Il y a des écologistes qui passent leur vie à ramasser des papiers gras. Ça ne leur laisse guère le temps de penser que s'ils transformaient les usines à papiers gras, ça irait certainement plus vite.
D'autres écologistes lisent de la science-fiction. Parce que, pour eux, l'écologie, c'est réfléchir sur la réalité, sur la société, dans un contexte indiscutablement politique.
Bien entendu, il faudrait marquer aussi la position de la science-fiction dans ce contexte de réflexion sur le social. On ne peut le faire sans comprendre que la place accordée à l'imaginaire, dans les sociétés occidentales, est bien misérable : tu travailles, tu produis et tu consommes, et quand tu n'as, par hasard, plus rien à faire (c'est rare et suspect), tu trouves cinq minutes pour lire, pour t'évader, comme on dit.
La littérature permettrait donc de s'évader du monde ? C'est la plus grosse bêtise depuis Newton et Napoléon. Et pourtant, c'est le leitmotiv, jusque dans la jeune génération à qui, récemment, Michel Cosem demandait pourquoi elle lisait de la SF (Cf. Univers 06) : je lis pour oublier et vous n'allez quand même pas me faire croire que je dois retrouver dans la SF ce que je vois dans la rue, à la TV et dans mon Parisien Libéré ?
Et pourtant : oui ! La SF traduit, comme toute œuvre d' imagination, le monde qui nous entoure. Même quand le héros musclé, bronzé et sans reproche part à la conquête des étoiles. C'est de la Terre qu'on parle, rien que de la Terre.
Car la littérature travaille sur le monde. Ce n'est pas une spécialité à part, bien protégée par une vitre blindée dans un musée. Elle parle du réel, avec les mots dont le réel se sert, traduit des désirs et des angoisses du réel. Dans cette optique, la SF, comme toute littérature, est un phénomène politique.
La SF, c'est « ici et maintenant. » Ceux qui appellent leur collection Ailleurs et demain se moquent de nous. On pourrait penser que j'oublie mon sujet. Mais non : l'écologie, c'est une vision claire des phénomènes du réel et de leur interaction. C'est surtout un désir de repenser la vie quotidienne avec un esprit critique et non à travers le prisme déformant d'un endoctrinement. C'est ce qu'explique fort bien Pierre Samuel dans Écologie : détente ou cycle infernal (10-18).
Dans science-fiction, il y a science...
La SF, par le biais de l'exploration de l'imaginaire, permet de la même façon de mettre à jour les rapports entre les gens et leur environnement. Il semble donc que la SF apparaisse comme l'un des canaux privilégiés de l'écologie, et que ces deux formes se recouvrent parfaitement.
Dans science-fiction, il y a science. Et de fait, que ce soit en France chez Jules Verne ou aux U.S.A. chez Campbell, la technique est un personnage à part entière du roman. Que voulez-vous, les fusées ne marchent pas avec du caramel mou, et il ne suffit pas de claquer dans ses doigts pour fabriquer un robot, il y a des petits mécanismes à l'intérieur. En ce sens, se moquer des machines et faire voler les locomotives dans les airs sans aucune explication préalable, comme le fait Moorcock dans Une chaleur venue d'ailleurs (Denoël), est une réaction écologique à la science-fiction technologique.
Pourtant, pendant longtemps, cette prédominance de la science sur l'imaginaire ne dérange personne, bien au contraire. A l'avènement de la civilisation industrielle correspond un enthousiasme délirant pour tout ce qui touche à la science et au gadget. L'écologie étudie les rapports homme-science : on voit que là encore les deux notions se recouvrent.
La SF va même encore plus loin, puisqu'elle permet d'imaginer des sciences nouvelles, comme, le fait Rosny Aîné dans La mort de la Terre (Denoël) où il jette les bases de lois physiques entièrement neuves à propos de la race des ferro-magnétiques, ou de militer en faveur de recherches peu connues, tel Pierre Barbet avec la bionique.
Toujours plus loin, toujours plus haut, la SF ouvre l'écologie humaine à l'écologie extra-terrestre et lui apporte ainsi un flux d'imagination sans laquelle aucune recherche ne peut réellement exister. Par là, on peut même penser que la vision offerte par la SF est indispensable à l'écologie. Les romans contre les boîtes de conserve. A ce propos, il est difficile d'oublier les magnifiques pages du Prisonnier de la planète Mars de Gustave Le Rouge (10-18) sur la faune et la flore luxuriantes de la planète rouge. Cependant, dans ce domaine, il convient de se méfier sérieusement : la description d'un monde étranger peut servir aussi à détourner le lecteur de ses problèmes. Ainsi le space opera ou les histoires de voyage dans le temps, dont Les temps parallèles de Silverberg (Marabout) est le meilleur exemple : on plane bien à Babylone, c'est quand même mieux que dans les embouteillages du samedi après-midi...
On ne peut donc pas envisager la SF et l'écologie sans chercher à définir les rapports des auteurs avec l'idée de science. Historiquement, la SF américaine jusqu'aux années 50 répond à cette belle phrase de Van Vogt, d'un culot monstrueux : « Sur la plus grande partie du globe, l'homme est enchaîné. Partout de puissantes forces rétrogrades agissent pour le maintenir en esclavage ou créer de nouvelles chaînes plus étroites. Mais il se libérera si jamais la connaissance scientifique peut pénétrer dans sa prison. »
Pour Van Vogt, il ne fait aucun doute que les forces rétrogrades sont les communistes et que seule la science occidentale pourra sauver le monde de l'esclavage rouge 1. Je ne parle pas encore de capitalisme pour ménager le suspense.
La SF de cette époque encense et adore la science. L'homme est en extase devant ses nouveaux jouets, il hurle de joie d'avoir inventé la machine à laver et la brosse à dents électrique : que le monde est beau depuis que je peux me brosser les dents sans bouger le bras !
Dans le même temps, les militaires peuvent enfin défiler sur les Champs-Elysées sans rougir puisqu'ils sont enfin en possession d'armes à leur mesure, missiles nucléaires, bombes à billes, lance-flammes, sous-marins (c'est l'exemple limite, ils n'ont encore jamais défilé sur les Champs-Elysées avec des sous-marins, mais croyez-moi ce n'est pas l'envie qui leur manque !)
Berthelot, le savant célèbre, voit passer les régiments armés jusqu'aux yeux et s'écrie, en levant les bras au ciel : « La science possède une force morale capable de faire surgir à brefs délais les temps bénis de l'égalité, de la fraternité, et de l'union de tous devant la saine loi du travail. » Puis, dépassé par tant de félicité, il s'évanouit.
Il n'y a pas loin entre Van Vogt, Berthelot et les militaires. Car la SF occidentale transmet leur message et uniquement le leur. L'homme est maître de l'univers, il peut s'en servir à sa guise et le presser comme un citron. Et pas n'importe quel homme, vous vous en seriez douté : l'homme blanc occidental. Tout est permis, il doit tout conquérir. Le monde entier doit se plier à l'homme, par la force si nécessaire. C'est, par exemple, le saccage joyeux de la jungle de Mira dans La guerre contre le Rull de Van Vogt (J'ai Lu).
Il n'y a alors plus guère de différence entre le vaisseau spatial X 35 civilisant une planète sauvage, l'engagement américain au Viêt-nam et la colonisation de tous les peuples minoritaires, de l'Indien à l'Esquimau, en passant par le Basque, l'Occitan et le paysan du Larzac.
Vous avez vu ces salopards de Martiens ?
Mais dites-moi : ceux qui lisent de la SF pour s'évader ont de drôles de manières de fuir la réalité ! C'est vrai, mon vieux robot ! Ils explorent des mondes où règne la loi du plus fort et où les valeurs morales essentielles consistent à rentabiliser. Leurs rêves s'appuient sur les plus belles valeurs de l'homme blanc : le racisme, le chewing-gum, le militarisme, le patriotisme, l'ordre moral et la boîte de conserve.
Le plus rigolo dans l'affaire, c'est que cela est proposé depuis très longtemps au lecteur en toute bonne conscience. L'écrivain de SF ne se pose aucune question gênante, sûr qu'il est de sa vérité et de son bon droit. L'idéologie capitaliste (ça y est, je l'ai prononcé) de cette époque n'a guère de souci à se faire : en pleine expansion, elle tient parfaitement les rênes du pouvoir, et son endoctrinement des masses est sans failles.
Toutes les précautions sont d'ailleurs prises, dont la SF est le plus fidèle miroir : ceux qui, on ne sait jamais, auraient pu attraper cet infâme virus de la contestation de l'ordre établi, ont le bec cloué par des réponses toutes prêtes. Du style : Vous avez vu ces salopards de Martiens ? Ils nous envahissent sans prévenir et ils violent nos femmes ! Nous ne leur avons rien fait et ils nous attaquent, nous, pauvres petits innocents gentillets ! C'est une honte ! Nous avons le droit et le devoir de nous défendre : du coup, la conquête des étoiles devient de la légitime défense, et le tour est joué. Mieux : pour éviter d'autres attaques perfides, il faut tirer d'abord et s'expliquer ensuite. C'est ce que proposent quelques militaires abrutis du Pentagone dans le Doctor Folamour de Stanley Kubrick, et ce qu'analyse fort bien Joe Haldeman dans La guerre éternelle (Opta). Il montre comment les jeunes soldats ont été conditionnés à haïr les extra-terrestres qu'ils doivent combattre :
« Des monstres patauds et velus, des Taurans, (qui n'avaient rien à voir avec les vrais, ceux que nous connaissons maintenant) abordaient un vaisseau de colons. On les voyait manger les bébés sous les yeux des mères hurlant de terreur (jamais les colons n'emmenaient de bébés : ils n'auraient pas supporté l'accélération) ; on les voyait aussi violer à mort les femmes — avec de gros plans sur leur sexe énorme parcouru de veines violacées (comme s'ils avaient pu éprouver du désir envers les humains)... »
Pendant longtemps, la SF jouera sur le lecteur ce même rôle de conditionnement. C'est-à-dire tout le contraire de l'écologie des espèces vivantes qui vise à établir des rapports harmonieux de compréhension mutuelle entre toutes les races.
Cet endoctrinement permet aussi de justifier l'invasion de la SF par l'armée : car ce genre, particulièrement sous sa forme cinématographique, a la médaille de la Défense Nationale. C'est dans cette catégorie que l'on voit, quantitativement, le plus d'uniformes, dans les rôles les plus photogéniques. Contre l'extra-terrestre, la fourmi géante et le microbe rongeur, un seul remède : la 3e Division blindée.
Si l'on considère que l'armée est une des pollutions majeures, les représentants de cette SF anti-écologique par excellence sont Anderson, Niven, Van Vogt et Heinlein. Il faut au moins une fois dans sa vie lire La guerre contre le Rull (J'ai Lu) et son panégyrique terrifiant de la Ville Technologique, avec ses colossales centrales nucléaires et ses rues de fer. Ici, ceux qui vantent une telle forme monstrueuse de civilisation n'ont plus rien à voir avec l'être humain et ses désirs véritables.
On le voit, pendant longtemps la science a de bons chiens de garde à qui la SF donne largement la parole,
Et puis un jour Boum !
Et puis un jour, Boum ! Hiroshima, Boum ! Fidel Castro, Boum ! les bébés à l'hexachlorophène, Boum ! la course aux armements et les manipulations génétiques, Boum ! Seveso et les fuites dans les centrales nucléaires,
On a beau être aveugle, avoir dix kilos de coton hydrophile dans les oreilles, on a beau recevoir l'idéologie dominante faite de mensonges sécurisants, ça secoue quand même un peu et on se pose quelques questions, Bien obligé, quand on voit de sa fenêtre les champs de blé remplacés par des terrains militaires et sur l'horizon les nuages phosphorescents des explosions nucléaires.
Auteurs et lecteurs commencent à se dire que le monde n'est pas aussi magnifique qu'on voudrait bien le leur faire croire. Ils conçoivent qu'ils se sont trompés, et cette crise de culpabilité se retrouve dans la remise en question de la SF des années 60. La science n'est plus la mère bénie de toutes les vertus et met la sécurité de la race humaine en danger.
Cependant, tout n'est pas encore dit : les auteurs s'arrêtent souvent en route et analysent la situation avec partialité. Si la science tue, c'est la faute à quelques irresponsables (le savant fou, par exemple : il a bon dos), mais les gens honnêtes, les bons savants font attention, Personne ne remet encore en question les fondements idéologiques de la science (au service de qui et pourquoi faire ? Autant de questions que l'écologie politique nous a habitués à nous poser aujourd'hui.)
Ainsi, dans une nouvelle de Silverberg, Nous savons qui nous sommes (in anthologie Derrière le néant, éd. Marabout) la science cause un cataclysme planétaire. Quelques-uns s'en sortent et reconstruisent un monde où il est interdit de s'approcher des Machines de la Connaissance, restes de l'ancienne civilisation. Arrive une belle fille qui leur fait de la morale en les aguichant : il y a des précautions à prendre, 11 suffit de ne pas dépasser les limites dangereuses, mais à part ça, on peut recommencer. Et les structures qui commandent à la grande machinerie technologique aux mains de quelques-uns ne sont pas contestées.
Il y a des bavures, des erreurs de parcours, mais c'est tout. Il ne faudrait quand même pas revenir à l'âge des cavernes ! Car tous ceux qui osent remettre en question les bases scientifiques ne sont que des barbares à longs poils tout juste dignes des vitrines du Musée de L'Homme, mais encore faut-il les empailler et leur enlever les poux.
Dans la même anthologie citée ci-dessus, un autre texte, Succession de K.W. Eaton, raconte l'histoire d'un brave psychiatre humain qui fait tout pour déculpabiliser un extra-terrestre responsable d'un génocide. Il lui tape sur l'épaule (non sans quelque dégoût) et lui dit « allons mon vieux, t'en fais pas, tu n'es pas responsable, c'est une simple erreur de calcul »...
Le mythe de la science Indépendante
Car la SF, même lorsqu'elle montre des préoccupations écologiques, ne pose pas les vraies questions : II ne s'agit pas de revenir à l'âge de bronze, mais de contrôler nous-mêmes la technologie, et d'éviter de laisser ce soin à une minorité de spécialistes. Le thème de Succession est symptomatique d'une analyse habituelle à la SF ; puisqu'on ne peut plus occulter les erreurs de la science, on les dédramatise, on en réduit la portée et on enrobe le tout dans un flot d'optimisme sirupeux.
Autant dire qu'une certaine SF écologique est tout aussi dangereuse, voire plus, que la SF triomphante de l'âge d'or. Car elle mélange tout et laisse planer quelques ambiguïtés bien utiles. Ainsi, un récent roman publié en français par Opta, La fin du rêve de Philip Wylie, est un extraordinaire catalogue de toutes les pollutions qui bouffent la planète, et s'attaque même (ce qui est très rare dans la SF) à l'industrie nucléaire dite pacifique. Au milieu de descriptions apocalyptiques qui, malheureusement, depuis les boues rouges et Seveso n'appartiennent plus à la fiction, on relève quelques phrases très justes quant à l'analyse idéologique qui devrait sous-tendre une vision écologique du monde : « Les gens des grandes majorités avaient la parole, et les industries qui les servaient, de même que l'ensemble de leurs élus, les incitaient à faire des choix insensés. Une technocratie ne peut rester démocratique que si la majorité des gens comprennent suffisamment à la fois la technologie et l'écologie pour savoir ce qu'ils font. »
Cette Fin du rêve est donc très importante dans le bond en avant qu'elle permet à la SF. Mais on peut penser qu'en un autre domaine ce n'est qu'un saut de mouche, puisque l'auteur propose, comme solution, que le monde soit pris en main par quelques milliardaires humanistes bien intentionnés et des savants. On se sort d'un mal pour replonger dans un autre : l'élitisme par le gouvernement de quelques personnes éclairées. Et le peuple, dans tout ça, et les gens, et ma concierge ? Quand ont-ils leur mot à dire ?
Cette solution a été maintes fois prônée par une certaine SF écologique. Ainsi le Français Olivier Sprigel (alias Pierre Barbet) fait les mêmes propositions d'un gouvernement de savants dans Crépuscule du futur (Le masque).
Même les auteurs le plus au courant des désastres écologiques qui nous entourent nous font croire que nous sommes tous responsables. C'est encore Philip Wylie qui le dit : « ... vous (et moi, bien entendu) sommes les agents de ce massacre. »
Dans Demain le froid (Fleuve Noir) J. et D. Le May disent exactement la même chose et ne voient pour s'en sortir qu'une issue : une élite scientifique, ici Pugwash. Dans le même roman, le racisme anti-jaune pointe son nez et on se dit que les idées écologiques n'ont pas encore été bien assimilées par tout le monde. Les auteurs du Fleuve Noir sont d'ailleurs coutumiers du fait, particulièrement Richard Bessière, Maurice Limat, Georges Murcie. S'ils font mention de la pollution dans leurs romans, c'est souvent un prétexte pour vanter l'ordre moral le plus répugnant. Pour Richard Bessière, on vaincra la pollution quand on aura liquidé les prostituées, la licence sexuelle, les prisons luxueuses et les gauchistes. Voilà une intéressante proposition pour éliminer les déchets radioactifs.
Le vrai visage de la science dans la société
Heureusement, d'autres livres paraissent qui analysent la situation d'un ton plus engagé. James Blish, par exemple, dans un court roman, Nous mourrons nus (Opta, Fiction spécial 20, Trois futurs incertains) montre sans ambiguïté que la Terre a été mise à sac, non à cause de la folie de la race humaine, mais bien par une minorité d'exploiteurs, qui n'ont qu'un but, dominer le monde pour en tirer le plus de profit possible au détriment de la sécurité des peuples. La fin du monde n'est pas une question de morale (la casuistique est bien pratique pour détourner les masses des questions essentielles et la SF ne s'en prive pas) mais l'aboutissement logique de rapports de forces entre oppresseurs et opprimés. Blish (et quelques autres) réintroduit la notion de lutte des classes dans la SF et ce n'est pas trop tard.
Nous mourrons nus, au milieu des égouts qui suintent au niveau du quatrième étage des buildings (parce que la pollution atmosphérique réchauffe et fait fondre les calottes glacières, faisant monter le niveau des mers) montre que les gens au pouvoir veulent conserver leurs privilèges jusqu'au bout. Eux seuls ont des tickets pour l'évacuation, et ils se foutent de tout le reste : « Ils s'en fichent, tout simplement, ou peut-être ont-ils pris l'habitude de nous mentir depuis si longtemps qu'ils sont devenus incapables de nous dire la vérité, même s'ils le souhaitent. »
Il y aurait, et c'est tout de même rassurant, toute une liste à faire de bouquins modernes qui envisagent la question sous cet angle, qui battent en brèche l'idéologie dominante, mettent l'accent sur les vrais problèmes de notre société. Dans sa préface de son anthologie Retour à la terre (Tome 2, éd. Denoël), Jean-Pierre Andrevon analyse très exactement la chose de la même façon : « Alors revenons sur Terre, où nous attendent la pollution et la tyrannie, la guerre nucléaire et les révolutions morales et sexuelles, les soubresauts sociaux et la mise en coupe réglée de l'environnement, les tripatouillages génétiques et la découverte des énergies douces, la montée de l'électro-fascisme et le fichage électronique, la fin du monde et le début d'un monde nouveau — peut-être. »
Au passage, il faut d'ailleurs tirer un coup de chapeau à J.-P. Andrevon qui a été l'un des premiers en France à relier science-fiction et lutte écologique, à œuvrer à la fois dans les revues et zines de SF et dans La Gueule Ouverte, le mensuel qui a longtemps annoncé la fin du monde, et qui, devenu hebdomadaire, cherche maintenant à construire un monde neuf. D'autres, comme Norman Spinrad, font le même boulot outre-Atlantique. Dans Jack Barron et l'éternité (Laffont) il montre comment la science sert les intérêts d'un milliardaire au détriment du peuple. A travers cette analyse sans fard de l'Amérique contemporaine perdue dans ses rêves mégalomanes l'auteur démonte une machination hautement symbolique. Grâce à son fric qui lui permet de se payer les dernières découvertes scientifiques un capitaliste fait enlever des enfants noirs pour les soumettre à des radiations mortelles qui les mèneront jusqu'à une décomposition cancéreuse assez avancée. A ce moment-là, un sérum d'immortalité est tiré de leurs glandes gangrenées. Avec un langage volontairement ordurier (car, après les Black Panthers, Spinrad a compris que dans certains cas l'injure peut avoir puissance révolutionnaire) Jack Barron et l'éternité montre le vrai visage de la science dans notre société : moyen, littéralement, de sucer la substance des peuples au profit des Dracula du pouvoir. Dans son film Traitement de choc, Alain Jessua a récemment repris cette métaphore.
Ainsi, cette SF symbolique et cependant fortement accrochée à la vie quotidienne, permet de bien saisir le message principal de l'écologie. L'écologie qui étudie les lois régissant les échanges entre les êtres vivants montre que les rapports de maîtres à esclaves (entre deux êtres humains ou entre l'homme et la nature) sont à l'origine de la destruction de la planète.
La SF, jadis au service d'une idéologie réactionnaire, s'ouvre aujourd'hui à la contestation et semble passer à l'ennemi. Les récents livres de John Brunner, Tous à Zanzibar et Le troupeau aveugle (Laffont) et de J.-G. Ballard, Crash et L'île de béton (Calmann-Lévy) sont d'autres exemples essentiels de cet apport de la SF à la contestation écologique. Dans des œuvres énormes, ardues, effritées comme le monde qu'elles reflètent, Brunner énumère avec un raffinement sadique les différentes raisons pour lesquelles nous devons un peu nous inquiéter quand nous sortons le soir promener le chien.
L'important, dans cette minutieuse apocalypse (qui n'en oublie pas moins le problème du nucléaire dit pacifique, et c'est dommage) c'est que Brunner n'accuse pas Dieu, ou la fatalité, ou le roi des savonnettes parfumées, mais bien le capitalisme.
Il n'est pas négligeable non plus que la SF de Brunner prenne ses sources, toutes ses sources, dans la réalité. Il n'est plus guère possible de terminer son livre en se disant avec un petit frisson de plaisir, ouf, heureusement que ce n'était que de la littérature... Non, la SF de Brunner ne joue pas le rôle de Frankenstein et des séries B de l'épouvante.
Il ne faut bien sûr pas attendre que la dernière page du livre refermé, le lecteur impulsif prenne un fusil pour aller tirer sur tout ce qui porte gros portefeuille, ou qu'un autre, plus raisonné, ne décide d'agir collectivement pour changer ce monde à l'odeur chimique. Tout n'est pas aussi simple et le capitalisme a plus d'un tour dans son sac. Mais la SF a son rôle à jouer dans cette prise de conscience. Univers l'a prouvé en publiant cet article, maintenant, excusez-moi, il faut que je m'en aille, j'ai une centrale nucléaire à faire sauter.
Notes : 1. A noter qu'on peut trouver la même philosophie dans les ouvrages de S-F publiés en Union Soviétique à l'époque. A un détail près : c'est la science soviétique qui sauve le monde de l'esclavage capitaliste. (N.D.L.R. : J.S.)
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