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Rencontre avec John T. SLADEK

Jacques GUIOD

Galaxie n° 102, novembre 1972

     JOHN T. Sladek est né en 1937 dans l'Iowa. Après de multiples mésaventures (divorce de ses parents, enlèvement par des bohémiens, etc.) il retrouva sa mère en 1951 à St Paul, Minnesota. Il fréquenta plusieurs lycées puis l'université du Minnesota où il obtint un diplôme de littérature anglaise. Il faut ajouter que Sladek est ingénieur, musicien et technicien. Il a évidemment pratiqué bon nombre de métiers : installateur de téléphones, plongeur dans un restaurant, cow-boy, lampiste, employé de bureau, fermier, assistant sur un accélérateur de particules, etc... Il vint pour la première fois en Europe en 1963 et regagna New York sept mois plus tard. Ce n'est qu'en 1965 qu'il s'est fixé définitivement à Londres où il habite maintenant le quartier de Portobello.


     Sladek a écrit un grand nombre d'histoires parues dans les magazines Région, Play-boy, Escapade, Tit-bits, Scène, Mademoiselle, Bizarre, Ellery Queen Mystery Magazine, Galaxy, F & SF, Amazing Stories et surtout New Worlds. Certains de ses textes apparaissent dans des anthologies telles que Dangerous visions de Harlan Ellison, The new SF de Langdon Jones ou les Best of New Worlds de Moorcock.

     Trois textes seulement de Sladek ont été publiés en français. Il s'agit de :
     — Rapport sur la migration du matériel éducatif (Fiction 191).
     — Le bébé dans la cuisinière (Galaxie 63).
     — L'homme qui dévorait les livres (Galaxie 89).

     Sladek a publié deux romans :
     — The reproductive System, paru pour la première fois en 1968 chez V. Gollancz et repris par Mayflower et par Ace Books sous le titre américain de Mechasm, devenu Méchasme en français.
     — The Müller-Fokker effect, publié chez Hutchinson en 1970.

     Plus un troisième, en collaboration avec Tom Disch :
     — Black Alice, paru en 1969 chez W.H. Allen et repris par Panther Books.

     Les autres œuvres de Sladek sont :
     — The big book of forms (non publié).
     — Enigma (en préparation).
     — The new apocrypha (essai sur les mythes modernes ; en préparation).
     — The steam-driven boy and other strangers (recueil de nouvelles à paraître chez Panther Books).
     — Disassembly instructions for the human body (recueil de nouvelles, non publié).


     G. : Pour quelqu'un qui, comme toi, écrit de la SF résolument moderne et se classe plutôt dans la lignée de Vonnegut, quelles sont tes influences ?
     J.S. : C'est assez dur à dire. A une période ou à une autre, j'ai essayé d'imiter un certain nombre d'écrivains, en commençant à l'âge de dix ans avec Albert Payson Terhune qui a écrit principalement des histoires de chiens. Je suis ensuite tombé sous l'influence de Joseph Heller, William Gaddis, Vladimir Nabokov, etc... Et à chaque fois, je ne faisais que de malheureux pastiches. Tu sais, je n'ai pas été un grand lecteur de science-fiction mais mes histoires préférées dans ce domaine sont certains textes assez impopulaires comme L'homme des foules d'Edgar Poe, Mr. Arcularis de Conrad Haiken, Le partenaire de Nathaniel Hawthorne et Construction logique de Howard Schoenfeld.

     G. : Tu ne cites aucun écrivain de la New Wave dans laquelle on te place ordinairement.
     J.S. : Je ne comprends pas très bien cette controverse existant entre une nouvelle et une ancienne vague de science-fiction. J'ai un peu l'impression d'être revenu au XIVe siècle et de retomber au milieu des discussions passionnées opposant les Homoiousiens aux Homoousiens ; ou bien encore d'une bataille entre Tweedledee et Tweedledum. Les bons écrivains continueront de produire des œuvres de qualité, quelles que soient leurs vagues ou leurs opinions politiques. Evidemment, cela me serait bien pratique de croire que toutes les bonnes histoires viennent d'écrivains de gauche comme Michael Moorcock, Langdon Jones, Thomas M. Disch, Jim Gwinn, Brian Aldiss, J.G. Ballard et compagnie. Il faut cependant faire la part du diable (ou de Dieu, dans le cas de la droite). Des réacs comme Poul Anderson ou Robert Heinlein ont écrit de très bonnes histoires et d'autres écrivains de leur bord en feront certainement autant dans le futur. Si je voulais jeter au feu tous les livres écrits par des conservateurs, je crains bien de devoir commencer par Un nommé Jeudi et Alice au pays des merveilles qui sont pourtant deux de mes livres préférés.

     G. : Puisque tu parles de suppression, que penses-tu de la fin de New Worlds sous format de magazine ?
     J.S. : En acceptant des histoires que les autres magazines de SF n'auraient pas pu ou n'auraient pas voulu accepter, New Worlds s'est livré pieds et poings liés à la furie des censeurs. New Worlds donnait leur chance aux écrivains non traditionnels. Ainsi qu'aux illustrateurs et aux photographes possédant le même genre de conception artistique. Un tel magazine ne se retrouvera plus, qui alliait à la qualité littéraire la hardiesse et une présentation originale. On peut chercher dans des dizaines de magazines américains de SF sans trouver une seule histoire originale. Tout compte fait, New Worlds était vraiment un succès et je crois bien que ses rivaux ne le comprendront jamais tout à fait.

     G. : Voyons d'abord tes deux romans personnels et ensuite celui que tu as écrit en collaboration avec Tom Disch. Commençons par Mechasm.
     J.S. : Il y a un tas d'histoires dans lesquelles l'humanité est asservie par un ordinateur gigantesque et monstrueux, une sorte de monstre sans visage et omniscient. Mais l'on n'a jamais su très bien pourquoi cet ordinateur avait besoin d'esclaves humains. Mon monstre personnel est une machine cellulaire auto-reproductrice qui ne s'occupe que de ses affaires et est plus ou moins ignorante de l'humanité. Le livre a une fin heureuse, puisque l'ordinateur se chargera de tout. Evidemment, j'ai voulu faire un livre humoristique. A la base, ce n'est rien d'autre que la vieille idée fasciste de faire partie de quelque chose de grand, de merveilleux et d'efficace. Nous avons tous en nous un petit peu de fascisme. Les passionnés d'OVNI regardent patiemment les étoiles en attendant l'arrivée d'une race maîtresse qui réduirait à néant nos misérables petits problèmes humains. Les communistes veulent que ce soit l'Histoire qui prenne le contrôle. D'autres abandonnent leur vie aux influences astrales, aux marchés économiques, à la science ou bien à Dieu. La plupart d'entre nous veulent, d'une manière ou d'une autre, être contrôlés. Certains cybernéticiens pensent que nous créons avec l'ordinateur une véritable race maîtresse.

     G. : Puisque tu t'intéresses à la cybernétique depuis quelque temps, que penses-tu de la robotique d'Asimov ?
     J.S. : Je m'intéresse particulièrement aux implications philosophiques de la construction d'hommes-machines. Il me semble bien qu'un robot du type Asimov, c'est-à-dire obéissant aux trois lois de la robotique, ne peut pas être construit. Il se peut aussi que des robots qui se comportent plus ou moins comme des hommes aient ipso facto une liberté de pensée. Les lois de la robotique sont, après tout, des lois éthiques et on pourrait fort bien dire qu'elles n'ont de signification et de valeur que pour des êtres qui peuvent leur désobéir. D'autres problèmes apparaissent si l'on considère comment l'espèce humaine pourrait envisager les nouvelles libertés et les restrictions créées par des contreparties mécaniques. Les robots seraient-ils nos esclaves, nos maîtres, nos assistants, nos amis, nos frères, nos soldats, ou encore nos ennemis ? Combien de temps leur faudra-t-il pour nous remplacer ? Ces questions sont sans fin mais toujours fascinantes.

     G. : La cybernétique tient aussi une grande place dans ton autre roman, The Müller-Fokker effect.
     J.S. : C'est un roman assez compliqué mais je vais essayer d'en faire un bref résumé. Un écrivain d'ouvrages techniques du nom de Bob Shairp est persuadé ou contraint de prendre part à une expérience où toutes ses données — non seulement physiques et génétiques, mais aussi la description complète de son état mental — sont enregistrées sur des bandes spéciales créées par le Dr. Müller-Fokker. Shairp est tué accidentellement pendant cette expérience. Le reste du roman raconte le voyage des bandes entre les mains de personnages aussi divers que le prédicateur évangéliste Billy Koch, le peintre cybernétique A.B., l'éditeur d'un magazine pornographique à la mode, Stagman, des généraux du Pentagone et bien d'autres personnages encore. L'effet dont on parle dans le titre signifie simplement que le personnage revit quand on passe la bande, sans d'ailleurs que les utilisateurs s'en aperçoivent ou le sachent. Quatre chapitres intercalaires montrent ses monologues introvertis, pseudo-Joyciens, fantomatiques. A la fin du roman, il y aura une tentative pour reconstruire Shairp à partir de ses bandes. Ajoutons seulement que cela se passe après les Grandes Emeutes de Washington.

     G. : Comment as-tu écrit Black Alice avec Tom Disch ?
     J.S. : Tom et moi avons travaillé sur ce livre par petits morceaux de 1965 à 1967. Ce n'est pas vraiment de la SF, c'est plutôt un thriller dans lequel nous avons ré exploré certains éléments de Moi, un noir et de De l'autre côté du miroir. Ce livre raconte l'histoire d'une petite fille blanche de onze ans, une héritière, qui est enlevée dans une ville du sud des Etats-Unis, déguisée en négresse et retenue prisonnière dans un bordel. L'intrigue est compliquée et met en scène des manifestants pour les Droits Civiques, le Ku Klux Klan, des flics sudistes et le FBI.

     G. : Comment vous êtes-vous répartis le travail ?
     J.S. : Tom a imaginé l'histoire dans ses grandes lignes et tracé les caractères principaux. J'ai ajouté personnellement des personnages mineurs et une certaine complexité dans l'intrigue. Après beaucoup de discussions, d'hésitations et de révisions du texte, nous l'avons terminé.

     G. : Tu as déjà collaboré avec Disch pour d'autres histoires.
     J.S. : Oui, cela fait à peu près une demi-douzaine de nouvelles, dont Danny's new friends from Deneb. Nous avons aussi écrit un roman gothique.

     G. : Il y a deux choses très importantes maintenant pour les jeunes auteurs de SF, en plus de l'engagement politique direct, c'est l'expérience communautaire et la drogue. Tu as déjà utilisé des drogues. Est-ce que cela a eu un effet sur tes idées ou sur ton écriture ?
     J.S. : J'ai utilisé des remontants, des amphétamines, des tranquillisants, du LSD, de la marihuana, de l'alcool et du tabac. Les seules drogues qui aient eu un effet sur ma production littéraire sont les amphétamines et le LSD. Mais je tiens à ajouter tout de suite que les effets des amphétamines ont toujours été négatifs ; cela accorde une importance encore plus grande aux pensées futiles. Quant aux quatre voyages à l'acide que j'ai faits, je dois dire que leurs effets sont plus potentiels que réels. Je sens toujours que je peux tirer de ces expériences mystiques une matière pour mes histoires (c'est d'ailleurs le même cas pour les rêves) mais je n'utilise que très rarement ces réservoirs d'inspirations. La marihuana et l'alcool ne sont que des jouets, vraiment. J'y joue de temps en temps. Mais le tabac a toujours été sans effet et je l'ai maintenant abandonné.

     G. : Et les communautés ?
     J.S. : Je crois que je les considère trop sérieusement pour désirer y vivre. Je veux dire que c'est vraiment la chose à faire mais que les gens y pénètrent sans se sentir concernés. Une communauté n'est pas simplement un endroit où l'on vit, elle est construite sur la vie même des gens et est inextricablement mêlée à des notions telles que la propriété ou la fidélité sexuelle. D'une certaine manière, une communauté brise (ou peut briser) des idées traditionnelles de propriété mais, d'un autre côté, elle peut créer des idées qui leurs sont très semblables. Dans le sens où l' « appartenance » à une communauté n'est pas nécessairement quelque chose de plus que l' « appartenance » à une épouse.

     G. : Des gens comme Dick, Spinrad ou Sturgeon vivent maintenant en communauté. Quelles sont donc leurs influences sur la SF ?
     J.S. : Je crois que la SF en tant qu'écriture est plus ou moins affectée par les étincelles qui jaillissent de différentes personnalités. Avec certaines personnes que je connais, Tom Disch et Palema Zoline, par exemple, je me sens presque toujours très bien et je peux exprimer des idées sans effort. Je crois que j'ai le même effet sur eux, du moins quelquefois.

Miami, USA Novembre 1971

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