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Les chats dans les littératures de l'imaginaire
(SF, fantasy, fantastique)

Nathalie LABROUSSE

nooSFere, juin 2000

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5. Des chats et des hommes... un contrat toujours révisable


          Cette nouvelle de Poe est tellement dense d'un point de vue symbolique qu'elle mérite un traitement spécifique. Rappelons d'abord brièvement l'histoire, pour ceux qui ne l'auraient pas lue : le narrateur, homme d'une nature plutôt agréable, et grand amoureux des animaux, voit peu à peu son caractère s'inverser du tout au tout, au point de maltraiter sa femme et ses animaux. Dans un premier temps, il épargne son chat noir, qu'il présente comme son animal favori. Mais très vite cette exception disparaît et il est pris dans une sorte de spirale infernale qui le conduira à pendre son chat. Peu de temps après, sa maison brûle dans un mystérieux incendie — et le morceau de mur épargné sera retrouvé marqué par l'empreinte d'un chat, un gibet autour du cou. Un second chat interviendra ensuite, faisant disparaître les dernières traces d'humanité chez le narrateur, qui tuera sa femme d'un coup de hache et tentera de dissimuler le corps en l'emmurant... Mais le crime sera découvert lorsque le chat, emmuré vivant avec elle, se mettra à hurler. Histoire étrange en apparence, mais qui reprend de multiples mythologies, dont Edgar Poe était particulièrement friand. Commençons par la trame de l'histoire. Elle s'éclaire singulièrement lorsque l'on connaît la symbolique perse du chat. Dans la tradition perse, en effet, un chat noir peut être la manifestation de notre hemzâd, c'est-à-dire du bon génie né en même temps que nous pour nous tenir compagnie. Le maltraiter, c'est donc finalement s'en prendre à soi-même, à la parcelle divine qui est en nous, et risquer de se détruire soi-même. Si le caractère du narrateur s'inverse du tout au tout, c'est donc bien du fait du chat, mais non de sa faute. Toujours selon les Perses, un chat noir peut aussi être un jînn malfaisant, que l'on doit saluer quand il entre de nuit dans une chambre ; nous avons noté aussi l'existence d'une corrélation symbolique entre le chat et le feu — or, la nuit de l'incendie, le narrateur avait été réveillé par le mot « feu ! ». Enfin, dans de nombreuses cultures, on trouve des légendes sur des chats-fantômes qui reviennent se venger après la mort, ou encore sur la possibilité pour les chats de vivre plusieurs vies successives — idée qui se retrouve sans aucun doute dans l'arrivée d'un second chat, dont le plastron blanc, d'après le texte, prend d'ailleurs peu à peu la forme d'un gibet...
          Cette nouvelle de Poe est symptomatique du statut du chat dans la littérature de l'imaginaire. Finalement, si tout le monde sait qu'il joue un rôle, nul ne sait vraiment quel rôle il joue, ni quelles sont ses allégeances. Même quand il sert les hommes, il semble plus que cela soit du fait d'une convergence d'intérêts que par simple bonté d'âme. Après tout, un chat ne chasse pas les souris pour complaire à l'homme, mais pour satisfaire ses instincts de prédateur. Et même s'il partage la vie de l'homme, il n'y a rien en lui de domestiqué. Comme le dit le chat prismatique des bouquins de Terry Brooks, un chat ne suit que son seul caprice. Inutile d'attendre de lui qu'il soit fidèle ou serviable. Il fera toujours ce qui lui plaît. Tant que ses intérêt coïncident avec ceux des hommes, on peut s'attendre à le voir coopérer. Mais si l'homme rompt le contrat, par exemple en maltraitant ou en tuant des chats, alors les chats peuvent se retourner contre les hommes. C'est le cas aussi bien du chat noir de Poe que des d'Ulthar, de Lovecraft, dans la nouvelle du même nom. Même le petit chat de Cecily Hamilton ne sauve finalement le voyou de l'Enfer que parce que ça l'arrange, lui. De la même façon, les chats de Clodagh et les grands Chats de la trilogie des Forces ne collaborent avec les effémiens que parce que la planète est leur Foyer et qu'ils entendent la préserver — Coaxtl, par exemple, a fermement l'intention de manger Crotte-de-Chèvre avant que le Foyer ne manifeste son opposition. Quant à Fuzz, le chat de Killer, il suivra surtout son maître dans la Psychosphère parce que son premier voyage télépathique lui a infiniment plu, lui permettant, ne serait-ce que ça, de faire connaître son vrai nom à Killer. Finalement, le meilleur moyen de comprendre la nature du chat est sans doute de se rapporter à ce que Francis Valéry dit du jhong, cet autre petit félin qui partage la vie de l'Archiviste dans Des Signes dans le Ciel (in Escales sur l'Horizon) : il y a entre eux une sorte de pacte réciproque de cohabitation et de protection. Le chat n'est pas domestiqué. Il n'est même pas apprivoisé : il partage seulement, parce que cela lui sied, la vie de l'homme.
          Une telle remarque nous permet de comprendre pourquoi la littérature de l'imaginaire renverse si fréquemment le rapport homme-chat, faisant du premier le familier du second, ou du second le juge acerbe du premier. Cette tradition trouve sans doute son origine dans le Chat Murr, d'Hoffmann, un conte dans lequel Hoffmann met dans la bouche d'un matou-philosophe sa propre conception romantique (au sens philosophique du terme) de l'homme et de sa soi-disant Raison. On retrouve d'ailleurs ce chat dans les derniers Contes de Canterbury, de Jean Ray, dans lequel il préside les débats. Avec son regard qui semble aller au plus profond des choses, le chat semble en effet souvent nous observer avec quelque condescendance et porter un jugement peu amène sur nos actes. Dans Divine Endurance, de Gwyneth Jones, une chatte du même nom se plaint de l'esprit tortueux des pauvres humains que nous sommes et de la difficulté que nous éprouvons à être heureux. Et le fait que le petit chaton de Cecily Hamilton puisse porter aux nues (au propre comme au figuré) une sorte de malfrat ivrogne, sale et vicieux, simplement parce qu'il lui a donné un peu de lait, peut nous donner une idée du regard qu'il porte sur l'humanité en général... Il n'est donc pas étonnant que dans sa nouvelle intitulée the Cataaaa, Van Vogt donne des caractéristiques félines à l'étudiant extra-terrestre présenté dans le cirque : c'est lui qui interrogera le narrateur sur la nature humaine, et qui se désolera que les hommes ne se comprennent pas mieux eux-mêmes. On retrouve cette même condescendance et ce ton goguenard dans les rapports entre les proto-félins et les proto-simiens du cycle Unité, de Bradley. Comment, se demandent les proto-félins, une espèce agitée de pulsions sexuelles permanente pourrait-elle se concentrer suffisamment pour mener à bien une tâche complexe ? Les chats n'ont décidément aucun respect pour notre espèce, et ce, quel que soit notre rang dans la société : dans Pyramides, de Terry Pratchett, les chats sacrés ne se gênent pas pour mordre le pharaon en titre, pas plus que le chat prismatique de Royaume magique à vendre ! n'hésite à se gausser du roi et à le faire tourner en bourrique avec ses ruses et ses jeux.
          Nous pouvons toutefois être rassurés : ce mépris des chats à notre égard ne nous est pas réservé. Même les agaçants martiens de Martiens, go home ! (Fredric Brown), qui rendent folles toutes les créatures vivantes, ne parviennent pas à troubler longtemps les chats. Mais « les chats, comme nous dit Brown, ont toujours été des créatures à part ». Bref, les chats ont vis-à-vis des extra-terrestres la même indifférence hautaine qu'à notre égard — sauf, évidemment, quand l'alien s'appelle Alf et que le chat constitue son mets préféré...
          Peut-être, donc, faut-il prendre au sérieux l'hypothèse faite par Catrine dans Je t'aime, je t'aime, le film d'Alain Resnais sur les voyages temporels. Dieu a créé le chat à son image et les hommes n'ont été créés que pour le servir — et inventer ces choses si utiles que sont le tapis, le coussin, le bol, la sciure... et « même la radio, puisque le chat aime la musique ». Que cela soit ou non la vérité, une chose est sûre : le chat, lui, en est persuadé !
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