Page 6 sur 6. Revenir page 5 6. Les chadbords et autres cosmocats
Mais si la science-fiction donne à nos petits félins une place non négligeable, c'est aussi, plus pragmatiquement, du fait de leurs qualités domestiques. Alors qu'un chien supporte mal d'être confiné dans un espace restreint, le chat, lui, est volontiers casanier. Pour peu qu'il ait une banquette confortable, un endroit où faire ses griffes et des mains pour le caresser, il accepte facilement d'être privé de grands espaces et de souris à chasser. En Finlande, les esprits du foyer, les Paras, prennent d'ailleurs souvent, dans les légendes, la forme d'un chat. Au XIXème siècle, les hygiénistes se sont employés à renforcer cette identification du chat au foyer en valorisant la propreté du chat, qui en fait un animal d'intérieur idéal. Aussi le chat est-il devenu, dans la science-fiction, l'animal de bord par excellence. Difficile, quand on est à bord d'un astronef, de sortir promener Médor... à part dans Star Trek, on n'a pas toujours une planète de classe M à proximité.
C'est sans doute le cycle de Pégase, d'Anne Mac Caffrey, qui a le plus exploité cette idée, avec le concept du chadbord. Le mot lui-même est suffisamment parlant : le chadbord, c'est le chat-de-bord, une race de chats spécialement conçus pour vivre à bord des astronefs, au point qu'ils ne quittent jamais l'espace, sauf lorsque l'un d'eux est illégalement introduit parmi les rampants. Le chadbord, croisement entre chat et lynx, fait la fierté de son équipage, au point que tout vaisseau ayant la chance d'en posséder un voit peu à peu sa coque se parsemer d'inscriptions « chadbord embarqué ». Les astronautes sont si fiers de leurs chadbords qu'ils éprouvent des sentiments mitigés à l'égard de la fascination qu'ils exercent sur les rampants : que l'on admire l'animal, c'est naturel et même encouragé, mais le toucher est hors de question. Chaque jour, un chadbord est élu « chadbord du jour » et sa photo est diffusée sur tous les médias de la planète. Les vaisseaux se prêtent parfois leurs bêtes, afin d'obtenir des portées les plus exceptionnelles possibles. Mais le chadbord n'a pas qu'une valeur esthétique ou un impact d'image. En effet, ce chat très intelligent, capable de parler aux télépathes, rend d'immenses services aux équipages, car ses pouvoirs de perceptions accrus lui donnent la possibilité de détecter la moindre fissure dans la coque du vaisseau. Il est donc un membre à part entière de l'équipe, et non un simple élément décoratif. Il est en outre réputé pour survivre aux accidents spatiaux, de sorte que la devise de toutes les équipes de secours spatial est devenue : « trouvez le chadbord ! ». Cette résistance du chat, qui trouve sa source dans la réalité, mais aussi dans des croyances populaires (« un chat retombe toujours sur ses pattes », « un chat a neuf vies ») est aussi mise en évidence dans Star Trek, où Spot, le chat de Data, survit à la destruction de l'Entreprise D. Quant aux rampants, ils se consolent avec leurs chatcoons, plus gros et plus intelligents qu'un chat domestique, capable de contact télépathique rudimentaire, mais quand même fort éloignés de leurs célèbres cousins.
Cette présence du chat dans les vaisseaux spatiaux n'est pas une spécificité du cycle de Pégase. Nous avons d'ailleurs évoqué la mascotte de l'équipage de Du Danger des Traités, qui sauve l'humanité d'une invasion extra-terrestre. On pourrait citer aussi, parmi les mascottes félines, le Tommy de Esprit es-tu là, d'Arthur C. Clarke, le Pixel du Chat Passe-muraille (Heinlein) ou encore, dans la littérature pour enfants, le chat Moustache de Trois Enfants dans les Étoiles (Jacqueline et Claude Held). Et même si le héros de la Guerre éternelle (Haldeman) ou le cerveau-pilote de Fido (G.D. Dickson) n'aiment vraiment pas les chats, c'est bien encore une mascotte féline que l'on trouve à bord des deux vaisseaux. Dans la Faune de l'Espace (Van Vogt), on trouve des chats spatiaux qui, comme les chadbords, sont des croisements de chats et de lynx. Détail pratique, déjà évoqué dans un précédent paragraphe, ils ont le pouvoir de contrôler les phénomènes vibratoires et la cohérence de la matière... Sans doute très utile en cas de collision. En définitive, le chat est si fortement associé à l'astronef que l'on songe spontanément à un chat lorsque le Xénophobe, dans l'Usage des Armes (Banks), se transforme en une petite boule de fourrure jaune et brune pour tenter de séduire Sma. Evidemment, techniquement, ce n'est PAS un chat, puisque Sma dit qu'elle n'a jamais vu un seul spécimen d'une telle espèce. Mais par son attitude, ses mimiques, son allure, il est certain qu'il y a du chat en lui. Il se blottit, frotte son visage contre le cou de Sma, se renverse sur le dos dans une posture dramatique, joue à la perfection la carte de la séduction et de la dignité outragée... Bref, la mascotte-type, dans la représentation que s'en fait le vaisseau, n'est rien d'autre qu'un matou relooké.
Mais un chat dans un vaisseau, ça peut aussi être du sport... C'est le cas évidemment quand le cerveau-pilote se prend pour un chien, comme le Fido de Dickson. Mais cela peut être plus insidieux encore... Dans l'Autremental, une nouvelle de Dick (lui-même grand amoureux des chats), on retrouve l'idée, déjà évoquée, que faire du mal à un chat peut se retourner contre soi. Le héros de la nouvelle, quand il se réveille de l 'hibernation, s'aperçoit que son vaisseau a dévié, parce que le chat a tripoté les commandes. Énervé, il balance le chat dans le vide, puis se rend sur la planète où il doit livrer un vaccin. Mais les extra-terrestres, qui s'attendaient à voir le chat, n'ont apparemment pas apprécié son geste d'humeur : quand il repart, le système d'hibernation a disparu, et toute la nourriture a été remplacée par de la pâtée pour chat. Deux ans à bouffer du Ron-Ron... Peut-être, quand on a un chat à bord, vaut-il mieux avoir les nerfs solides. C'est sans doute aussi ce que pense l'équipage du Walkyrie, dans les Chats de Lehr, un livre pour enfants de Katherine Kurtz. Transporter quatre chats bleus destinés au frère de l'Empereur et considéré comme des créatures maléfiques par le peuple mystique des Aludrans, il y a de quoi s'inquiéter. Surtout quand commencent d'étranges crimes rituels...
Sans doute est-ce à force de voyager comme mascottes à bord d'astronefs en tous genres que les chats ont accédé au rang d'espèce astro-pérégrine. Quoi qu'il en soit, on trouve dans la SF beaucoup d'extra-terrestres abondamment pourvus en attributs félins. C'est le cas des proto-félins du cycle Unité (Bradley), dont nous avons déjà parlé. Ils constituent même, depuis qu'ils ont découvert les mécanismes du voyage supra-luminique, la principale espèce à naviguer entre les étoiles. Il en est de même dans le cycle de Chanur, de C.J. Cherryh, où l'on trouve une civilisation féline anthropomorphe, où la culture veut que les femelles servent dans l'espace, tandis que les mâles restent sur le plancher des vaches (on retrouve ici la féminité du chat, dont nous avons parlé). Notons aussi que les BD américaines des années 40 et 50 ont vu fleurir les hommes-chats, hommes-tigres et hommes-lions pour illustrer la thèse des méchants aliens enlevant les humains à des fins plus ou moins coupables, un peu comme les Mekhars de Bradley. On trouve même de nombreuses personnes pour croire que les chats sont en réalité des extra-terrestres voyageant incognito. Cette idée, exploitée par Van Vogt dans The Cataaa et par Fredric Brown dans Une Souris est la base de quelques sites joyeusement délirants, qui se proposent de vous aider à déterminer si votre chat est, oui ou non, un voyageur de l'espace...
Conclusion
Le chat a donc fait bien du chemin depuis le temps où il accompagnait les pharaons dans leur voyage vers le Pays des Morts. Il a visité les contrées fantastiques, servi les sorciers et les magiciens de l'héroïc fantasy, parcouru l'univers de la science-fiction, tout cela en gardant son mystère. Sa souplesse, sa sensualité, son indépendance, l'énigme de son regard, tout semble contribuer à en faire un animal-clef de notre imaginaire et à lui assurer sa place dans maintes productions de notre esprit. Nous avons domestiqué et dressé le chien. Le chat, lui, nous a subjugués. Aussi son rôle dans la littérature de l'imaginaire n'est-il que très rarement celui d'un simple compagnon, ou d'un animal familier, mais au contraire celui d'une créature complexe et mystérieuse.
Finalement, comme le disait le chat prismatique au roi Ben, le chat a pour les hommes un rôle quasi-psychanalytique : « Les humains ne savent pas écouter. Ils ne cessent de jacasser. Notre présence les rassure. Nous ne posons aucune question et ne portons aucun jugement. Ils parlent et nous écoutons. C'est si réconfortant, une oreille attentive ! Ils nous disent tout : leurs pensées les plus secrètes, leurs rêves les plus fous, tout ce qu'ils n'osent révéler à personne. Et parfois, Messire, ils se confient sans même s'en rendre compte et, leur confession achevée, se demandent encore pourquoi ils se sont laissés aller à tant de confidences. »
|