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Entre les deux guerres
Je citerai ici « Doktor Mabuse, der Spieler » ( Dr Mabuse, le Joueur), d'abord publié en feuilleton dans la Berliner Zeitung, puis en volume en 1921. L'auteur, un Luxembourgeois établi en Allemagne, s'appelait Norbert Jacques. Le roman eut une suite, plus tard, intitulée « Dr Mabuses letztes Spiel » (les Dernières Cartes du Dr Mabuse). Cela pour calmer les admirateurs inconditionnels de Fritz Lang et ceux qui rattachent ces deux livres policiers à la S.F. Ce qui me semble hautement contestable.
Puisque nous évoquons Fritz Lang, passons, très vite, sur les deux romans de Mme Lang, née Thea von Harbou, « Metropolis » et « Die Frau im Mond » (la Femme dans la Lune). Ces deux ouvrages, parus dans les années vingt, seraient retombés dans l'oubli s'ils n'avaient pas fourni la matière de scénarios pour le grand metteur en scène.
Après la première guerre, il y eut en Allemagne un engouement pour l'exploration de l'espace (Weltraumbewegung), pour les fusées, les immensités du cosmos. L'auteur le plus connu de cette époque est Otto Willi Gail qui, écrivit (Der Schuss ins Ali « (Fusée dans l'espace, 1925), (Der Stein vom Mond » (la Pierre lunaire, 1926), « Hans Hardts Mondfahrt » (le Voyage de Hans Hardt dans la Lune, 1928), etc.
De cette Weltraumbewegung fit également partie, entre, autres, le jeune Willy Ley, qui allait devenir, après son passage aux U.S.A., une des figures marquantes de la S.F. et de la vulgarisation scientifique. On dit que cette Weltraumbewegung fit grande impression sur Wernher von Braun.
Autre ouvrage à signaler, qui parut à la même époque : « Der Stern von Afrika » de Bruno Bürgel (L'Etoile d'Afrique, 1926).
Nous avons déjà parlé de (Berge, Meere und Giganten « (1924 et 1932), une des œuvres les plus fortes de la littérature européenne contemporaine. La seconde version, nettement remaniée, fut intitulée » Giganten « (Géants). Quant à » Utopolis « de Werner Illing (1930), c'est une utopie socialiste intéressante. Un livre engagé. N'oublions pas dans quelle période malsaine et troublée, nous piétinons !
Pour faire bon poids parlons encore de « Druso, oder die gestohiene Menschenwelt » (1931 ou 1932 ?) traduit en français sous le titre Druso. Ce roman de Friedrich Freksa ne manque pas d'imagination mais est loin du chef-d'œuvre. Insectes géants, planète vagabonde, carnages...
D'autres insectes, à visage humain, au cœur froid, n'allaient pas tarder à faire de l'Allemagne une bien dangereuse fourmilière !
En marge de notre propos et puisque le Tarzan de E. Rice Burroughs est souvent récupéré par la science-fiction, accordons un sourire à un excellent petit bouquin. Il s'agit d'une des premières parodies des aventures rousseauistes du Seigneur de la jungle, « Tarzan bat geträumt » (Tarzan a rêvé, 1924). Elle est due à Stefan Sorel.
Hans Dominik (1872-1945)
Contrairement à Paul Scheerbart, et bien davantage encore que Kurd Lasszwitz, Hans Dominik passe pour le père de la littérature d'anticipation allemande. Même s'il n'a eu qu'une progéniture bâtarde. Comme le souligne le Dr Schwonke (et il n'est pas le seul !), Dominik a joué en Allemagne le rôle de Jules Verne. Bien que son idéologie soit infiniment plus sujette à caution que celle de, Lasszwitz ou de Scheerbart (elle est carrément réactionnaire), son œuvre mérite qu'on s'y arrête un instant. Ne tirons pas de conclusions hâtives du fait que ses romans soient régulièrement réédités et que le Heyne-Verlag en ait refait des best-sellers au format de poche. En effet, nombreux sont les critiques qui considèrent Jules Verne comme le défenseur d'une idéologie bourgeoise, et pourtant ses livres, souvent bien ennuyeux, continuent de se vendre comme des petits pains au lait.
Dominik commença de publier ses livres « utopiques » en 1922. Il était ingénieur de profession, ce qui lui permettait tout de même de prétendre à une certaine véracité. Son premier volume, dans cette série, fut « Die Macht der Drei » (la Puissance des trois) et il y en eut beaucoup d'autres. Actuellement le Heyne-Verlag tient à la disposition de ses lecteurs une vingtaine de rééditions. Citons, sans vouloir être exhaustif. « Das Erbe der Uraniden » (I'Héritage des Uranides), « Atomgewicht 500 » (Poids atomique 500), « Atlantis », « Flug in den Weltraum » (Vol interplanétaire), « Der Brand der Cheopspyramide » (I'Incendie de la pyramide de Chéops), « Der Befehl aus dem Dunkel » (l'Ordre venu des ténèbres), « Unsichtbare Kräfte » (les Puissances de l'invisible), « Land aus Feuer und Wasser » (Terre de feu et d'eau), « Die Spur des Dschingis-Khan » (Sur les (races de Gengis-Khan), etc.
Parlons brièvement de la thématique de Dominik. Il est souvent question dans ses livres de conflits entre des puissances à l'échelle continentale. S'affrontent volontiers (ce qui est une façon de parler !) races blanches, noires et jaunes. Combats souvent gigantesques où les Blancs jouent un rôle à la fois menacé et privilégié. Massacres à l'avenant. Evidemment, le péril jaune n'est pas oublié, que l'on voit intervenir sous divers avatars (« Das Befehl aus dem Dunkel »). Heureusement, les héros au teint clair sont là pour maintenir la tradition et donner la victoire à l'Homo nordicus. Évidemment, nous sommes bien forcés de schématiser dans les limites étroites de cette introduction. Mais il n'est pas étonnant que les œuvres de Dominik n'aient eu à souffrir d'aucune censure ni dans l'épisode historique nazi ni dans la continuité libérale bourgeoise dans laquelle vit l'Allemagne d'aujourd'hui.
Dominik est un écrivain rassurant. Et suffisamment démodé pour revenir en vogue dans les cabinets d'antiquités.
N'oublions pas non plus, dans l'œuvre dominikienne, le rôle souvent prépondérant du Destin. C'est souvent le Destin qui, prenant le relais du protagoniste nordique, punit ceux qui trahissent la race blanche. « (Le thème du traître à la race blanche est une constante dans les romans utopiques de Dominik », écrit Schwonke.)
Le Destin justifie bien des cruautés, bien des génocides au petit pied ! Dans « Atlantis », et nous nous tiendrons à cet exemple, un Blanc qui vient de causer la mort de milliers de noirs (la minuscule est de rigueur !), ne se perd pas dans des considérations piaculaires : il n'est que l'instrument du Destin.
Nous connaissons assez cette argumentation pour laisser retomber pudiquement le rideau d'un certain mépris.
Mais on trouve également dans les livres de cet auteur des rayons de la mort, des voyages sur la Lune ou sur Vénus, des monastères tibétains mystérieux, des télépathes diversement doués, et d'autres choses encore. Disons, pour en finir avec ce bref survol, que tout le monde n'apprécia pas toujours le sérieux « technique et scientifique » de l'œuvre dominikienne et que certains critiques, tout en déplorant le manque de crédibilité de sa documentation et l'indigence de son invention fantastique, attaquèrent dès 1928 et son écriture « kitsch » (mauvais goût) et la mièvrerie de ses personnages.
Ce qui n'empêcha pas les romans de Dominik d'atteindre des tirages où les zéros dansent allègrement par six
Dans le sillage de Lasswitz, nous avions cru bon de citer les recueils de nouvelles de Carl Grunert. Dans le tirant d'eau de Dominik, nous évoquerons en deux mots les romans de Rudolf H. Daumann. Le premier, « Dünn wie eine Eierschale » (Mince comme une coquille d'œuf), parut en 1936. Deux autres livres de cet auteur à succès ont été réédités par Heyne. Il s'agit de « Protuberanzen » (Protubérances) et de « Gefahr aus dem Weltall » (Danger venu de l'espace). Il se vendit en son temps quelques centaines de milliers d'exemplaires de cette littérature somme toute assez passionnante. 1
Et maintenant tombe le rideau de la deuxième fantasmagorie mondiale. Explosion mégalomaniaque et furieuse, qui laissa loin derrière elle les spéculations les plus hardies ci les avertissements des pythonisses les plus dénuées d'illusions.
1945 et après...
Dans les derniers jours de la guerre, peu avant de mourir, Franz Werfel mit un point final au roman qui est certainement le plus grand livre d'anticipation allemande : « Der Stern der Ungeborenen » (l'Étoile de ceux qui ne sont pas nés). Cette œuvre foisonnante, immense, torrentielle et magnifique ne fut publiée qu'au lendemain du second conflit mondial. D'autres ouvrages de grande valeur suivirent. renouant avec la tradition de l'utopie (réaliste, symboliste) signés Hermann Kasack, Ernst Jünger, Hans Henny Jahnn, Hans Erich Nossack, etc., ou exprimant, dans des paraboles insoutenables ou sarcastiques, la grande peur qui tenait encore tout le monde au ventre. Le livre le plus fort et le plus dur, qui marqua cette après-guerre fuligineuse où le passé devenait maudit et où l'avenir ressemblait à un rideau de suie, est sans conteste » Nein. Die Welt der Angeklagten « (Non. le Monde des accusés, 1950). Cette œuvre qui décrit » la fin des derniers individualistes « est d'un pessimisme visionnaire dont la marche des événements n'a fait que confirmer la cruelle lucidité.
Les années passant, d'autres voix sont venues se joindre à ce concert : celle d' Arno Schmidt, avec son fameux roman satirique « Die Gelehrtenrepublik » (la République des savants, 1957) et d'autres textes, ou celle de Jens Rehn, auteur profondément marqué par la guerre, avec « Die Kinder des Saturn » (les Enfants de Saturne, 1959), bref récit d'une noirceur définitive.
Parallèlement à ces œuvres isolées mais considérables, le roman populaire, héritier des livraisons à trois sous (Schundroman) reprenait droit de cité. Descendants des fascicules narrant les exploits du Pirate des airs dans son aéronef dirigeable (Der Luftpirat und sein lenkbares Luftschiff) ils revinrent bien vite sur le marché. Après les événements terrifiants que l'on venait de vivre, les mondes lointains semblaient plus vivables que la planète Terre.
A partir de 1952 parut la série des « Fox, der Weltraum pirat » (Fox, le pirate de l'espace). Le héros de ces feuilletons se baladait entre les astres flanqué d'une belle et énigmatique Vénusienne.
Freder van Holk écrit quelques livres d'anticipation dont « Weltraumstation » (Station spatiale, 1952) et le très catholique Louis de Wohl se fend en 1954 d'un roman généreux mais ennuyeux, « Die Erde liegt hinter uns » (titre français : Mars ne veut pas la guerre).
Pendant ce temps-là les « Heftromane » (romans en fascicules) et les « poches » envahissaient les kiosques et les quais de gare. Walter Ernsting, qui était alors traducteur pour le Pabel-Verlag, puisa abondamment dans les pocket-books apportés par les soldats des troupes d'occupation. Avec le soutien du Science-Fiction-Club Deutschland, il fut à l'origine du raz de marée de la S.F. à bon marché. Les traductions des ouvrages américains étaient la plupart du temps hâtives, plates et tronquées.
Quant aux auteurs allemands, ils prenaient souvent des pseudonymes anglo-saxons ( Clark Darlton alias Walter Ernsting) et démarquaient gentiment, consciencieusement leurs grands frères américains ou britanniques.
Puis ce fut, au début des années soixante (si mes souvenirs sont exacts !), le lancement de la grosse affaire, le Perry-Rhodan-business. Nous en parlons dans la notice consacrée à la fin de ce volume à Walter Ernsting. Un brain-trust d'auteurs réunis autour de Darlton-Ernsting produisit fascicules et « poches » en grande série, tous consacrés aux exploits du hardi défenseur de la Terre et de ses compagnons.
Quand ces forçats de la machine à écrire ne se consacraient pas à Perry-Rhodan et à ses avatars, ils concoctaient des space-opéras et parfois même des recueils de nouvelles. De temps en temps, ils pondaient même quelque chose de pas trop mauvais.
Parmi les scribes. qui me reviennent à l'esprit, « rhodanistes » ou non, il y a, sans ordre ni préséance :
W.W. Bröll, Kurt Brand, Kurt Mahr, Hans Kneifel, W.W. Shols, K.H. Scheer, Peter Theodor, Richard Koch, Wolf Detlef Rohr, Ernst Vlcek, Jesco von Puttkammer, William Voltz, Rolf H. Gross, etc.
Je mettrai à part quelques livres comme ceux de Jürgen vom Scheidt (qui a également publié une des premières anthologies intelligentes de S.F en Allemagne, « Das Monster im Park », 1970), et quelques romans comme « Gigant Hirn » (Cerveau géant) de Heinrich Hauser ou « Tötet ihn ! » (Abattez-le !) de Winfried Brückner... Ils méritent en tout cas d'être lus.
Nous aurons assez l'occasion de parler du rôle de Herbert W. Franke dans la S.F. allemande, je ne m'arrêterai donc pas à cet auteur à ce point de mon exposé.
Mais une rupture va se produire en 1974. (Il faut bien une date pour fixer les événements !) C'est en effet cette année-là que Hans Joachim Alpers et Ronald M. Hahn publièrent l'excellente anthologie S.F. aus Deutschland C'était en quelque sorte l'offensive des auteurs progressistes, lassés par l'indigence de la production courante et bien décidés à faire souffler sur la S.F. un vent nouveau.
En 1972, Ronald M. Hahn avait écrit dans un article intitulé. « Histoire et idéologie des brochures de S.F. » ! « Car la masse lit : en Allemagne 14 millions de romans en fascicules chaque semaine, et cette littérature de masse es devenue l'arène de la réaction.( ... ) »
On ne saurait être plus clair !
Aujourd'hui et plus tard, encore ...
On peut dire, sans trop craindre de se tromper, qu'à l'heure actuelle, l'Allemagne fédérale est certainement de tous les pays d'Europe occidentale (exception faite, peut être, de la Grande-Bretagne ?) celui où se publie le plus grand nombre de livres de science-fiction. Les collections abondent, et on trouve au catalogue des unes et des autres à peu près n'importe quoi avec, comme presque partout ailleurs, une surabondance de titres anglophones. Cependant il faut souligner que l'on réédite, contrairement à ce qui se passe chez nous, une quantité croissante de classiques (allemands, britanniques, américains, slaves, etc.) et des récits venus de divers horizons (fantastique épique, space-opéras baroques, sagas frénétiques, etc.) C'est une coulée continue, dans laquelle il est difficile de ne pas se perdre.
Malheureusement le disparate nuit à la qualité. Et surtout à la percée définitive des auteurs allemands. Perdus dans la masse des productions étrangères et des rééditions, ils ne représentent qu'un pourcentage infime de l'édition germanophone de science-fiction.
S'ils sortent de la voie tracée du space-opéra commercial et du kitsch plus ou moins réactionnaire, ils se heurtent à de grandes difficultés dès qu'ils cherchent à publier leurs œuvres.
Les collections de S.F. les plus remarquables et les plus sophistiquées (que ce soit au format de poche ou en présentation luxueuse) ont connu des difficultés souvent définitives : Science-Fiction für Kenner/Lichtenberg-Verlag (qui publia Franke, Jeschke, Reinald Koch, etc.), la série très sélective du Marion von Schröder-Verlag, celle de Franz Rottensteiner chez Insel, l'admirable choix de romans et d'anthologies « Fischer Orbit » réalisé dans le cadre du Fischer-Taschenbuch-Verlag, vécurent toujours, plus ou moins, la corde au cou.
Actuellement, sans chercher à entrer dans la voie de la polémique, on peut avancer que les grosses ventes sont monopolisées par les collections de poche de Heyne, Goldmann, Knaur, Bastei, Ullstein, etc. Il convient de classer à part les séries très exigeantes des éditions Suhrkamp-Insel ( Franke, Maximovic, etc.) et du Diogenes-Verlag, Zurich. Chez Diogenes ont paru des livres très importants, à situer entre l'utopie et la science-fiction. Il faut citer Herbert Rosendorfer, « Skaumo » (une utopie kafkaïenne) ; (Rosendorfer, un Autrichien, est également l'auteur d'un bien étrange roman intitulé « Der Ruinenbaumeister », ( le Bâtisseur de ruines) ; « Die gelben Männer » (les Hommes jaunes), d'un jeune écrivain suisse de très grand talent, Urs Widmer ; « Die Schule der Planeten » (l'Ecole des planètes, où Swift et Gulliver voyagent à travers l'espace interstellaire), de Felix Gasbarra (ouvrage déjà cité plus haut) ; « Die Rückkehr der Zeitmaschine » (le Retour de la machine du temps, d'Egon Friedell, également intitulé le Voyage dans la machine du temps, 1946)... Rien que des livres choisis, d'une sophistication de bon aloi.
Les revues, comme je le disais déjà, sont pratiquement inexistantes si l'on se place du point de vue professionnel. lit c'est là que réside la faiblesse de la science-fiction allemande. Je ne me fais pas faute de le répéter !
Heyne a certes le mérite d'avoir édité des recueils périodiques de textes repris des magazines américains, Galaxy et The Magazine of Fantasy and Science-Fiction, mais il s'agissait d'ouvrages sans âme. La même remarque s'impose pour Ullstein et sa série Science-Fiction-Stories, dont plus de 80 numéros sont parus.
Plus récemment, H.W. Franke et W. Jeschke ont entrepris l'édition de la revue-livre Science-Fiction Story-Reader(ah, l'indécrottable américanomanie !),qui a le mérite de publier également des articles et des poèmes et d'ouvrir ses pages aux auteurs allemands ( Gerd Maximovic, Christian Meyer-Oldenburg 2, Dieter Hasselblatt, Thomas Ziegler 3, Ronald M. Hahn, Heidelore Kluge, Fritz Deppert, etc.).
Parallèlement à ces intrusions à grand tirage, de plus en plus d'anthologies paraissent assez régulièrement dans les formats les plus divers. Par contre, une tentative de magazine, mêlant articles et textes de fiction (Comet) s'est soldée par un échec.
Quelques auteurs ont eu la chance de se faire publier dans l'édition allemande de Playboy. C'est dans cette revue de prestige que Gerd Maximovic a fait paraître une de ses meilleures nouvelles « ( Die Jagd der Menschenkillerhunde », la Chasse des molosses tueurs d'hommes).
Quant à Polaris (Insel-Verlag), sa fréquence de parution (annuelle) ne laisse que peu de chances aux auteurs allemands. Surtout quand on connaît l'attitude de son rédacteur en chef, Franz Rottensteiner, à l'égard de la science-fiction allemande...
Pourtant, insensiblement (inexorablement allais-je écrire), la science-fiction allemande fait son chemin.
Cela se voit aussi bien dans les œuvres qui se réclament directement du genre que dans celles écrites, en marge des collections spécialisées, par des auteurs de grand talent comme, Carl Amery, Wolfgang Hädecke (« Die Leute von Gomorrha », les Gens de Gomorrhe, 1977), Gerhard Zwerenz 4. Carl Amery est certainement un des seuls auteurs capables d'écrire une œuvre de science-fiction religieuse aussi brillante (si ce n'est davantage !) qu' Un cantique pour Leibowitz, de Walter M. Miller. Dans « Das Königsprojekt » (Projet « Royauté »), il raconte l'histoire de gardes pontificaux chargés de voyager dans le temps pour rectifier la chronologie politique en faveur de l'Eglise. Pour ce faire, on se sert d'une machine temporelle réalisée par... Léonard de Vinci. Amery, qui est un catholique de gauche, est également l'auteur d'un petit (mais excellent) roman de S.F. paru, cette fois, dans une collection spécialisée. « Der Untergang der Stadt Passau » (la Chute de la ville de Passau, 19 75), récit-catastrophe qui grince et ricane bien joliment ! Pourtant c'est à un livre non romancé que Carl Amery doit la plus grande part de sa renommée. A juste titre d'ailleurs. Cet ouvrage, « Das Ende der Vorsehung. Die gnadenlosen Folgen des Christentums » (la Fin de la Providence, les Impitoyables Conséquences du Christianisme, 1972), constitue à la fois un pamphlet et un cri d'alarme face à l'assassinat écologique et moral de la planète. Je me suis laissé dire que ce très grand livre avait été traduit en français. Il faut le lire !
Parmi les auteurs spécialisés ou en passe de se spécialiser dans la science-fiction, citons maintenant, pêle-mêle : Reinmar Cunis « (Livesendung », Emission en direct ; « Zeitsturm », Ouragan temporel), Lothar Streblow (« Der Planet der bunten Damen », la Planète des dames polychromes, 1977), et, si l'on excepte les auteurs déjà cités ou représentés dans cette anthologie, Ubrich Harbecke, Bernt Kling, Horst Pukallus, Hans Wolf Sommer, le pseudonymique Jörg Spielmans, Norbert Fangmeier, Martin Beranek, Peter T. Vieton, Jörg Weigand (surtout connu pour son travail d'anthologue), Paul Linckens, etc. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive. Une chose est certaine : le temps des imitations américaines est maintenant du domaine du passé, même si Perry Rhodan survit et si la « Schund-Literatur » continue de se vendre.
Une intention politique (même si elle est brimée ; voir les arguments de Ronald M. Hahn) se fait jour et trace sa voie, imperturbablement. Retour aux sources de la tradition ( ?) utopique / antiutopique, évolution logique, signe des temps, volonté de s'exprimer en marge des phénomènes culturels bourgeois... L'avenir donnera (ou non !) une réponse plus ou moins claire à cette interrogation.
Si l'avenir nous en donne le temps !
Notes :
1. Tous ces romans ont paru dans la série Science-Fiction Classics de Heyne. Dans cette collection figurent également les rééditions d'autres classiques : »Helium« , d'Ernst von Khuon, par exemple, ou »Blumen wachsen im Himmel« (Des fleurs poussent dans le ciel, d'Hellmuth Lange.
2. Chr. Meyer-Oldenburg est l'auteur de deux romans de S.F. « classiques » : « Stadt der Sterne » (la Ville des étoiles) et « Im Dunkel der Erde » (Dans l'ombre de la Terre).
3. Thomas Ziegler, né en 1956. Auteur de plusieurs nouvelles très prometteuses et d'un roman paru au début de l'année 1980, « Zeit der Stasis » (le Temps de la stase), en collaboration avec Uwe Anton.
4. Je citerai à part un roman de Gerhard R. Steinhäuser, « Unternehmen Stunde Null, 1986, Leben nach dem jüngsten Tag » (Opération heure zéro, 1986, la Vie après le jugement dernier, 1973), ouvrage prétentieux, grandiloquent, cataclysmique et idéologiquement hérissant, mais passionnant !
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