Les chats dans les littératures de l'imaginaire
(SF, fantasy, fantastique)

          Avec tout cela, on comprend aisément que les super-héros des BD et des dessins animés aient souvent des aspects félins. On imagine assez mal une super-limace, ou un super-hippopotame — à part évidemment dans les pastiches gotlibiens. Les chats, avec leurs dons naturels (agilité, souplesse, nyctalopie, etc.) et leurs attributs symboliques (talents psy, maîtrise du temps et de l'espace, magie, etc.) sont une source inépuisable de super-pouvoirs pour super-héros de tout poil. Citons pour mémoire Catwoman, Blackcat, Tigra, Felina ou She-cat. Ce qu'il y a de remarquable, avec les super-héros félins, c'est que ce sont presque toujours des super-héroïnes. De la même façon, ce sont des femmes-chats que l'on trouve sur l'Île du docteur Moreau, de Wells. Cette association symbolique entre la femme et le chat n'est pas un simple hasard. Les premières déités félines, Bastet et Freyja, n'étaient-elles pas des déesses ? Et des déesses typiquement féminines, symbolisant l'une la fécondité et la fertilité, et l'autre la volupté et la luxure ? L'argot ne nomme-t-il pas « chatte » ou « minou » le sexe féminin ? Comment expliquer cela ? La réponse la plus simple est celle que donnent les poètes en général, et Baudelaire en particulier :

          « Lorsque mes mains caressent à loisir

          Ta tête et ton dos élastique

          Et que ma main s'enivre du plaisir

          De palper ton corps électrique

          Je vois ma femme en esprit.» 

(le Chat, in les Fleurs du Mal)

          Le chat, substitut affectif et équivalent sensuel de la femme, compagnon privilégié des solitaires... cette idée se retrouve par exemple dans la Belgariade d'Eddings, où l'un des personnages, Zakath, qui s'est fermé à toute émotion humaine après l'assassinat de sa fiancée, garde encore un lien affectif avec une chatte et ses portées successives — comme si elle remplissait le Vide (nom que la prophétie donne à Zakath) occasionné par la perte tragique de sa compagne. De la même manière, le narrateur de la nouvelle de Thomas Day, l'Erreur (publiée dans Escales sur l'Horizon), après s'être vengé de façon horrible sur celle qui a tué sa femme, lui vole son chat et le ramène chez lui, comme pour remplacer la disparue.

          Mais le lien symbolique entre la femme et le chat ne se limite pas à la sensualité ou au rapport affectif. Pour le comprendre, il faut se rappeler que les chats ont pénétré les foyers humains après la grande révolution du néolithique et le passage aux civilisations agraires. Qui dit grains, dit rongeurs, et qui dit rongeurs, dit chats. Ce rôle « social » du chat est confirmé par la plupart des mythes d'origine le concernant. Pour les musulmans, par exemple, le chat est né de l'éternuement des lions, alors que l'arche de Noé commençait à être infestée par les souris et les rats, qui se reproduisaient beaucoup trop vite. Au Viêt-nam, on dit que le premier chat fut un cadeau du Ciel, pour combattre les rongeurs qui détruisaient les grains. Dès lors, le chat endosse le rôle d'une déité de la terre et des récoltes, de l'opulence et de la fertilité — autant de fonctions que la plupart des cultures associent à la sphère féminine, parce que c'est la femme qui donne vie et qui allaite. Là encore, le symbolisme premier s'est largement maintenu dans les oeuvres de science-fiction, de fantastique et de fantasy. Dans la Trilogie des Forces, de Mac Caffrey, les chats de Clodagh réconfortent et soignent les malades, rassurent les personnes égarées, tandis que le grand chat Coaxtl adopte la petite soeur de Bunny et la materne avec une vigilance toute féminine. Quant au chat de verre des romans du Pays d'Oz (L. Franck Baum), il passe son temps à s'admirer dans les miroirs, avec une coquetterie que ne démentirait pas non plus le Cat de la série Red Dwarf...