus. Le robot et l'intelligence artificielle sont aussi des sujets assez courants ; mais, discutés ordinairement par des hommes de science n'écrivant pas d'œuvre de fiction, ils furent exposés ici par deux des plus grands écrivains de la SF américaine, Isaac Asimov (professeur au Massachusetts Institute of Technology, entre autres) et Cliff Simak.
          Asimov tint tout de suite à insister sur l'amitié profonde qui le liait à Simak. Il a découvert l'auteur avant même de connaître l'homme et, après avoir évoqué quelques souvenirs communs, Asimov a voulu préciser que Simak était — avec Campbell — l'auteur qui l'avait le plus influencé et le mieux formé dans son métier d'écrivain.
          Simak : « On pourrait dire beaucoup de choses sur la place du robot dans la société, son utilité, sa fabrication. Mais je crois que nous allons nous pencher sur un point de vue particulier, le robot dans la SF... Isaac Asimov n'est pas l'inventeur du robot mais c'est lui qui a mis de l'ordre dans les robots avec ses lois. Pourtant, certains trouvent ces lois trop étroites. L'incident survenu pendant la première de 2001 est typique... »
          Asimov : «  Dès la fin de la première partie, je me suis écrié, le poing en l'air : « Ils ont trahi la première loi ! »... En fait, l'idée du robot est très ancienne et les hommes ont toujours pensé à créer des hommes mécaniques... Prenons un exemple : si nous voulons un instrument qui prenne la température, nous inventons quelque chose qui fait cela très bien, mais qui ne fait que cela. C'est donc très limité. L'homme n'est peut-être pas très bon à faire une chose déterminée mais il est capable de faire un nombre énorme de choses. Il nous faut donc avoir une machine qui fasse tout ce que fait l'homme mais bien mieux que lui... Notre société est fondée sur nos possibilités physiques actuelles. Du point de vue physique, le robot doit être exactement comme nous pour exister dans notre monde. Du point de vue émotionnel, le robot est utile à l'homme parce qu'il lui offrira non seulement l'obéissance ou l'amour mais aussi une vue de l'intelligence non humaine... Ce qui est bon pour un robot doit aussi être bon pour un homme... Quant à l'origine des lois sur la robotique, on s'imagine que je me suis un jour levé de mon fauteuil, les bras tendus vers le ciel, et que je me suis écrié : « Voilà la vérité ! Loi n° 1... ». Ce n'est pas spécialement cela. C'est en fait John W. Campbell qui a créé les lois ; je les avais déjà utilisé dans une nouvelle mais je ne les avais pas énoncées comme cela. Et Campbell a dit : « La première loi est... la deuxième loi est... la troisième loi est... ». Moi, je me suis écrié : « Gee ! ». C'était ma contribution aux lois de la robotique.
          » Comme tout ce que décrit la SF, les robots existeront un jour ou l'autre. Le grand problème du robot n'est pas celui de l'automatisme mais celui du self-control. Ce qu'il faut, c'est parvenir à créer un ordinateur de la taille d'un cerveau humain et qui en reproduise toutes les possibilités ; quand cela sera fait, le robot existera. Ce qui est intéressant est d'avoir un robot capable de construire un autre robot légèrement plus complexe que lui-même ; celui-ci en fera autant, etc... Il n'y a aucune limite è cette évolution, ou plutôt à ces évolutions,, car elles iront à chaque fois dans une direction légèrement différente. Il est même possible qu'une société de robots remplace entièrement une société humaine. La seule chance que nous ayons de sauver le monde est d'accélérer la fabrication de robots remplaçant les humains ; car les humains détruisent le monde. »


          Vint enfin le grand soir.
          Après un banquet où l'on mangea en quantité respectable et où l'on but beaucoup, les discours commencèrent avec leurs habituelles parties de remerciements, hommages, plaisanteries, etc... En somme, tout pour faire durer le suspense jusqu'à la remise des Hugos. Bon nombre de récompenses mineures allèrent à diverses personnalités. Ron Goulart reçut le Pat Terry Humor Award pour le roman le plus humoristique avec After thlngs fell apart. Le Big Heart Award alla à Doc Barrett. Des souvenirs furent distribués à Warner, Simak, Silverberg et Asimov.
          Le club de SF de Los Angeles décerna son First Fandom Award à la mémoire de John W. Campbell. Après un très beau discours de Lester del Rey en hommage à celui « sans qui nous n'existerions même pas », la fille de Campbell vint chercher le trophée (on eût dit une pendule Empire — mais peut-être ai-je mal vu) et déclara : « Si mon père avait été vivant, il eut été très touché de cet hommage. » L'hommage étant posthume, cela pose un beau problème de double temporalité : comment peut-on accepter de son vivant un hommage in memoria ?

          Asimov annonça les Hugos :

CONVENTION MONDIALE DE LA SCIENCE-FICTION DE BOSTON
PALMARES 1971
Hugo du meilleur roman : RINGWORLD de Larry Niven
Meilleure novella : ILL MET IN LANKHMAR de Fritz Leiber
Meilleure nouvelle : SLOW SCULPTURE de Théodore Sturgeon
Meilleur magazine professionnel : THE MAGAZINE OF FANTASY AND SCIENCE-FICTION
Meilleurs dessinateurs professionnels : LEO ET DIANE DILLON
Meilleur fanzine : • LOCUS
Meilleur auteur tan : RICHARD GEIS
Meilleur dessinateur fan : ALICIA AUSTIN
Meilleure œuvre dramatique : non décerné

          PEUT-ETRE est-il bon de revenir sur certains points de ce palmarès.
          Sur les cinq œuvres proposées pour le Hugo de la réalisation dramatique, deux seulement sont connues du public français : Colossus, the Forbin project de Joseph Sargent 4 et Blows against the Empire, disque du groupe Jefferson Starship sur des textes de Simak, Clarke, etc... Les trois autres œuvres en compétition n'avaient vraiment que peu d'intérêt (Hauser's memory ; No blade of grass ; Don't crush that dwarf, hand me the pliers). Le disque Blows against the Empire se rapproche par son style du « H.P. Lovecraft » de triste mémoire, ce qui ne fait pas grand-chose. Il est à la portée de tout le monde de prendre des textes d'auteurs de SF ; encore faut-il leur mettre une musique appropriée ; ce qui n'est évidemment pas le cas. Seul vraiment Colossus aurait pu obtenir le Hugo ; mais les électeurs en ont décidé autrement.
          Signalons simplement que c'est la troisième année consécutive que The magazine of fantasy et science fiction — version américaine de Fiction — obtient le Hugo. Le record est pour l'instant détenu par Astounding avec quatre hugos de suite : 1953, 1955, 1956 et 1957 (aucun Hugo n'a été remis en 1954).
          Du côté des œuvres littéraires, Continued on next rock de R.A. Lafferty et Jean Dupres de Gordon Dickson venaient derrière Slow sculpture de Sturgeon 5. The thing in the stone de Simak 6 et The region between de Harlan Ellison 7 se classaient derrière Ill met in Lankhmar de Fritz Leiber 8. Pour le meilleur roman, Tau zero de Poul Anderson et Tower of glass de Silverberg furent battus par Ringworld de Larry Niven.
          Le choix de ces trois Hugos nous permet de nous poser deux questions fondamentales sur 1°) l'utilité du Hugo et du Nebula. 2°) le vote des lecteurs pour le Hugo du roman.
          En effet, il n'est pas rare qu'une œuvre littéraire remporte la même année le Nebula et le Hugo. Mais, cette année, les trois œuvres primées par le Nebula étaient également récompensées par le Hugo. Il serait évidemment facile de croire que ces trois textes débordent de qualité, ce qui les a fait sélectionner par deux jurys différents. Mais ceci est faux et c'est là que le jeu est, sinon truqué, du moins boiteux.
          Le Nebula a été décerné après vote des 400 membres du SFWA, Science Fiction Writers of America. Or, toutes ces personnes s'inscrivent aux conventions et envoient leur bulletin de vote pour le Hugo, Ce qui fait un double vote pour les membres du SFWA. D'autre part, sur 2.000 inscrits à la Convention, il n'y eut que 732 bulletins de vote dont 677 venant des Etats-Unis (soit 57,1 [%] des inscrits américains). En conclusion, les membres du SFWA ayant voté pour le Hugo représentent légèrement plus de la moitié des suffrages exprimés. Il est donc normal que les Hugos et les Nebulas de cette année aillent récompenser les mêmes œuvres littéraires.
          Le jeu est faussé par le nombre écrasant des Américains dans la course aux Hugos (tant du côté des a,uteurs que de celui des lecteurs). Depuis plusieurs années, un seul Hugo a été décerné à un auteur anglais : John Brunner, en 1969, avec Stand on Zanzibar 9. Il existe pourtant énormément de romans ou d'auteurs anglais de qualité. Et. le problème est encore plus grave pour les pays de langue non anglaise ; imaginons par exemple qu'un auteur français écrive un roman absolument génial et supérieur à tout ce que les auteurs américains auront pu produire dans l'année. Ce roman n'a quasiment aucune chance d'être traduit en anglais et s'il l'est, ce sera trop tard pour entrer dans la compétition du Hugo. Voilà.
          Le BSFA décerne tous les ans un prix au meilleur roman anglais ; le SFWA décerne le Nebula. Il existe dans plusieurs autres pays, à une échelle moindre, évidemment, le même genre d'organisation et de récompense. Il serait donc particulièrement intéressant que : 1°) le Nebula soit réservé à un auteur américain et que 2°) le Hugo fasse entrer en compétition les meilleurs romans de chaque pays après délibération au niveau national. Pourtant, cela pose toujours des problèmes de langue et de traduction insolubles à l'heure actuelle.


          Un autre point important sur lequel je tenais à m'étendre est celui du choix des romans en compétition pour le Hugo. Beaucoup — dont j'étais — s'attendaient à ce que Tower of glass de Silverberg remporte le Hugo, surtout après sa défaite au Nebula. Mais le roman de Silverberg n'arriva que troisième.
          Tower of glass, d'abord publié par Scribner puis repris par Bantam Books en édition de poche, est un des plus beaux romans de Silverberg. L'obsession du héros, Simeon Krug, est la construction d'une tour de plus de mille mètres de haut qui lui permettrait de répondre aux messages étranges venus de l'espace. Tout un peuple d'androïdes travaille à la construction de cette tour monumentale. Le sujet est d'apparence fort simple. Cela ferait un roman bien classique s'il était traité par n'importe qui. Sous la plume de Silverberg, c'est une œuvre très riche où tous les problèmes du monde actuel — et de la SF actuelle — sont posés ; Silverberg va encore plus loin que dans Son of man ou que The man in the maze et The masks of time 10. Tower of glass est une œuvre qui peut être lue a de multiples niveaux ; chaque thème est traité de façon précise et complète, que ce soient les problèmes politiques posés par la coexistence des androïdes et des hommes, les problèmes sexuels, la critique de la religion, la recherche scientifique, la psychologie des personnages, la quête de soi-même de Simeon Krug, etc... Silverberg ne craint pas de mettre les points sur les I — de mettre les pieds dans le plat, diront certains. Oui, Tower of glass est une œuvre de combat, une oeuvre politique. La SF est ici une littérature vraiment adulte, consciente et engagée. Et je crois bien que ce processus engagé par Silverberg il y a quelques années ne fait que s'accélérer. Relisez donc le speech que Silverberg prononçait il y a un an à Heidelberg 11...
          Tower of glass est bourré de qualités littéraires ; il était donc normal qu'il se trouve dans la course aux Hugos. Mais c'est un livre trop actuel pour obtenir la première place. Songez qu'un roman de Poul Anderson, Tau Zéro — un très bon roman, d'ailleurs, mais très < classique » — arrivait deuxième...


          Avec Ringworld 12, publié en édition de poche par Ballantine Books, Larry Niven présente sa première œuvre vraiment importante. Il avait publié auparavant World of Ptavvs où l'on rencontre pour la première fois des personnages typiquement nivenniens ; le recueil Neutron star : huit histoires dont l'une obtint le Hugo de la nouvelle en 1967 ; un roman, A gift from Earth ; et plusieurs nouvelles dans différents magazines.
          Des textes de Niven sont parus dans Fiction :

          — La bordure noire, F 162.
          — Calme plat en enfer, F 163.

          Galaxie a déjà publié :

          — Impasse dans le temps, G 31.
          — La face cachée de la Terre, G 38.
          — Comment meurent les héros, G 41.
          — L'étoile Invisible, G 47.
          — Jusqu'au cœur, G 48.
          — L'endroit le plus froid, GS 8.
          — L'œil de la pieuvre, G 55.
          — Reviens, Carol !, G 57.
          — Jusqu'au fond de l'univers, G 63.
          — Les guerriers, GS 20.
          — L'arme molle, G 88.


          Ringworld est l'histoire de quatre voyageurs. Louis Wu, un homme qui vient de fêter son deux centième anniversaire et qui cherche quelque chose de nouveau dans la vie ; Nessus, un extra-terrestre peureux dont le monde ne connaît pas la notion de violence — malheureusement, Nessus est complètement fou ; un kzin appelé Celul-qui-parle-aux-animaux : grand, carnivore et couvert d'une fourrure rouge, c'est une des formes de vie les plus dangereuses de la galaxie ; et enfin, Teela Brown, une jeune fille de vingt ans sans expérience, sans facultés particulières — sauf qu'elle a une chance incroyable. Ces quatre personnages fort différents sont réunis dans la recherche d'un monde étrange et construit autour d'une étoile. De leurs attitudes et mentalités fort diverses naîtra ce roman. C'est tout. Le sujet n'est évidemment pas original, loin de la. Mais les psychologies des héros étant étudiées è fond, l'histoire est cohérente d'un bout à l'autre. Evidemment, Louis Wu et Teela Brown ont des relations sexuelles — gentiment et pudiquement escamotées par l'auteur. Tout le reste a l'avenant.
          Quelle différence avec Tower of glass !
          Il est bien normal qu'un tel roman obtienne le Hugo ; quand on voit la mentalité et les conceptions littéraires du fan américain moyen — la majorité silencieuse de la SF — il ne faut pas s'étonner des résultats.
          Ringworld est un bon roman de SF classique ; mais si l'on demande a la SF un peu plus qu'une histoire bien racontée, il vaut mieux lire Silverberg...
          Ce n'est pas encore demain que l'on verra une œuvre de la force de Camp concentration 13 de Disch, par exemple, obtenir le Hugo. Pourtant, l'évolution se fait petit è petit parmi les lecteurs de SF et si Tower of glass est classé troisième, ce n'est pas si mal. Qu'en aurait-il été il y a dix ans ?
          Le mouvement s'accélère quelque peu ; faisons en sorte qu'il s'accélère vraiment.


Notes :

1. Paru au C.L.A. ; réédité chez J'ai Lu.
2. Paru chez Albin Michel.
3. Galaxie 84.
4. Voir l'article de Jacques Lourcelles, Galaxie 88.
5. Sculpture Unie, Galaxie 82.
6. La chose dans la pierre. Galaxie 34.
7. La région intermédiaire, Galaxie 85.
8. Qui figurera dans le Second cycle des épées à paraître en 1972 dans la collection Aventures Fantastiques
9. A paraître dans la collection Ailleurs et Demain sous le titre Tous à Zanzibar.
10. Parus au C.L.A. sous les titres L'homme dans le labyrinthe et Les masques du temps.
11. Voir l'article de Patrice Duvic dans Galaxie 81.
12. A paraître au C.L.A. en 1972.
13. Paru au C.L.A. sous le titre Camp do concentration.

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