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Les chats dans les littératures de l'imaginaire
(SF, fantasy, fantastique)

Nathalie LABROUSSE

nooSFere, juin 2000

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4. L'ambiguïté du chat et de ses symbolismes associés :


          Nous avons constaté jusque-là que le chat était associé à la magie, au symbolisme du feu et au symbolisme féminin. Or, ces trois éléments ont en commun d'être extrêmement ambigus : la magie peut être blanche ou noire, bénéfique ou maléfique ; le feu est le fondement de l'humanité, mais reste néanmoins dangereux et destructeur ; la femme enfin, qui donne naissance, nourrit, accueille, est regardée avec une certaine méfiance (voire plus) à partir du moment où les sociétés accumulent des biens et où les hommes veulent être assurés du lignage de leurs héritiers. Cette bivalence va bien évidemment se retrouver dans le symbolisme du chat — au point que Buffon, dans son Histoire naturelle, lors d'une crise d'anthropomorphisme particulièrement gratinée, l'accusera d'avoir « une malice innée, un caractère faux, un naturel pervers »... Voilà qui contraste singulièrement avec le valeureux guerrier envoyé par le Ciel pour combattre le fléau des rongeurs ! Mais il est aisé de voir que le symbolisme du chat est ambigu dès l'origine, c'est-à-dire même dans les mythes les plus anciens, où il est globalement valorisé. Ainsi, en Egypte, Bastet symbolise les aspects bienveillants de la puissance de Râ — mais elle est aussi la soeur de Sekhmet, la déesse-lionne de la mort et de la destruction, dont certaines légendes rapportent qu'elle fut créée par Râ dans le but de punir l'humanité de ses péchés. Il semblerait même que la séparation de Sekhmet et de Bastet ait été assez tardive et que les deux divinités ne soient en fait que les deux faces de la suprématie de Râ. De la même manière, même si les orientaux mettent généralement le chat sur un piédestal, à l'exception des japonais qui y voient un génie malfaisant, il ne figure pas au zodiaque. A la mort de Bouddha, dit-on, il aurait été le seul animal à ne pas pleurer et il aurait même tué une souris qui, elle, venait rendre hommage au Grand Homme. Suprême sagesse ou indifférence coupable ? Là encore l'ambiguïté est entière. De même, en Occident, où la chrétienté a largement contribué à faire du chat une créature démoniaque, on trouve cependant un étrange récit, dans lequel il est dit qu'un jour où Jacob pleurait, Dieu l'autorisa à entrer au Paradis terrestre et appela un jeune chat pour le consoler — donnant ainsi aux chats le fabuleux secret du franchissement des Portes de l'Eden...
          Si les chats vont au Paradis, s'ils sont aussi parfois des alliés du démon, on ne peut que les rapprocher d'un autre animal important du bestiaire fantastique : le serpent. Cette association, dont on verra qu'elle se retrouve dans la majorité des mythologies, n'est pas un hasard. Elle a tout d'abord un ancrage physiologique et comportemental : les deux animaux ont la pupille fendue verticalement, la queue du chat ondule et se dresse comme un serpent, ils sont tous les deux des créatures furtives, qui aiment se cacher dans l'obscurité et attaquent par surprise (le serpent en jaillissant de l'ombre, le chat en sautant d'une position élevée), et tous les deux enfin aiment profiter du moindre rayon du soleil pour se réchauffer. Mais surtout, dans le contexte des sociétés naissantes, ce sont deux prédateurs de souris et de rats, deux animaux, donc, utiles à l'homme — n'oublions pas que la symbolique du serpent est globalement positive dans les sociétés les plus archaïques, et qu'il incarne souvent la fertilité (cf. http ://sortilege.net/nath/page2.html). Mais le chat a pour lui un atout que n'a pas le serpent : c'est un mammifère, donc un animal avec lequel l'homme peut plus facilement établir des liens de familiarité et d'affection. C'est cette idée qu'exploite Tanith Lee, dans le Dit de la Terre plate, où les chats sont présentés comme les successeurs des serpents, bricolés à partir d'eux : le Prince des Démons, Ajrarn, voyant la tristesse des serpents, mal-aimés des hommes malgré leur utilité, les aurait transformés en chats, qui charmèrent aussitôt les humains. Peut-être est-ce pour cela que le serpent et le chat furent les deux animaux qui ne pleurèrent pas à la mort de Bouddha — ils sont en fait, symboliquement, une même puissance, comme Bastet et Ouadjet, la déesse-serpent de Basse-Egypte, présente sur la couronne de Pharaon et qui, comme la déesse-chatte de Haute-Egypte, peut foudroyer les ennemis de Râ.
          Mais, comme on l'a vu, le chat est le successeur du serpent, et un successeur qui a gagné le coeur des hommes, que le serpent n'avait jamais vraiment eu de son côté. Aussi n'est-il pas étonnant que la mythologie soit emplie de combats entre le chat et le « mauvais » serpent, le serpent qui cherche à se venger des hommes. Ainsi, en Egypte, le combat de Bastet contre Apophis, dont nous avons déjà parlé, est très symptomatique : quand le serpent se fait l'ennemi du Soleil, Bastet devient la Protectrice des hommes et les aide dans le périlleux voyage de la Vie éternelle. Cette lutte symbolique du chat et du serpent se retrouve dans les oeuvres de Roland C. Wagner, chez qui le serpent est devenu dragon. Fuzz, alias Pete dans la réalité consensuelle, affronte par deux fois Dragon Rouge dans Quelqu'un hurle mon nom. Et comme on est dans la Psychosphère, nul doute que tout ceci ait une signification symbolique. Le chat attaquant le Grand Serpent par surprise, c'est sa tentative pour l'évincer de l'inconscient collectif humain, pour lui faire perdre sa valeur archétypale. Dragon-Rouge battant ensuite Fuzz à mort, c'est la vengeance du Serpent, la preuve de la supériorité du Mal sur le Bien dans la longue histoire de la psychologie humaine. Quant au fait que Tête-de-Crâne intègre Fuzz à son être pour l'arracher à la mort, on pourrait dire que c'est le signe de la victoire finale du chat : il fait désormais partie intégrante de l'humanité, tandis que le Serpent, lui, restera à jamais étranger, extérieur, ennemi. Et, en fouillant encore un tout petit peu plus profond, ne peut-on pas voir une certaine convergence d'intérêt, un certain parallélisme entre la lutte de Fuzz contre Dragon Rouge et celle du Serpent contre le Chasseur, dans le Serpent d'Angoisse ? Successeur du Bon Serpent, ennemi du Mauvais, le chat a bien dans la science-fiction un rôle symbolique non négligeable.
          Les chats peuvent donc tout aussi bien être anges ou démons. Dans la littérature de l'imaginaire, on les retrouve d'ailleurs en Enfer comme au Paradis. Sur ce dernier plan, le plus remarquable est sans conteste le chaton que Cecily Hamilton met en scène dans sa nouvelle a Kitten in Paradise, l'histoire d'un malhonnête poivrôt dont la seule bonne action est d'avoir nourri un jeune chaton abandonné. On y apprendra, à la mort du voyou, qu'il est bien plus facile d'entrer au Paradis qu'on ne se l'imagine : en effet, parce que les âmes qui y résident doivent être parfaitement heureuses, et que nul ne peut être heureux en sachant l'un de ses proches soumis aux tourments de l'enfer, il suffit pour y accéder qu'une des âmes présentes y ait besoin de nous. Aussi le poivrôt sera-t-il sauvé de l'enfer par le simple miaulement d'un petit chat frétillant de joie à son arrivée. Cette jolie petite histoire se fonde en fait sur la coïncidence entre de nombreux mythes, de l'égyptienne Bastet qui combat le serpent Apophis pour permettre à la barque sacrée d'accomplir le Voyage vers le Pays des Morts, aux chats de Siam et de Malaisie, qui sont censés faciliter le passage de l'âme dans l'au-delà. Dans la même optique, Werber, dans l'Empire des Anges, nous apprend que les chats sont en réalité une des manifestations des anges
          sur la Terre.
          Toujours dans cette tradition néo-égyptienne, nous pouvons donc rencontrer dans la littérature de l'imaginaire toute une lignée de chats dont la ruse et les talents sont mis au service de l'homme. Ils peuvent même, dans certains cas, sauver l'humanité d'un péril imminent. C'est le cas dans la Nuit déchirée, film dont le scénario fut écrit par Stephen King, ou encore dans Du Danger des Traités, de Tom Condit et Katherine Mc Lean. Dans cette nouvelle, qui se passe dans un futur où les hommes sont devenus télépathes et pacifiques, un astronef rencontre des extra-terrestres fort belliqueux, dont le but évident est de s'emparer de la Terre. Ces aliens peut fréquentables ont deux caractéristiques : leur société est très hiérarchisée et ils ne connaissent pas le concept d'animal de compagnie. L'idée d'une ruse germe alors dans l'esprit des terriens : ils invitent les extra-terrestres sur leur vaisseau et leur présente le matou-mascotte de bord comme un conseiller, tout en se comportant comme s'il était le chef, et en cédant à ses moindres caprices. Les aliens fuiront alors, terrifiés de voir la puissance de ce petit animal si inoffensif en apparence, mais capable de plier toute une espèce à sa volonté.
          Pourtant, dans la Nuit déchirée, c'est contre d'autres félidés que les chats doivent combattre pour protéger les hommes (on retrouve ici la dualité Bastet-Sekhmet). La SF n'est donc pas dépourvue de chats démoniaques qui, à l'instar d'Aï-d'Moloch, le chat de Jacques Sadoul, mettent les hommes en grand péril. Ainsi, les chats-de-feu de l'Appel de Mordant (Donaldson) sont bien prêts de détruise la demeure familiale de Géraden, avant que son frère ne trouve le « truc » du crottin de mouton. Et chez Bradley, même si les proto-félins comprennent des peuples de scientifiques de haute moralité, comme les Prrzetz, ils comptent aussi en leur sein les féroces Mekhars, qui sont les plus dangereux esclavagistes de la galaxie. Notons que cette idée de peuple félin esclavagiste, procédant à des enlèvements sur Terre et sur les autres planètes habitées, figurait déjà dans une BD de Buck Rogers, dans les années 40. Là encore, on trouve l'opposition de Bastet et de Sekhmet, du chat domestique et du chat sauvage, du chat blanc et du chat noir. Même dans les « descentes aux enfers » où le chat est un élément-clef, comme par exemple dans l'Erreur de Thomas Day ou dans le Chat noir de Poe, on ne sait trop quelle valeur lui attribuer. Ainsi, dans le Chat noir, est-il victime, cause ou révélateur de la violence et de la cruauté de son maître ?
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Thèmes, catégorie Animaux
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