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Rencontre avec Larry NIVEN

Jacques GUIOD

Galaxie n° 107, avril 1973

Rencontre avec
LARRY NIVEN
Une interview de J. Guiod


     Galaxie : Comment définissez-vous votre position à l'intérieur de la science-fiction ?
     Larry Niven : J'aime que la science soit mise en valeur dans la SF. Ce n'est pas simplement une préférence, c'est vraiment quelque chose de très profond en moi. Je m'intéresse énormément à ce qui se passe actuellement en astrophysique théorique où les progrès sont vraiment considérables. Ma conception de l'univers est celle de très nombreux physiciens. L'univers est un rébus, une énigme très vaste et très complexe mais que l'on peut parvenir à résoudre. Je crois que les hommes sont sur la bonne route depuis, disons, un millier d'années. Ils obtiennent des réponses qui se rapprochent de plus en plus de la réponse véritable. L'univers est une énigme et j'aime les histoires qui sont des énigmes. Celles-ci se trouvent souvent à l'intérieur de mes propres œuvres et peuvent être résolues par mes lecteurs.

     G. : Il semble que vous ayez eu une éducation scientifique assez importante.
     L. N. : Oui, je devais tout d'abord devenir mathématicien. Je suis diplômé de mathématiques mais j'ai suivi de nombreux autres cours, la plupart du temps pour mon propre plaisir. J'ai ainsi énormément travaillé la philosophie et l'anglais...

     G. : Vous êtes écrivain professionnel ?
     L. N. : Oui, je n'ai pas d'autre métier.

     G. : Vous est-il arrivé d'écrire en dehors du domaine de la science-fiction ?
     L. N. : Quand j'écris quelque chose, c'est pour me prouver que je suis capable de le faire. J'ai déjà publié une histoire policière dans un magazine spécialisé. J'ai également écrit des articles scientifiques sur des sujets situés aux limites de la science actuelle. L'un de ceux-ci traitait de la téléportation ; un autre avait pour sujet le voyage dans le temps.

     G. : Avez-vous déjà écrit du fantastique ou de l'heroic fantasy ?
     L. N. : Je ne crois pas que j'écrirai jamais un roman fantastique. Mais j'ai écrit une longue nouvelle qui doit paraître dans Fantasy & Science Fiction. C'est une suite de sword and sorcery à Not long before the end qui, vous vous en souvenez certainement, était dans la course aux Hugos à Heidelberg.

     G. : Quelle est pour vous là grande distinction entre SF et fantastique ?
     L. N. : Dans la SF, vous ne pouvez dire que des choses concrètes et relatives au futur. Dans la fantasy, on ne peut dire que des choses universelles. On peut faire quelques erreurs dans une histoire de SF mais pas dans une histoire de fantasy. C'est un univers dans lequel on crée ses propres règles et il faut absolument les créer bonnes et cohérentes. Il y a dans la première version de Ringworld quelques menues erreurs scientifiques que j'ai corrigées dans la version suivante. Mais cela n'affecte en rien l'histoire et l'on peut très bien ne pas s'en apercevoir. Dans une autre de mes histoires, je traite du voyage dans le temps sur un mode typiquement fantasy. Le personnage principal ne le sait pas. Il rencontre des licornes et des serpents de mer qu'il traite logiquement, car il ne sait pas que ces animaux sont imaginaires. Il croit qu'ils sont seulement éteints sur Terre. Les chevaux qu'il avait vus dans des livres n'avaient pas de corne mais il se dit qu'on a dû la .leur couper parce que c'était trop dangereux.

     G. : Quand avez-vous commencé à écrire de la SF ?
     L. N. : Il y a huit ans environ, quand j'avais vingt-cinq ans.

     G. : Vous aviez lu de la SF auparavant, ou bien est-ce quelque chose qui est venu spontanément ?
     L. N. : Je lis de la SF depuis l'âge de douze ans mais je lisais en même temps les articles scientifiques des journaux.

     G. : Qu'est-ce que Ringworld, L'Anneau-Monde ?
     L. N. : Il y a deux idées principales dans Ringworld. La première concerne les pouvoirs psychiques et le célèbre Credo quia absurdum. Je ne crois pas moi-même aux pouvoirs psychiques. Teela Brown est un personnage très intéressant et très dangereux à l'intérieur du roman. L'autre idée est celle du monde circulaire lui-même. D'une certaine manière, c'est une sphère de Dyson, mais d'une autre, ce n'est pas du tout cela. Une sphère de Dyson est une coquille sphérique à l'intérieur de laquelle se trouve une étoile. Cette sphère est construite pour répondre aux besoins d'une civilisation technique très avancée ; la population augmente sans .cesse grâce aux progrès de la médecine. Une place de plus en plus grande est nécessaire. La solution est d'inclure une étoile dans une coquille sphérique. Mais il y a de nombreux problèmes ; il faut par exemple de nombreux générateurs de gravité permettant aux choses de tenir en place. Si l'un d'entre eux lâche, ce sera terrible : non seulement des milliards d'êtres humains seront projetés dans l'espace mais l'équilibre de toute la structure sera mis en danger. Le monde circulaire élimine la plupart des problèmes posés par la sphère de Dyson. Il n'y a pas besoin de créer de générateurs de gravité. Ceux-ci sont d'ailleurs possibles du point de vue de la physique actuelle mais, dans le cas de la sphère de Dyson, ils devraient avoir un diamètre égal à celui du système solaire. C'est évidemment complètement stupide. Le monde circulaire fait trois millions de fois la surface de la Terre. La sphère de Dyson est un milliard de fois plus grande que cette dernière. On peut bien sûr faire le monde circulaire plus grand mais le soleil en sera plus éloigné et la température variera en conséquence.

     G. : Comment avez-vous conçu vos personnages ainsi que les relations qui se créent entre eux ?
     L. N. : Ce processus a été très lent. Ringworld est la dernière histoire d'une série de nouvelles, de novelettes et de romans qui concernent les Marionnettistes. Ceux-ci existent depuis pas mal de temps et j'ai accumulé de plus en plus de détails à leur sujet.

     G. : Quels sont les principaux titres de la série des Marionnettistes ?
     L. N. : Neutron star, A gift from Earth, World of Ptaws, Ringworld. Ce qui fait trois romans et un recueil de nouvelles. Cela inclue également un certain nombre d'histoires non spatiales. Le personnage de Louis Wu apparut pour la première fois dans une nouvelle intitulée There was a time. Le Parleur-aux-Animaux est tout nouveau. Ils le sont tous d'ailleurs, à l'exception de Louis Wu, comme je viens de vous le dire. Oh ! non, Nessus est aussi plus ancien puisqu'il apparaît dans The soft weapon 1, une histoire qui se passe deux cents ans plus tôt. Ce qui fait que Nessus est très vieux.

     G. : Combien de temps vous a-t-il fallu pour concevoir et écrire ce roman ?
     L. N. : Chacun de mes romans m'a demandé deux ans. Evidemment, je ne passe pas tout mon temps dessus ; j'écris plusieurs choses entre-temps. Je crois aussi que mes romans deviennent de plus en plus importants et de plus en plus élaborés.

     G. : Et le World of Ptaws ?
     L. N. : Ce fut une de mes premières œuvres. C'était la troisième histoire que je vendais.

     G. : La première est The coldest place ? 2
     L. N. : Oui. Cette nouvelle fut d'ailleurs démodée dès sa parution puisque l'on venait de découvrir que Mercure tournait très légèrement sur lui-même. Elle parut dans If qui avait adopté la politique de publier un nouvel auteur chaque mois, ce qui était très bon pour les auteurs et les lecteurs. Ce fut également Fred Pohl qui publia World of Ptaws et me suggéra de le développer pour en faire un roman. Ce que je fis.

     G. : World of Ptaws appartient à la série des Marionnettistes mais ils n'apparaissent pas dedans...
     L. N. : C'est vrai, mais il n'y a pas non plus de voyages à des vitesses supérieures à celle de la lumière. En fait, je n'avais pas conçu cela comme une série à l'origine. Je ne m'en suis aperçu que plus tard ; j'ai alors compris que j'étais en train d'écrire une histoire du futur. Il y avait tellement de formes de vie, de plantes et d'animaux agréables que j'avais laissés de côté dans le World of Ptaws que je voulais écrire quelque chose à leur sujet. Les tournesols, une certaine forme de vampires, les bandersnatches...

     G. : Pour revenir à Ringworld, il me semble que vous auriez pu aller plus loin dans la description des relations des personnages, et plus spécialement Louis Wu et Teela Brown.
     L. N. : Franchement, je ne crois pas être très bon dans ce genre de choses. Je suis allé aussi loin que je le pouvais et que c'était nécessaire. Teela Brown est un personnage très particulier qui connaît tout du bonheur et rien de la douleur.

     G. : D'accord, mais les relations sexuelles...
     L. N. : C'est pareil, je ne crois pas être très bon dans ce genre de description. C'est vraiment quelque chose de très froid que de s'asseoir devant une machine à écrire et de décrire un acte sexuel.

     G. : Vous avez quelque chose contre la sexualité dans la SF ?
     L. N. : Je crois que Farmer est un grand pionnier pour avoir introduit le sexe dans la SF. C'est véritablement quelque chose qui avait besoin d'être créé. C'est toute une partie de la vie qui était systématiquement exclue de la SF et du marché des magazines en général. Voyez les histoires policières, par exemple ; ce domaine me semble plutôt mort pour l'instant. Revenons à Farmer. S'il veut continuer à être un pionnier, je crois qu'il doit continuer à aller là où personne n'est jamais allé. En attendant, il est presque devenu une parodie de lui-même. Et puis, écrire des histoires porno implique que l'on ne doit pas s'attendre à être suivi par le reste des écrivains de SF. Silverberg est incroyable, il devient sans cesse meilleur. Son of man 3 est le livre le plus extraordinaire qu'il ait jamais écrit. La sexualité dans la SF est vraiment l'invention la plus importante de ces dernières années. D'un autre côté, la propagande de gauche que l'on trouve actuellement un peu partout n'est rien du tout. Ces auteurs ne sont pas des conteurs. Personnellement, je respecte les hommes qui sont des conteurs, des hommes comme Robert Heinlein par exemple. C'est celui que je respecte le plus. Ballard n'est plus un conteur. Aldiss non plus.

     G. : Vous avez écrit dans Quark 4 de Delany et dans Dangerous visions de Harlan Ellison. Vous vous intéressez aux nouvelles techniques d'écriture ?
     L. N. : J'ai utilisé les techniques de la New Wave. Harlan m'avait dit que l'histoire la plus moderne que j'avais écrite se passait sur Pluton : le personnage central ne bougeait pas un seul muscle pendant toute la durée du récit.

     G. : Vous avez dit « utiliser » les techniques de la New Wave...
     L. N. : Je voudrais abandonner le terme de « New Wave » et prendre celui d' « écriture expérimentale ». J'ai fait beaucoup d'écriture expérimentale. Il y en a dans Ringworld avec le personnage de Teela Brown. Ce n'est pas une expérience de style mais plutôt de récit. Quand on parle d'écriture expérimentale, il faut bien se mettre en tête que l'expérience en question peut échouer. Autrement, ce n'en serait pas une. Quand l'expérience rate, je crois qu'il faut la jeter au panier. Ce qui se passe trop souvent maintenant, c'est que certains éditeurs veulent la publier, même si c'est raté. Dans une anthologie comme Quark, la plupart des choses sont des échecs ou des textes dépourvus de tout intérêt.

     G. : Vous n'avez pas écrit pour New Worlds. Pourquoi ?
     L. N. : Ça ne paye pas assez.

     G. : Mettons de côté le problème financier. Vous avez quelque chose contre leur politique d'édition ?
     L. N. : Oui, encore une fois, ça ne paye pas assez !

     G. : D'accord, mais si vous êtes payé autant que dans Galaxy...
     L. N. : New Worlds a acheté Bug Jack Barron 4 de Spinrad au tarif de 1/2 cent le mot (2,5 centimes). Au même moment, Galaxy payait 3 cents et moi-même étais payé 4 cents (15 et 20 centimes). Si je ne peux pas vendre une histoire à Analog, If, Galaxy ou F & SF, je me dis qu'elle ne vaut rien et je crois qu'il vaut mieux la jeter au panier.

     G. : Vous connaissez Moorcock ?
     L. N. : Je l'ai rencontré. C'est un homme étonnant et très sympathique. Mais il n'a pas assez de conscience artistique et je ne le respecte pas en tant qu'écrivain.

     G. : Vous ne croyez pas aux mouvements d'écrivains ?
     L. N. : II me semble que ces deux mots, « mouvement » et « écrivain », ne peuvent pas aller ensemble. Un écrivain qui se respecte ne peut pas aller avec le reste de la foule. Les plus grands écrivains tracent leur propre chemin. Et si quelqu'un les suit, qui cela intéresse-t-il ? Personne ne marche sur mes traces. Virtuellement, je suis le dernier des écrivains de la vieille vague. Il n'y a quasiment plus personne qui écrive de la SF où la science a la première place. Si quelqu'un veut me copier, je m'en moque totalement.

     G. : Avez-vous collaboré avec d'autres personnes que David Gerrold ?
     L. N. : J'ai écrit avec David Gerrold un long roman qui s'appelle The flying sorcerers 5. C'était d'abord une très longue nouvelle, parue en deux parties dans un magazine, à laquelle nous avons ajouté une suite pour la transformer en roman. J'ai travaillé avec Gerrold pour voir si cela serait bon. Je travaille également avec Jerry Prunnel sur un roman dont les deux tiers sont déjà écrits. Mais cela va très lentement. Une autre de mes histoires se présentait assez mal et je l'ai donnée à Hank Stine pour voir ce qu'il pourrait en faire. Il l'a sensiblement améliorée et elle s'appelle maintenant No exit 6. Mais personne n'en avait voulu pendant sept ans.

     G. : Comment travaillez-vous en collaboration ?
     L. N. : Cela dépend du collaborateur en question. Avec Gerrold, nous nous asseyons dans la même pièce et travaillons successivement à la machine à écrire en relisant ce que l'autre a fait quelques minutes avant. Avec Jerry Prunnel, c'est très différent. C'est une très forte personnalité et travailler dans la même pièce que lui serait comme être en présence d'une chaîne stéréo qui joue très fort. Nos aptitudes sont très différentes. Il peut faire ce que moi ne peux pas faire, et vice versa. Nous écrivons chacun à notre tour, chez nous, séparément. Lui, par exemple, peut très bien traiter des scènes de guerre ou des scènes comprenant des centaines de gens qui conversent dans une salle de bal. Moi, au contraire, j'excelle dans les extraterrestres ou les petits groupes d'individus. Il pense en terme de groupes et moi d'individus. Nous nous complétons parfaitement.

     G. : Vous pouvez dire quelques mots du roman que vous écrivez actuellement ?
     L. N. : Il y a cinq ans, j'ai écrit une novella de 30 000 mots concernant une race vivant près du cœur de la galaxie. Il s'agit d'êtres très forts, très intelligents, asexués, à la peau très rude. L'idée est qu'ils arrivèrent sur la Terre il y a environ deux millions d'années au moment où l'arbre de la vie se développait plutôt mal. Ils se transformèrent en êtres humains mais aussi en singes, en koalas, etc. Il faut environ 30 000 mots supplémentaires pour décrire le destin de ce protecteur et les autres problèmes qui se poseront à lui.

     G. : Quand ce roman sera-t-il terminé ?
     L. N. : Ce roman, que j'appelle Protector, devrait être terminé dans trois mois si j'ai vraiment l'occasion d'y travailler. Mais étant donné que je dois travailler sur le roman en collaboration quand je rentrerai chez moi, il ne sera pas terminé avant six mois environ. Il devrait donc être publié aux environs de Pâques 1973.

     G. : Que pensez-vous de l'utilité de la drogue pour un écrivain ou un artiste ?
     L. N. : Je ne crois pas que cela puisse vous donner un quelconque esprit inventif si vous ne l'avez pas déjà en vous. J'ai eu l'occasion de fumer de la marijuana mais je peux dire que cela n'a pas le moins du monde altéré mes facultés créatrices, ni en bien, ni en mal.

     G. : Vous pensez que l'écrivain de SF appartient à une sorte d'avant-garde ?
     L. N. : Pour moi, les meilleurs écrivains n'appartiennent à rien du tout. Un écrivain de SF doit être un innovateur, c'est tout. Que quelqu'un le suive ou non n'a aucune, importance. Je crois quant à moi que je marche sur les traces de Heinlein. Je tiens à le respecter ; c'est l'homme et l'écrivain que je respecte le plus. C'est dans ses livres que j'ai appris à écrire.

     G. : Vous croyez que la SF est utile à la marche du monde ? C'est en cela qu'elle serait une avant-garde...
     L. N. : Prenez un livre comme Future shock 7. Il démontre que la SF est la meilleure défense possible contre le futur. La SF peut habituer les hommes à l'idée que d'autres sociétés existent ; elle peut leur apprendre à évoluer avec leur temps au lieu de se laisser dépasser par le progrès et toutes les innovations techniques.

     G. : En conclusion, que pensez-vous de vous-même ?
     L. N. : Franchement, je suis assez satisfait de mes œuvres et je peux dire sans me tromper que je deviens sans cesse meilleur.



Notes :

1. L'arme molle, in Galaxie 88.
2. L'endroit le plus froid, in Galaxie Spécial 8.
3. Le fils de l'homme, à paraître au C.L.A.
4. Jack Barron et l'éternité, Ailleurs et Demain, Laffont.
5. En épisodes : Drôle de magicien, in Galaxie 96, 97.
6. Sans issue, in L'aube enclavée 3.
7. Le choc du futur (Laffont).

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