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COMPLÉMENTS
Le cinéma
Si l'on excepte la période bénie de l'expressionnisme (1919-1926 ?), temps où l'art cinématographique était encore dans ses enfances, il faut bien dire que la filmographie allemande est assez pauvre dans le domaine de l'anticipation ou de la science-fiction. Et, encore, cette époque-là fit surtout la part belle à un fantastique souvent très littéraire. Les fantasmagories géniales ou tout simplement génialement grotesques de Fritz Lang, de Paul Léni, de Friedrich Wilhelm Murnau, de Paul Wegener et de Robert Wiene (pour ne citer que les réalisateurs les plus célèbres) ressortissent davantage à l'onirisme magique ou insolite, à toute une psychopathologie du temps et à l'horreur née de l'insécurité qu'à la science-fiction. Et quand je dis science-fiction j'use d'un terme de convention. Evidemment l'on pourrait dire que le Dr Mabuse (Lang) et le Dr Caligari (Wiene) sortent, toute proportion gardée, de la longue cohorte de savants fous qu'avait engendrée le roman de Mary W. Shelley. Mais laissons ces considérations aux exégètes du cinématographe dont je ne suis pas. Par contre il serait difficile de nier que le Golem (Wegener) fait partie de la panoplie commune au fantastique et à la science-fiction et que Metropolis est une œuvre d'anticipation. Malgré ses aspects révoltants et sa philosophie contestable, Metropolis (1926) demeure un des maîtres films du cinéma de science-fiction allemand, voire mondial. Par contre « Die Frau im Mond » (la Femme dans la Lune, 1929) est presque certainement un navet. Comme dans Metropolis, le scénario de Thea von Harbou ne tenait debout qu'avec la plus grande peine. Mais dans, Metropolis le génie de Lang lui avait servi de béquille !... alors que pour « Die Frau im Mond », la conviction n'y était plus.
Il faudrait citer rapidement quelques œuvres qui ont obtenu des succès commerciaux mais qui ne peuvent pas être considérés comme des chefs-d'œuvre. « Alraune », de Henrik Galcen, sortit en 1928. Cette rocambolesque histoire s'inspire du roman de Hanns Heinz Ewers, et n'a d'ailleurs que des rapports extrêmement ténus avec le fantastique et moins encore avec la science-fiction. Est-elle à rejeter pour autant ? Non, car en dépit de ses redondances, ce film (il y en eut d'autres sur le même thème) ne manque pas de charme.
« Orlacs Hände » (les Mains d'Orlac), de Robert Wiene (1924), s'inspirait bien sûr du roman de Maurice Renard. Science-fiction ou fantastique ? Les frontières entre les genres devenaient de plus en plus floues.
Maintenant, les choses se gâtent. Après l'onirisme délirant de l'expressionnisme allemand dont d'autres que moi ont souligné l'importance, le cinéma allemand tombe dans les gouffres du conformisme et de la platitude (si j'ose dire !).
A vrai dire maintenant, nous pouvons franchir les décennies à pas de géant.
Soyons bons pour un grand cinéaste allemand comme Pabst dont « Die Herrin von Atlantis » est une insulte à Lulu... N'en parlons pas !
En 1932, il y eut encore un film relativement célèbre de Karl Hartl, F.P.I antwortet nichi (F.P.I. ne répond plus), que je n'ai pas vu mais dont parlent, Bouyxou et Versins (qui ne semblent pas l'avoir vu non plus !) et l'adaptation plus ou moins allemande du roman de B. Kellermann, Der Tunnel. Rien de renversant. Le film est de C. Bernhardt. Citons encore « Der Herr der Welt » de Harry Piel et, pendant la période nazie, un amusant « Münchhausen », de Joseph von Baky.
En 1959 surgirent des ténèbres sulfureuses de l'inconscient collectif les images maléfiques de « Arzt ohne Gewissen » (Médecin sans conscience), signées Falk Harnack.
J'ai également vu, et il me sera beaucoup pardonné, deux effroyables navets à dimensions de betteraves « Ein Toter hing im Netz » (le Mort dans le filet) de Fritz Böttger, et « Das Geheimnis der Toteninsel » (le Baron vampire) de Ernst von Theumer, ainsi qu'un certain nombre de remakes insipides du Dr Mabuse.
J'ai déjà dit à mots couverts tout le mal que je pensais de Perry Rhodan sous toutes ses formes et dans tous ses avatars. Le « metteur en scène » italien, Primo Zeglio, qui commit l'erreur de tirer un film de cette ineptie increvable, n'a pas rendu service au Marché commun de la S.F.
Que dire encore du cinéma de S.F. en Allemagne ?
Pas grand-chose certainement sauf pour signaler, un film qui aurait pu être intéressant par ses considérations politiques s'il n'avait pas été aussi fauché. « Elite-Flotte Fleur de Marie » (1969) de Oimel Mai. Le Seigneur des Sphères nous préserve d'insister sur le film de Harald Reinl, « Erinnerung an die Zukunfi » (Présence des extraterrestres), commis en 1970.
Le cinéma allemand qui est en passe de devenir le meilleur d'Europe, avec le cinéma italien, nous doit maintenant une grande œuvre, héritière de la tradition utopique. Werner Herzog, Peter Fleischmann, et d'autres, qui ont plus ou moins renoué avec le fantastique ou avec le symbolisme, effaceront certainement, tôt ou tard, l'infamie d'un long et triste silence.
(Au ; moment de terminer cette préface, je constate qu'un film apparenté à la S.F. et au fantastique et signé Peter Fleischmann a été projeté dans le cadre du festival d'Avoriaz. Il s'agit de la Maladie de Hambourg. Les avis que j'ai pu recueillir sont très mitigés.)
La télévision
Ne quittons pas l'Allemagne cinématographique sans citer, au moins brièvement, quelques œuvres intéressantes réalisées pour le petit écran.
Nous serons indulgents pour le feuilleton « Raumpatrouille ». Les aventures du vaisseau « Orion » et de son équipage firent des heureux parmi les amateurs frustrés mais n'eurent jamais rien de génial. Cela dit, cette série, qui sentait le fauché à plein nez, n'était pas complètement nulle. Avec les moyens du bord, les passagers de l'« Orion » parvenaient, malgré des longueurs affligeantes et des scénarios terriblement conventionnels, à faire entrer la S.F. dans les foyers.
Plus sophistiqué mais très inégal, un autre feuilleton de la télévision allemande, « Das blaue Palais » (le Palais bleu), de Rainer Erler, essaya de redorer le blason de la fiction scientifique mais sombra dans l'ennui. Dommage, car il y avait là, dans la combinaison du suspense et de la science, une idée à creuser. D'autres tentatives de marier science et fiction tournèrent court.
Par contre, les Derniers Jours de Gomorrhe (« Die letzten Tage von Gomorrha ») ne méritent que des éloges. Cette œuvre de Helma Sanders est remarquable. Elle dénonce avec force l'empire des mass-media et de la société de consommation dans un futur à peine déphasé du nôtre. Œuvre cruelle, sans concessions, les Derniers Jours de Gomorrhe nous montrent une jeune prostituée en révolte contre une civilisation malade de son inhumanité et dévorée par ses propres contradictions.
Rainer Erler, un réalisateur qui écrit ses scénarios et qui en. tire occasionnellement des livres d'ailleurs excellents, a donné à la science-fiction allemande trois téléfilms particulièrement réussis « Die Delegation » (la Délégation), une des seules variations intelligentes sur le thème des Ovnis qu'il m'ait été donné de voir (ou de lire) ; « Opération Ganymed », à la fois œuvre de suspense et méditation sur la conquête de l'espace (avec quelque passages de grand style, comme, par exemple, la chute d'un des protagonistes dans un lac de mercure !) ; et, enfin, tout récemment, « Fleisch » (Chair), une fiction à court terme sur un honteux trafic de chair humaine au profit d'une banque d'organes.
Je me contenterai de ces quelques exemples. Il y en aurait d'autres, certainement, mais je craindrais d'alourdir mon propos et d'avoir l'air de tirer à la ligne.
Note : Rainer Erler a tiré des scénarios de « Die Delegation » et de « Fleisch » deux récits de suspense qui ne le cèdent en rien aux, meilleurs « thrillers » anglo-saxons.
Il y aurait bien des choses à dire encore, sur la musique, par exemple, ou sur la peinture et les arts graphiques, mais il n'est pas décent de vouloir transformer une préface en essai. Bien qu'il ne soit pas impossible que je consacre un jour (peut-être !) un livre à la littérature et à l'art spéculatifs des pays germanophones.
Pourtant, il faudrait dire deux mots d'un créateur particulièrement doué. Je veux parler d' Helmut Wenske. Ce très important graphiste est né en 1940 à Hanau, près de Francfort-sur-le-Main, où il continue de résider. Peintre sur céramique et sur porcelaine, décorateur, « designer » pour pochettes de disques, il trouva sa voie quand il se lança dans le fantastique et la science-fiction. Il tâta même de l'écriture, et un de ses contes, « Der Chronist » (le Chroniqueur), figurait au sommaire de S.F. aus Deutschland. Cette vignette cruelle a été traduite en français dans l'anthologie artisanale que Bernard Goorden et son équipe de jeunes chercheurs belges ont naguère consacrée au fantastique et à la science-fiction de langue allemande.
Thomas Le Blanc, anthologue allemand, parle en ces termes des œuvres graphiques et picturales de Wenske. « Il faut bien que les visions d'horreur viennent de quelque part. Les angoisses de Wenske sont toutes intérieures, les monstres qui y menacent sont les visages de son moi. »
« Pour composer certaines de ses œuvres, Wenske a fait usage de drogues qui ont élargi le champ de sa conscience. (... ) Sur des chemins sombres et contournés on atteint son territoire, dans lequel des masses humaines anonymes se pressent dans des cités verticales et froides, des squelettes et des membres difformes, hideux occupent toute la scène. (... ) Les peurs et les angoisses de Wenske sont celles que décrivirent Kafka et Meyrink, que vécut Lovecraft, rendues dans des formes surréalisantes et vues à travers les yeux de Dali et de Kubin, ou encore de A. Paul Weber. »
Parmi les recueils et portfolios de Wenske, citons
« Ahasverus, Die Gesichte des Athanasius Pernath » (les Visions d'Athanasius Pernath), « Hirnlaich », « Apokalyptikus », etc.
Quelques mots sur la République démocratique allemande...
Jacques Goimard m'a demandé, alors que je faisais le choix des textes à paraître dans cette anthologie, si je comptais également sélectionner des nouvelles écrites par des écrivains de la République démocratique allemande. J'ai immédiatement répondu par un non franc et loyal., Evidemment on trouvera au sommaire de cette anthologie des auteurs « originaires » de l'Allemagne de l'Est ( Zwerenz, ,qui n'est certes pas le moindre !) ou de Tchécoslovaquie ( Jeschke, Maximovic) ; mais tous vivent en République fédérale.
J'aurais aimé inclure dans' ce livre un tante de Günter Kunert, « Andromeda zur Unzeit ». Kunert est est-allemand mais vit depuis peu en R.F.A. ; pourtant cela ne change rien à rien. R.F.A. et R.D.A. sont deux pays différents, même si on y parle la même langue. D'ailleurs, les écrivains de R.D.A. n'accepteraient pas de partager une anthologie avec leurs confrères d'au-delà du Rideau de Fer ou du Mur.
L'antinomie politique est, certes, trop grande. Et les citoyens de la R.D.A. veulent insister sur une évidence que bien des Allemands de l'Ouest se refusent à admettre : il n'y aura jamais plus une seule Allemagne. La réunification des deux Allemagnes participe d'un rêve passéiste extrêmement dangereux. Et résolument réactionnaire. Vue de loin la S.F. est-allemande ressemble peu ou prou à celle des autres pays de l'Est. L'optimisme raisonné et raisonnable y est de mise, et la critique sociale, quand elle s'y rencontre, est rarement dirigée vers l'intérieur. La foi dans la science et le progrès ne se nuance que très rarement. Vue de plus près, on se rend compte que la S.F. fait partie de la littérature officielle dans la mesure où elle peut véhiculer facilement des messages et qu'elle touche beaucoup de jeunes. Une fois de plus, la littérature est détournée de son sens. Cela ne peut pas signifier pour autant que la S.F. est-allemande est dénuée de valeur. Il faut simplement souligner qu'elle s'inscrit, en tant que telle, dans le courant de la littérature éducative révolutionnaire. L'auteur de science-fiction est-allemand se meut automatiquement dans un système de convenances, de clichés, d'enseignements pratiques. A ma connaissance, les auteurs actuellement en vue ne ruent pas dans les brancards et cela ne semble pas devoir changer brutalement, dans l'immédiat. Sans doute, s'il se produit un phénomène de rejet, pourra-t-on le constater à la lisière du genre, dans cette zone marginale où se réfugient tous ceux que les systèmes quels qu'ils soient épouvantent ou pour le moins inquiètent. Même s'ils estiment (comme Wolf Biermann, cet exclu par « erreur » !) que le socialisme est, en dépit de tout, le système politique le moins condamnable...
Peut-être (certainement !) serait-il intéressant de réunir un jour quelques textes est-allemands susceptibles de fournir la matière d'une anthologie.
Parmi les auteurs actuellement en vue, nous citerons :
Günther Krupkat (né en 1905), auteur de nombreux romans et récits et personnalité marquante de la littérature de S.F. des pays de l'Est, qui affirme. « Le regard porté sur le futur rend les nécessités du présent plus évidentes. »
Le duo Alfred Lemann et Hans Taubert auquel on doit un très intéressant recueil de nouvelles, « Das Gastgeschenk der Transsolaren » (le Présent des Transsolariens).
Carlos Rasch, né en 1932, auteur de près de dix livres entrant dans le domaine de la science-fiction, avec lequel j'ai eu l'occasion d'échanger quelques lettres depuis notre rencontre à la convention européenne de Poznan en 1976. Il est un des seuls auteurs est-allemands à avoir été publié dans un fanzine français. Il écrit avant tout des livres d'aventures. Je citerai de lui « Asteroidenjäger » (Chasseurs d'astéroïdes, 1961), « Der blaue Planet » (la Planète bleue, 1963), « Magma am Himmel » (Magma dans le ciel, 1975), et son recueil de nouvelles « Krakentang » (le Varech du kraken, 1968, 1972). Autodidacte, il aime s'entretenir avec les jeunes et son œuvre, d'ailleurs souvent passionnante, n'est pas exempte de didactisme. Mais il est vrai qu'il n'est pas le seul.
Alexander Kroeger, 44 ans, est, quand il n'use pas de son pseudonyme, ingénieur et chercheur. Auteur de plusieurs romans, il a donné surtout un livre d'aventures assez remarquable. « Expedition Mikro » (1976). Son dernier roman s'intitule « Die Kristallweit der Robina Crux » (le Monde de cristal de Robina Crux).
Johanna et Günter Braun ont écrit ensemble plusieurs livres dignes de retenir l'attention. Romans et nouvelles font preuve de fantaisie et d'imagination. Citons le roman fantastique « Der Irrtum des grossen Zauberers » (l'Erreur du grand sorcier, 1972), le roman d'anticipation « Unheimliche Erscheinungsformen . auf Omega XI » (Étranges Apparitions sur Omega XI, 1974).
Heiner Rank, né en 1931, est passé du récit policier à la science-fiction. Son roman, « Die Ohnmacht der Allmächtigen » (l'Impuissance des tout-puissants), a paru en 1973.
Gerhard Bransiner, né en 1927, est poète et dramaturge. Dans le domaine qui nous concerne, il a publié plusieurs romans et recueils d'histoires : « Der falsche Mann im Mond » (le Faux Homme dans la Lune, roman, 1970), « Der astronomische Dieb » (le Voleur astronomique, un recueil d'anecdotes utopiques, 1973), « Der Sternenkavalier, eine utopie » (Cavalier des étoiles, une utopie, 1976), etc.
Hubert Horstmann, né en 1937, déclare : « Ce que je ne puis supporter en matière de science-fiction. les grandes et les petites batailles cosmiques, interplanétaires, ou planétaires, l'éternel thème guerrier (cela participe du géocentrisme le plus borné ... ) Dans mes propres histoires je cherche à démontrer que l'homme n'est pas à la fin mais au commencement de ses possibilités. » Il a écrit « Die Stimme der Unendlichkeit » (la Voix de l'infini, roman, 1965), « Die Rätsel des Silbermonds » (les Enigmes de la lune d'argent, roman, 1971).
Horst Müller, né en 1923, dit. « ... Pourquoi j'écris ? Mais parce que le futur sera demain le présent. Il faut interpréter le futur. » Citons de lui le roman « Kurs Ganymed » (Destination Ganymed, 1962), qui raconte le contact entre des Terriens et des hommes d'une autre planète.
Franz Toeppe, né en 1947, est également graphiste. Il illustre des jaquettes de livres, des récits (dont les siens), et signe affiches et dessins. Il est l'auteur d'un recueil de nouvelles « Regen auf Tyche » (Pluie sur Tychée).
Enfin, pour terminer cette (incomplète) énumération, donnons la parole à Bernd Ulbrich. « Mon esprit de contradiction date d'une nuit de 1943, une nuit de bombardements aériens. Je venais tout juste de naître et j'élevai la voix contre le fracas des moteurs d'avion. Je gagnai. »
Bernd Ulbrich a rassemblé ses meilleurs textes dans le recueil « Der unsichtbare Kreis » (le Cercle invisible).
Pour la petite histoire et pour conforter notre orgueil national, j'ajouterai que les éditions Neues Leben ont récemment publié une importante anthologie de science-fiction française, sous la responsabilité de Bernhard Thieme.
Quelques avis sur la science-fiction allemande : ici ...
« La nouvelle est un art pratiquement inconnu en Allemagne où les revues ont toujours une existence courte et difficile. Alfred Vejchar ne mentionne même pas une centaine de textes dans son index des revues entre 1955 et 1965. (... ), »
« Il existe dans la littérature de langue allemande une tradition sinon presque constante du moins persistante du roman utopique. Cette tradition entretient des rapports étroits avec celle du roman d'éducation ou d'apprentissage (Bildungsroman). Elle se manifeste par la création, au fil des derniers siècles, d'œuvres exceptionnelles par leur qualité littéraire et leur exigence intellectuelle et dont on serait sans doute en peine de trouver, en ce domaine, des équivalents dans la littérature française, voire mondiale. »
« Bien que la République fédérale d'Allemagne soit, après la France et l'Angleterre, le pays d'Europe occidentale où la S.F. connaît le plus de succès, il n'existe pas vraiment d'école singularisée par un style et des thèmes originaux. Les quelques collections spécialisées (sic) et la plus grande partie des magazines périodiques (re-sic) accueillent des auteurs étrangers. Cela explique (re-re-sic) que nous ne connaissions en France que très peu d'auteurs allemands. ( .. ) Le seul titre de gloire de la S.F. allemande (somme toute non négligeable) tient dans le stupéfiant succès d'un feuilleton populaire de space-opera : Perry Rhodan. (...)
On peut donc conclure qu'à tous égards l'école allemande est avant tout populaire. «
(Note de l'anthologue : « J'ai vu une serveuse rousse à Calais, donc toutes les Françaises sont rousses ! »)
La science-fiction allemande contemporaine est la deuxième après les Etats-Unis pour ce qui est du nombre de titres publiés annuellement, mais elle est caractérisée par une absence presque totale d'œuvres originales de quelque valeur. Le peu de textes dus à des auteurs allemands est surtout destiné à paraître dans des romans à quatre sous. «
(Note de l'anthologue. On n'est jamais si bien trahi que par les siens !)
... Et là-bas
Herbert W. Franke : « Il existe en Allemagne quelques bons auteurs, mais qui ne se consacrent à la science-fiction que d'une façon marginale ou épisodique. Ils ne se sont fait connaître que par un nombre très limite de textes publiés. Quant aux auteurs qui produisent en série, ils sont évidemment moins dignes de considération en ce qui concerne le niveau littéraire de leurs publications. Pourtant, la science-fiction gagne de plus en plus de terrain en Allemagne et l'intérêt des lecteurs grandit. Et surtout celui de lecteurs plus difficiles et plus cultivés. Ces derniers trouvent de plus en plus d'attraits à cette forme de littérature. Toutes ces raisons font que je vois à présent une chance réelle pour les auteurs allemands de se faire une place dans la science-fiction. » (Lettre du 9.11.1977).
Hermann Ebeling : « Dans les cinémas et à la télévision, il y a à l'heure actuelle une vague de films de science-fiction. Cela signifie : la science-fiction est à présent tellement diluée et banalisée qu'elle s'est peu à peu identifiée au goût du (très) grand public. Elle lui livre maintenant ce que promettaient jadis les navets à thèmes folkloriques ou pseudo-historiques : kitsch (mauvais goût) et idéologie conservatrice. Il faut dire que c'est, dès ses débuts, la tendance de la S.F. allemande. Voyez Lasswitz et Dominik. Dont l'héritier spirituel est Erich Von Däniken.
« Pour moi S.F. a toujours signifié SOCIAL-FICTION. Je ne me suis jamais intéressé à la technologie des temps futurs (si ce n'est celle du » small is beautiful « ). Pas plus que je ne suis intéressé à la vie sur d'autres planètes. J'essaie simplement de changer un tout petit peu mon présent. Raison pour laquelle je décris un avenir de mauvais augure tout en espérant que mes lecteurs et mes auditeurs prendront une telle peur à l'idée que cette vison de l'avenir pourrait correspondre à la réalité qu'ils se mettront à considérer le présent avec un œil critique et qu'ils choisiront une autre voie vers l'avenir.
« J'ignore ce qui s'écrit actuellement en République fédérale dans le domaine de la science-fiction, mais j'aimerais qu'il puisse s'agir de livres qui ne détournent pas le lecteur de son présent, de livres écrits avec une fantaisie aussi critique qu'analytique.
« Notre devoir en tant qu'auteurs (et cela compte tout aussi bien pour les auteurs de S.F.) est, de toute façon, de rattraper le présent avant de songer à entreprendre un voyage chimérique dans le futur. La conscience, à l'heure actuelle, est en train de boiter lamentablement, grotesquement, à la traîne de l'existence. Le monde des » appareils « , dans lequel nous vivons sans y être pour autant chez nous, la catastrophe écologique de notre présent, le saccage de l'être humain, ici et maintenant : voilà les thèmes actuels auxquels doit s'attaquer l'écrivain de science-fiction. »
Konald M. Hahn. « Je viens de recevoir un livre édité par Rolf Kesselring (... ) en même temps que le catalogue de cette maison d'édition. (A propos : est-ce que Rolf Kesselring est allemand, ou bien est-il en mesure de lire notre langue ? !).
« Il faut dire que le catalogue en question m'a fait (littéralement) bondir de mon fauteuil ! Qu'il puisse exister en France une collection semblable est presque incroyable pour nous autres, ici, en République fédérale ! On aurait plutôt tendance à frapper d'interdit (Berufsverbot) même les auteurs de science-fiction. Quelques-uns de mes amis et moi-même avons souvent des difficultés : certains ultras de droite (qu'ils soient fans ou auteurs) ne laissent passer aucune occasion de faire remarquer à nos éditeurs (qui sont bien sûr dans l'ensemble de bons bourgeois !) quelles vipères ils sont en train de réchauffer dans leur sein. » (Lettre du 27.12.1978).
Gerd Ulrich Weise : « Une prise de position quant à la situation de la S.F. en Allemagne ? Il est de bon ton pour un Allemand cultivé et muni de diplômes de considérer l'Allemagne avec un regard négatif. Sous n'importe quel aspect que ce soit. (... ) Cela fait que lorsqu'on a une préférence, typiquement non allemande, pour la littérature d'évasion, il s'ensuit évidemment le lamento suivant. il n'existe pas de bonne littérature d'évasion en Allemagne ! Si quelque chose mérite d'être considéré comme valable, il s'agit bien sûr d'un produit d'importation. il faut bien dire que pour l'essentiel cette constatation est fondée, mais [il est vrai] que la littérature d'évasion passe, en Allemagne, pour méprisable. Voulez-vous rabaisser un écrivain ?... Il n'y a qu'à lancer d'un ton supérieur qu'il ne produit en fait que de la littérature d'évasion. (On n'en dit pas moins et très souvent d'un écrivain comme Hesse !) Je réponds volontiers à ce genre d'argumentation que je considère James Joyce comme le meilleur écrivain de littérature d'évasion que je connaisse. Cela ne manque pas de provoquer de la part de gens qui l'ont lu avec ennui mais qui ne l'en estiment pas moins, des mouvements de stupeur. Tous les critères en fait de littérature (...) ne sont établis qu'en fonction du bon ton, mais la littérature d'évasion est forcément vulgaire, et la vulgarité en matière de littérature est évidemment entachée d'erreur.
Conclusion. on se distrait mal ou pas du tout, et il faut s'en remettre aux bavardages plus virtuoses des spécialistes étrangers. ( ...)
« La science-fiction n'a en Allemagne qu'une base bien étroite ; et sa tradition est limitée.
« Quelle chance a un auteur allemand d'être pris au sérieux ? ( ... ) Afin de gagner quelque considération, il faudrait sortir du ghetto des fans, rendre la littérature d'évasion plus attrayante, en en variant les possibilités. (...) Comme nous sommes moins enfermés, dans les conventions du genre que, par exemple, les écrivains américains, cela ne devrait pas nous poser des problèmes insurmontables. (...) Malheureusement tout ce qui touche de près ou de loin au fantastique se heurte ici à l'incompréhension. On l'assimile à l'irrationnel et de fait, politiquement parlant, à la réaction. Pourtant comme je ne veux--pas, en dépit de tous ces obstacles, m'avouer vaincu, il me faut combattre deux adversaires. les tenants gélatineux et sans critères réels de l'humanisme culturel d'une part et les professionnels dogmatiques du progrès d'autre part. Ce dont un auteur a le plus besoin, à mon avis, est un charme suffisant pour opposer à la sécheresse et au vide qui menacent les cerveaux, derrière ces tiraillements culturels, une sorte de végétation (spirituelle) provisoire. C'est en tout cas ce qui me motive lorsque je lis ou j'écris. » (Lettre du 12.3.1979).
Ouvrages de référence (cités ou non)
ALPERS . (Hans Joachim) et HAHN (Ronald M.). S.F. aus Deutschland, anthologie, Fischer Taschenbuch — Verlag, 1974.
GEERKEN (Hartmut) (anthologue) : Märchen des Expressionismus, Fischer Taschenbuch-Verlag, 1979. ROTTENSTEINER (Franz) : La science-fiction illustrée, Le Seuil, 1975.
PORITZKY (J.E.) : Dämonische Dichter, Rösl & Cie, Munich, 1921.
PORITZKY (Martin) : Vom Staatsroman zur Science-Fiction, Ferdinand Enke Verlag, Stuttgart, 195 . VERSINS (Pierre) : Encyclopédie de l'utopie, des voyages extraordinaires et de la science-fiction, l'Âge d'Homme, Lausanne, 1972.
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