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Une bibliothèque essentielle du space opera

Roland C. WAGNER & Pascal J. THOMAS

Bifrost n°35, juillet 2004

          Vous trouverez dans les prochaines notes de ce blogue 1 un choix d'œuvres allant de la naissance du space opera dans les années 1920 jusqu'à l'époque actuelle. Nous pensons qu'elles ont marqué l'histoire de la Science-Fiction, et elles figurent pour la plupart parmi les « classiques » de la Science-Fiction — un statut qu'il est néanmoins difficile de conférer aux textes les plus récents, dans la mesure où l'appellation en question reflète, au-delà de la qualité intrinsèque, la marque laissée dans l'histoire du genre. Nous prendrons cependant le risque, en raison du succès qu'ils ont rencontré et, dans certains cas, des imitateurs qu'ils ont déjà suscités, de mentionner Iain M. Banks, Dan Simmons, Vernor Vinge ou Alastair Reynolds, et quelques-uns des écrivains qui ont incarné le retour, tout d'abord dans les collections populaires aujourd'hui disparues, d'un space op' à la française : Ayerdhal, Laurent Genefort, Pierre Bordage, Jean-Marc Ligny, Alain le Bussy... Sans parler des auteurs qui, aux USA, réutilisent à leur façon le space opera : Rebecca Ore, Jeffrey Carver, Melissa Scott, Eleanor Arnason, etc., dont nous nous contenterons de citer les noms en attendant d'éventuelles traductions de leurs œuvres.

 

Frontières du genre
          En dressant une telle liste, nous dessinons ce que sont pour nous les contours du space opera. Pour qu'une œuvre relève du genre, à notre sens, il faut qu'un certain nombre de conditions soient réunies, dont la principale nous semble être la présence au moins potentielle du voyage dans l'espace, ne serait-ce que comme moyen de relier les multiples planètes oùs sont établies diverses civilisations, issues de différents rameaux de l'humanité ou carrément d'origine extraterrestre.

 

          Les civilisations en question peuvent commercer, guerroyer, communiquer, échanger leurs légendes... Un space opera réussi suscite chez le lecteur une impression d'immensité de l'espace et d'éternité du temps. Plus mystique que la moyenne de la Science-Fiction, le space op' se demandera parfois « Qui sommes-nous ? », mais plus souvent « Où allons-nous ? » ou « d'où venons nous ? ». On ne s'étonnera donc pas d'y rencontrer des Grands Anciens dont les civilisations disparues auraient tout inventé, et dont on aurait tout oublié, ou presque. Corollaire du sentiment d'infinitude : la longueur des œuvres, qui sont souvent — vous le constaterez dans les prochaines notes — des cycles de plusieurs romans et/ou nouvelles. Il faut prendre son temps pour visiter le vaste univers.

 

          Au regard de ces critères, nous avons exclu des textes souvent excellents. Les romans du cycle de l'Ekumen d'Ursula Le Guin 2 se concentrent sur l'étude sociologique des planètes abordées, et ignorent la démesure dans les conflits ; Robert Reed 3 voyage beaucoup, bagarre beaucoup, mais n'emploie pas le voyage dans l'espace ; Greg Bear, dans ces œuvres à l'incontestable démesure que sont Éon, Éternité 4 et Héritage 5, voyage un peu dans l'espace, beaucoup dans des géométries imaginaires, mais, en fin de compte, c'est surtout elle-même que l'espèce humaine rencontre. A contrario, nous nous sommes interrogés sur l'inclusion d'œuvres comme Les Navigateurs de l'Infini — qui ne vont guère que jusqu'à Mars, mais pour un premier contact profondément original — de J.H. Rosny aîné ou le cycle des Huit Mondes de Varley, dont les récits se déroulent souvent en chambre close... Le lecteur jugera et surchargera notre copie au crayon rouge, mais il nous semble que les œuvres exclues ou incluses de justesse marquent précisément les frontières du space opera.

 

          Un cas particulièrement intéressant est celui des aventures martiennes de John Carter, créé en 1912 par Edgar Rice Burroughs, le père de Tarzan. John Carter se transporte de la Terre sur Mars par des procédés plus mystiques que spatiaux, et vit sur place des aventures tout en duels au sabre et en voyage d'exploration. Burroughs a d'abord suscité des épigones, parfois aussi talentueux que Leigh Brackett, avant d'engendrer un courant que l'on peut baptiser « planet opera » : des récits avec en toile de fond un univers typique du space opera, dont les auteurs recourent à des mondes exotiques pour y situer leur action et déployer leur inventivité sociologique ou biologique. Marion Zimmer Bradley ou Anne MacCaffrey fournissent de bons exemples de cette tendance, dont Jack Vance reste sans doute le maître.

          Pour les œuvres récentes, disons à partir du milieu des années 1970, se pose de façon lancinante la question du pastiche : peut-on encore faire du space opera au premier degré, ou verse-t-on dans la parodie, le clin d'œil, voire l'échantillonnage sans vergogne, tel qu'il est si souvent pratiqué par notre culture populaire du tournant du siècle ? S'il est certain qu'il n'est plus possible de produire du space opera « naïf » ; si nombre de livres ont pu être conçus avec une intention commerciale ; si l'humour référentiel a depuis longtemps conquis sa place dans les étoiles, on ne peut pas refuser aux auteurs d'aujourd'hui d'employer un cadre vaste et bigarré, où ils peuvent situer toutes sortes de situations et de préoccupations, y compris celles, plus contemporaines, tenant à la nature de la réalité ou de la personnalité. De même que nous ne reprochons pas aux pionniers du space opera d'avoir allègrement pillé les conventions des récits d'aventures maritimes 6, de western ou de cape et d'épée !

 

Domaine anglo-saxon

 

          Dans les années 20, l'astronome Hubble découvre la nature des galaxies. Même si la nôtre a un diamètre de cent mille années-lumière, elle devient notre proche banlieue, comparée à l'immensité subitement dévoilée de l'univers. Aller jusqu'aux étoiles, c'est faire le tour du voisinage.

 

          E. E. « Doc » Smith
          Série des Fulgurs : Triplanétaire (Triplanetary, 1934), Le Premier Fulgur (First Lensman, 1950), Patrouille Galactique (Galactic Patrol, 1938) — Albin Michel « Science-Fiction ». Le Fulgur gris (Gray Lensman, 1940), Le Surfulgur (Second Stage Lensman, 1942), Les Enfants du Joyau (Children of the Lens, 1948), Les Maîtres du Vortex (The Vortex Blasters, 1942) — Albin Michel « Super Fiction ».
          Edward Elmer Smith est considéré aux USA comme l'inventeur du space opera ; il s'agit peut-être du premier auteur à avoir envoyé ses héros hors des limites du système solaire dans La Curée des astres. Malgré sa formation scientifique — le « Doc » se réfère à un diplôme de chimie — , ses descriptions de combats dans l'espace sont frappés du sceau de l'invraisemblance, faisant usage de force rayons tracteurs et écrans protecteurs qui s'effondrent l'un après l'autre sous les coups d'armes sans cesse plus dévastatrices. Il est le premier à pratiquer la surenchère dans la démesure, même si certains de ses successeurs sauront parfois faire preuve d'un peu plus de finesse.

 

          Edmond Hamilton
          Les Rois des étoiles (Star Kings, 1949), Retour aux étoiles (Return to the Stars, 1970) — J'ai Lu SF. Les Loups des Étoiles (The Weapon from Beyond, 1967 ; The Closed Worlds, 1968 ; World of the Starwolves, 1968) — Folio SF.
          Hamilton publie des space operas dans les pulps dès les années 30 — Hors de l'Univers, Les Voleurs d'étoiles (Opta) — mais son œuvre la plus connue, toujours dans le même style, est Les Rois des étoiles : un petit employé new-yorkais se retrouve dans le corps du prince héritier d'un empire galactique — aventures chevaleresques dans une société interstellaire, dont la technologie hyper-évoluée n'exclue pas des mœurs rappelant fortement le Moyen-Âge. Toutefois son chef-d'œuvre dans le genre qui nous préoccupe restera « Les Loups des Etoiles » : rarement l'archétype du corsaire de l'espace aura été aussi magistralement incarné que dans cette suite d'aventures nerveuses et débridées.

 

          Jack Williamson
          Ceux de la légion (The Legion of Space, 1934 ; The Cometeers, 1936 ; One Against the Legion, 1939) — Le 'Bélial.
          Si ses héros intrépides sortent tout droit des Trois Mousquetaires, si ses livres ne manquent ni de super-méchants inoubliables, ni de belles princesses, Williamson se fait le chantre d'une débrouillardise bien américaine quand il s'agit de sauver l'Univers à coups de bricolages pseudo-scientifiques. Le premier volume nous semble pouvoir être considéré comme un authentique archétype du space opera — le sense of wonder à l'état brut.

 

          A. E. Van Vogt
          Le Monde du Non-A (The World of Null-A, 1945), Les Joueurs du Non-A (The Pawns of Null-A, 1949) — J'ai Lu SF.
          La Faune de l'Espace (The Voyage of the Space Beagle 1943) — J'ai Lu SF.
          Les Fabricants d'armes (The Weapon Makers, 1943) — J'ai Lu SF. Onirique, friand de délires scientifiques, Van Vogt a transporté ses idées épistémologiques et politiques dans l'espace, à l'occasion de voyages d'exploration comme celui du Space Beagle — dont un des épisodes a inspiré le scénario d'Alien. Il en va de même dans ses fresques mouvementées, comme celle du Non-A, dont le deuxième volet se transporte dans un empire stellaire aux dimensions fabuleuses, ou celle des Armureries d'Isher, où il passe du time opera du premier volume aux enjeux galactiques et dynastiques du second, qui se conclut par la phrase inoubliable « voici la race qui va régner sur le sevagram », dernier mot d'autant plus chargé de mystère qu'il n'apparaît nulle part ailleurs dans le roman. On ne s'étonnera pas que ce maître du vertige éprouve parfois quelques difficultés à fournir des explications... disons satisfaisantes.

 

          Isaac Asimov
          Fondation (Foundation, 1942), Fondation et Empire (Foundation and Empire, 1945), Seconde Fondation (Second Foundation, 1950) — Denoël, « Présence du Futur ».
          Cailloux dans le ciel (Pebble in the Sky, 1950), Tyrann (The Stars Like Dust, 1951) — J'ai Lu, Les Courants de l'Espace (Currents of Space, 1952) — Pocket SF.
          Avec Asimov, le space opera devient intello : Fondation, récit de la chute d'un empire galactique inspiré par l'ouvrage de l'historien anglais Gibbons, The Decline and Fall of the Roman Empire, s'intéresse avant tout aux évolutions sociale et politique et se compose de nouvelles où l'essentiel de l'intrigue passe par les dialogues plutôt que par l'action. Même si le Mulet constitue une menace conséquente qui injecte une bonne dose d'intensité dramatique dans le deuxième volume, le personnage le plus mémorable du cycle demeure Hari Seldon, inventeur de la psychohistoire, qui n'est pourtant presque jamais présent physiquement. Les autres ouvrages signalés se situent dans le même empire avant son déclin. Par contre, on peut se dispenser des suites qu'Asimov a données dans les années 1980 au cycle de Fondation. Quant aux romans parus dans les années 1990 où Bear, Benford et Brin reconstituent la vie de Hari Seldon, on y voit ces auteurs engoncés et mal à l'aise dans un univers qu'ils n'ont pas conçu.

 

          Robert A. Heinlein
          L'Âge des étoiles (Time for the Stars, 1956), Citoyen de la galaxie (Citizen of the Galaxy, 1957), Le Vagabond de l'espace (Have Space Suit, Will Travel, 1958) — Pocket SF.
          Si l'Histoire du Futur — qui regroupe les textes les plus connus de Heinlein à ses débuts, comme Les Enfants de Mathusalem ou Les Orphelins du ciel — brosse un tableau de l'expansion de l'humanité dans l'espace, Heinlein n'a employé toutes les possibilités du space opera que dans ses œuvres pour adolescents, qui peuvent enchanter tous les âges. Dans Le Vagabond de l'Espace, vous êtes au collège et vous gagnez une combinaison spatiale d'occasion qui vous permettra de parcourir une galaxie dont vos aînés n'avaient pas la moindre idée. L'Âge des étoiles applique à la lettre le paradoxe de Langevin : des jumeaux sont séparés pour les besoins de l'exploration spatiale ; l'un d'eux reste sur Terre et vieillit pendant que l'autre, parti à bord d'un vaisseau-torche, profite de la contraction du temps lorsqu'on voyage à une vitesse proche de celle de la lumière. Cerise sur le gâteau non envisagée par Langevin, la raison de leur séparation est qu'ils sont capables de communiquer par télépathie. Citoyen de la galaxie, roman d'apprentissage, présente quant à lui différentes sociétés issues de l'éparpillement de l'humanité à travers l'espace.

 

          Clifford D. Simak
          Au carrefour des étoiles (Way Station, 1963) — J'ai Lu.
          Dans l'univers paisible et parfois mélancolique de Simak, le voyage dans l'espace est souvent relégué en arrière-plan — nous passerons pudiquement sur son médiocre premier roman, Les Ingénieurs du cosmos, qui conte des aventures spatiales typique des pulps. Au carrefour des étoiles est au space opera ce que la vie du gardien de phare est aux histoires de marins. Son protagoniste humain, qui vit seul à la campagne, est le « chef de gare » — immortel — d'une station de transfert interstellaire par où des extraterrestres transitent discrètement sur la Terre.

 

          Jack Vance
          La Geste des Princes-Démons : Le Prince des étoiles (The Star King, 1964), La Machine à tuer (The Killing Machine, 1964), Le Palais de l'Amour (The Palace of Love — 1967), Le Visage du Démon (The Face, 1979), Le Livre des rêves (The Book of Dreams, 1981) — Le Livre de Poche SF.
          Space opera (Space opera, 1967) Pocket SF.
          Si Space opera n'est qu'un roman mineur quoique distrayant racontant les tribulations d'un opéra ambulant qui essaye d'apporter la culture musicale terrienne à des mondes qui s'en passeraient bien, La Geste des Prince-Démons représente l'une des œuvres majeures de Jack Vance. Sa famille ayant été massacrée par un groupe de criminels connus sous le nom de Prince-Démons, Kirth Gersen traque ceux-ci à travers l'Aire gaïane pour venger les siens. Comme toujours chez Vance, cette quête est prétexte à une débauche de couleurs et de coutumes, dans un univers d'une grande richesse dont les divers mondes et peuples sont décrits avec un luxe de détails. Folklorique et aventureux en diable. Recommandé.

 

          Poul Anderson
          Marchands interplanétaires (Trader to the Stars, 1964) — Temps Futurs. Agent de l'Empire Terrien, La Caverne du ciel (recueils sans équivalent américain), Opta, « Galaxie-Bis ». Les Croisés du Cosmos (The High Crusade, 1960) — Folio SF.
          Dans Marchands interplanétaires, le commerçant Nicholas Van Rijn voyage dans l'espace pour la plus grande gloire du capital. Quelques siècles impériaux plus tard, l'espion et diplomate interstellaire, Sir Dominic Flandry, héros des nouvelles recueillies dans Agent de l'Empire Terrien, est un personnage que l'on n'oubliera pas facilement — il consacre tous ses efforts à empêcher l'Empire de s'effondrer. Ce ne sont que deux fragments d'une monumentale histoire du futur construite par Anderson, dont seule une petite partie a été traduite en France.. De leur côté, Les Croisés du Cosmos, des chevaliers médiévaux, ont la bonne fortune de s'emparer d'un vaisseau extra-terrestre pour aller exercer dans la Galaxie leurs talents guerriers. Réjouissant en diable.

 

          James Blish
          Les Villes Nomades : Aux Hommes les étoiles (They Shall Have Stars, 1954), Villes nomades (A Life for the Stars, 1962), La Terre est une idée (Earthman, Come Home, 1953), Un Coup de cymbales (A Clash of Cymbals — 1958) — Denoël, « Présence du Futur ». Semailles humaines (The Seedling Stars, 1956) — J'ai Lu SF.
          Dominée par l'image frappante de l'île de Manhattan navigant dans l'espace à l'intérieur d'une bulle d'énergie, le cycle des Villes Nomades aborde le space opera sous l'angle jusque-là inédit de l'économie ; comme les « Okies » des Raisins de la Colère, les Terriens, chassés par la misère de leur planète, vendent leurs services au gré de leurs pérégrinations, pour assister au bout du compte à la fin de l'univers. Blish, toujours curieux d'érudition scientifique, est également l'auteur de Semailles humaines propose une vision radicale de l'évolution de l'humanité à coups de mutations contrôlées qui préfigure Varley et Sterling.

 

          Cordwainer Smith
          Mêlant pensées chrétienne et chinoise, Cordwainer Smith occupe une place à part dans la Science-Fiction. Il dépeint un avenir lointain où des animaux « humanisés » vivent soumis aux hommes. Dans ce cycle de légendes du futur s'entrecroisent philosophie et poésie, compassion et monstruosité. Le traitement à la lisière du conte — voir les introductions de nouvelles comme « La dame aux étoiles » ou « Le bateau ivre » — vient renforcer une puissance visionnaire rarement égalée. Cordwainer Smith vous attire, vous implique peu à peu dans son univers, jusqu'à vous le faire partager et vous le rendre compréhensible. Un tour de force sans équivalent : dépaysement garanti.

 

          Gordon Dickson
          Série Dorsai : Necromant (Necromancer, 1962), Dorsai (The Genetic General, 1959), La Stratégie de l'erreur (Tactics of Mistake, 1971), Pour quelle guerre... (Soldier, ask not, 1964), L'esprit de Dorsai (The Spirit of Dorsai, 1979) — Opta, « Galaxie-Bis ».
          La planète Dorsai n'a à vendre que ses mercenaires. De leur condition, ils font leur gloire... L'ingéniosité de Gordon Dickson en matière de conflits futurs est incontestable, et il fait figure de père de la « military SF » — Science-Fiction belliqueuse, dont Lois McMaster Bujold est une représentante contemporaine et ô combien moins douée.

 

          Frank Herbert
          Dune (Dune, 1965), Le Messie de Dune (Dune Messiah, 1969), Les Enfants de Dune (Children of Dune, 1976), etc. — Pocket.
          Herbert a introduit l'écologie dans le space opera : point focal d'intrigues à l'échelle de l'empire galactique, la planète Dune retient l'attention par sa culture, inspirée de celle des Touareg et tout entière fondée sur la nécessité de conserver l'humidité. Paul Muad'Dib, héros de la résistance aux usurpateurs, arrive à prendre des dimensions messianiques. Néanmoins, le mélange de démesure épique et d'aphorismes sybillins qui frappent tant de prime abord a fini par s'user au fil des multiples volumes qui ont suivi, sans parler des divers préludes rajoutés après la mort de Herbert.

 

          Samuel Delany
          Babel 17 (Babel 17, 1966) — J'ai lu.
          Nova (Nova, 1968) — J'ai lu.
          Lorq von Ray désire plonger au cœur d'une nova pour y recueillir l'illyrion — métal transuranique nécessaire à la propulsion des astronefs — qui s'y forme. Il a pour allié La Souris, une sorte de vagabond des étoiles, et pour ennemi Prince Reed, tout aussi riche et puissant que lui-même. Mais derrière ce grand space opera se dissimule une allégorie — avouée — de la quête du Graal, et Jacques Sadoul, dans son Histoire de la Science-Fiction moderne compare à juste titre l'obsession de Lorq von Ray à celle du capitaine Achab de Moby Dick. Babel 17 comporte lui aussi plusieurs niveaux de lecture : le sujet du livre est moins la guerre spatiale qui oppose la Terre à de mystérieux envahisseurs que la nature du langage employé par ces derniers — un langage qui peut vous transformer en un ennemi de votre propre camp.

 

          Fred Saberhagen
          Série des Berserkers : 2 volumes (1967-1985) — L'Atalante.
          La guerre stellaire est finie depuis longtemps... mais les Berserkers, des vaisseaux robotisés, hantent toujours les profondeurs de l'espace, continuant à mener le combat contre les humains. La série aurait pu n'être qu'une chronique d'un déminage aux dimensions de la Galaxie, mais elle s'est hissée, au fil des récits, au niveau d'un combat mythique entre le vivant et le mécanique. Si Saberhagen n'a jamais été considéré comme un des « grands » de la SF, l'idée des Berserkers a exercé une influence sur des auteurs plus modernes comme Benford ou Banks.

 

          E. C. Tubb
          Série Dumarest : 32 volumes (1967-1985) — Vaugirard.
          Dumarest, « l'homme qui cherche le chemin de la Terre », voyage de monde en monde, affrontant le Cyclan dont les prêtres cyborgs cherchent à étendre sans cesse leur pouvoir. Une grande saga d'aventures riche en paysages extraterrestres et en sociétés baroques, que traversent des personnages féminins fascinants et attachants. Il est rare qu'une série aussi longue maintienne jusqu'au bout un tel niveau de qualité.

 

          Roger Zelazny
          L'Île des morts (Isle of the Dead — 1970) — J'ai lu.
          Le richissime immortel Francis Sandow, dernier survivant du vingtième siècle, est le seul être humain à être entré dans la confrérie des Faiseurs de Monde, dont tous les autres membres appartiennent à la race extraterrestre des Pei'ens. Des personnages de son passé ayant été ressuscités sur l'Ile des Morts, l'une de ses créations, il cherche à savoir qui en est responsable. Le roman s'achève sur un combat de divinités tout à fait impressionnant. Comme chez Delany, une lecture à plusieurs niveaux est possible, comme l'indique par exemple le nom donné aux extraterrestres, qui rappelle irrésistiblement le terme « païens ».

 

          Larry Niven
          L'Anneau-Monde (Ringworld — 1970), Les Ingénieurs de l'Anneau-Monde (Ringworld Engineers — 1980) — J'Ai Lu.
          La grande popularité de Niven dans le lectorat de SF n'a pas franchi l'Atlantique ; ces deux romans ne sont que deux des quelques fragments traduits de son univers du N-Space, peuplé de races exotiques telles qu'on en imaginait vingt ans avant, mais exploré avec une rigueur toute mathématique. Dans L'Anneau-Monde, des créateurs depuis longtemps disparus ont remodelé un système stellaire entier pour remplacer les planètes par un ruban de matière en orbite autour de son soleil. Démesure et hard science, donc.

 

          Piers Anthony
          Zodiacal (Macroscope — 1969) — Opta « Anti-Mondes ».
          Série Constellations : Silex ou le Messager (Cluster — 1977), Mélodie ou la Dame enchaînée (Chaining the lady — 1978), Hérald ou la Quête Kirlian (Kirlian Quest — 1978), Millétoile (Thousandstar — 1980) — L'Atalante.
          Zodiacal mêle hard science et astrologie dans un tourbillon qui ne laisse pas un instant le lecteur en repos. Ce roman énorme et ambitieux constitue une incroyable escalade dans la démesure, avec agrandissement perpétuel du champ en un impressionnant zoom arrière. Ne laissez pas échapper ce chef-d'œuvre méconnu si vous le voyez passer ; il procure un authentique sentiment de vertige. La série Constellations est elle aussi très intéressante, même si l'originalité y paraît un peu plus forcée que dans Zodiacal. Vous y rencontrerez quelques-uns des extraterrestres les plus bizarres jamais produits par la SF et vous y découvrirez leurs mœurs sexuelles tirées par les cheveux.

 

          John Varley
          Les Huit Mondes : Le Canal ophite (The Ophiuchi Hotline — 1977), Persistance de la vision (The Persistence of Vision — 1978) — Folio SF. Le Système Valentine (The Golden Globe — 1998) — Denoël « Lunes d'Encre ».
          Trilogie de Gaïa : Titan (Titan — 1979), Sorcière (Wizard — 1980), Démon (Demon — 1984) — Folio SF.
          Varley a étendu aux dimensions du système solaire une société très californienne dans sa recherche du plaisir, où l'on peut changer de sexe et de corps presque à volonté. Pourtant, l'espace reste toujours présent : la Terre étant interdite aux humains par des envahisseurs invincibles, il faut vivre dans des habitats artificiels sur Mars, la Lune ou les satellites lointains... et la technologie qui rend tout cela possible a été inspirée par les transmissions interstellaires reçues sur le Canal ophite.
          C'est dans la trilogie de Gaïa, située à l'intérieur d'un gigantesque artefact, que Varley se lance dans les aventures les plus débridées, qui ressemblent parfois à Indiana Jones revu et corrigé par Tex Avery. Mais il s'agit plutôt de planet opera. Varley est revenu aux Huit Mondes depuis quelques années ; Gens de la Lune témoignait de préoccupations plus tournées vers l'intérieur, mais sa suite Le Système Valentine est à nouveau un roman de voyage interplanétaire picaresque et de choc de cultures — et bien d'autres choses à la fois : exploration d'une psychologie désaxée, jeu éblouissant sur la culture cinématographique et shakespearienne...

 

          Gregory Benford
          Dans l'Océan de la nuit (In the Ocean of Night — 1978), A travers la mer des soleils (Across the Sea of Suns — 1984) — Denoël « Lunes d'Encre ». La Grande Rivière du ciel (Great Sky River — 1987), Marées de lumière (Tides of Light — 1989), Les Profondeurs Furieuses (Furious Gulf — 1994) — Le Livre de Poche SF.
          L'Ogre de l'espace (Eater — 2000) — Presses de la Cité.
          Chercheur en physique, Benford accorde une grande importance à la vraisemblance scientifique — ne pas le faire serait, selon lui, « jouer au tennis avec le filet baissé ». Pas question, donc, que les vaisseaux dépassent la vitesse de la lumière, et l'on ne sera pas surpris de le voir prendre la suite d'Arthur C. Clarke avec, par exemple, l'artefact mystérieux dont l'arrivée ouvre Dans l'Océan de la nuit. Si le deuxième volume constitue une suite au premier, il fournit aussi un cadre beaucoup plus vaste, celui d'une lutte galactique entre formes de vie organique et mécanique, qui se prolonge dans un futur beaucoup plus lointain au fil des ouvrages suivants, dont les protagonistes sont les derniers descendants d'une humanité largement mécanisée.
          Les autres romans majeurs de Benford concernent la vie des scientifiques dans un cadre contemporain, ce qui n'empêche pas les occasionnelles intrusions de l'espace profond : voir L'Ogre de l'Espace, où un envahisseur d'une nature extraordinaire bouleverse notre système solaire dans un futur très proche.

 

          David Brin
          Série de l'Élévation : Jusqu'au cœur du Soleil (Sundiver — 1980) — Le Livre de Poche SF. Marée stellaire (Startide Rising — 1983), Élévation (The Uplift War — 1987), Rédemption-1 : Le Monde de l'exil, Rédemption-2 : Le Monde de l'oubli (Brightness Reef — 1995), Rédemption-3 : Le chemin des bannis, Rédemption-4 : Les rives de l'infini (Infinity's Shore — 1996) Rédemption-5 : Le grand Défi (Heaven's Reach — 1998) — J'ai Lu.
          Malgré sa formation d'astrophysicien qui l'empêche d'écrire des absurdités sur le plan scientifique, David Brin a été l'un des artisans du retour du space opera naïf, bourré d'aventure et de foi en l'humanité. Dans l'univers de l'Élévation, toutes les races doivent leur accès à l'intelligence à l'aide d'une race mentor — sauf les Terriens, qui ont même poussé l'originalité jusqu'à devenir eux-mêmes des mentors en « éduquant » leurs alliés dauphins et chimpanzés. Et les peuples les plus anciens brûlent de faire payer leur insolence à ces parvenus... À ne pas prendre au sérieux, parfois trop long — le troisième volume — , parfois vraiment trop long et par trop gamin — les volumes suivants — mais terriblement amusant à ses meilleurs moments.

 

          Bruce Sterling
          Schismatrice+ (Schismatrix — 1985) — Folio SF.
          Annoncé par quelques nouvelles, ce roman explore sur une plus grande échelle un futur où l'humanité s'est séparée en deux factions : les Mécas se transforment en cyborgs, les Morphos ne jurent que par l'ingénierie génétique. Ils peuplent une étonnante variété d'habitats dans le système solaire, et luttent aussi bien sur le plan de l'intrigue politique que celui de la compétition économique, en se disputant les interventions des mystérieux extra-terrestres que l'on a appelé les Investisseurs.

 

          Dan Simmons
          Hypérion (Hyperion — 1989), La Chute d'Hypérion (The fall of Hyperion — 1990), etc. — Pocket SF.
          Auteur d'horreur avant tout, Simmons doit sa présence ici à une série dont l'étonnant premier volume, Hypérion, voit un groupe de pélerins de l'espace se rendre sur la planète éponyme où sévit le cruel et mystérieux Gritche, chacun ayant naturellement son propre but. Ce demi-roman, qui retrace la vie de chacun des voyageurs à travers une série de pastiches — chaque histoire adoptant un cadre bien différent au sein de la civilisation interstellaire humaine — , représente une si éblouissante démonstration que la déception n'en est que plus vive face au confus magma narratif de La Chute d'Hypérion, où le postmodernisme affiché de l'auteur apparaît pour ce qu'il est : une vaste opération de recyclage.

 

          Vernor Vinge
          Un Feu sur l'abîme (A Fire upon the deep — 1992) — Le Livre de Poche SF. Au tréfonds du ciel (A Deepness in the Sky — 1999) — Robert Laffont.
          Vernor Vinge est longtemps resté un auteur mineur dans l'ombre de son ex-épouse, Joan. Sa formation de mathématicien et informaticien lui a permis d'introduire des idées astucieuses, et son long récit « True Names » est considéré comme un des précurseurs les plus sérieux du cyberpunk. Après des romans de voyage dans le temps originaux, il a connu le succès (deux prix Hugo) avec deux romans situés dans un même univers galactique démesuré, où la difficulté de communication tient à l'abondance de l'information, où le voyage interstellaire sert à répandre la technologie via le commerce de la gratuité — on pense à Poul Anderson ou à James Blish. A noter, malgré des intrigues parfois un peu naïves, la création de races extraterrestres d'une grande originalité, comme les Meutes d'Un Feu sur l'Abîme, qui ne sont intelligentes qu'à partir de la réunion de quatre individus ressemblant à des chiens.

 

          Iain M. Banks
          Cycle de la Culture : Une Forme de guerre (Consider Phlebas — 1987), L'Homme des jeux (The player of games — 1988), L'Usage des armes (Use of weapons — 1990), Excession (Excession — 1996), Inversions (Inversions — 1999) — Le Livre de Poche SF. Le Sens du vent (Look to Windward — 2000) — Robert Laffont & Le Livre de Poche.
          Quand il signe Iain Banks sans initiale centrale, c'est un des jeunes auteurs les plus respectés de la littérature britannique, quand il ajoute le M., il pratique la SF avec une démesure qui serait parodique si elle ne lui avait valu un enviable succès commercial, faisant de lui l'un des pères du « nouveau space opera » d'Outre-Manche. La Culture, anarchie bienveillante pour ses citoyens, civilisation qui vit dans une telle abondance qu'elle a pu sans problème abolir la propriété privée, peu faire preuve d'un hégémonisme bien intentionné vis-à-vis des civilisations moins avancées qu'elle rencontre dans la Galaxie. Racontés avec une insolente débauche d'effets littéraires, les romans de la Culture de Banks se résument souvent à une idée force : toute guerre est aussi abominable qu'inutile. Au passage, l'auteur aura quand même aligné les récits de combats et les descriptions d'ahurissante technologie militaire. Et des pages d'humour et d'invention débridée. La formule est avouée, mais l'exécution si virtuose qu'on ne s'en lasse pas.
          On peut d'ores et déjà affirmer le statut de classique de Banks au vu des émules qu'il a déjà suscités ; le plus intéressant est sans doute Ken Macleod, un autre Écossais qui construit un futur anarchiste sur Terre et dans l'espace (et ne recule jamais devant une discussion de théorie politique entre ses protagonistes).

 

          Peter F. Hamilton
          L'Aube de la nuit (Night's Dawn — 1996-1999) — Robert Laffont & Pocket SF.
          Peter F. Hamilton donne sans contestation possible dans la démesure avec les quelques 3500 pages de cet énorme roman découpé en un nombre variable de volumes selon les éditions. Sur un thème assez bateau de fantastique horrifique — les morts reviennent pour posséder les corps des vivants — , il construit une saga interstellaire vigoureuse et pleine d'astuce dans un univers solidement construit, quoique parfois un peu simpliste sur le plan de la vision politique, qui recourt trop facilement aux analogies. Mêlant aventures, hard science et military fiction, Hamilton se range du côté du néo-classicisme plutôt que du post-modernisme, ce dont témoigne la sous-utilisation manifestement volontaire de morts célèbres parmi ceux qui réussissent à revenir ; mais peut-être n'est-ce qu'une manière de se démarquer de Philip José Farmer et de son Monde du Fleuve.

 

          Alastair Reynolds
          L'Espace de la révélation (Revelation Space — 2000), La Cité du gouffre (Chasm city — 2001), Diamond Dogs, Turquoise Days (Diamond Dogs, Turquoise Days — 2003) — Pocket SF. L'Arche de la rédemption (Redemption Ark — 2002) Le Gouffre de l'absolution (Absolution Gap — 2003) — Presses de la Cité.
          Cette saga, qui compte déjà cinq gros volumes en Grande-Bretagne, est un exemple parfait de space opera moderne — ni néo-classique, ni post-moderne. Pas de décor exotique à proprement parler : on n'est plus dans la littérature coloniale. Il y a bien des extraterrestres, mais ils restent énigmatiques, ou pire encore : ils sont morts. Quant à l'expansion, ce n'est ni une conquête, ni une aventure, mais un processus long et difficile. La Cité du gouffre, quoique censée être à la pointe de la civilisation, est presque détruite par une maladie qui s'attaque aux nanomachines ; les dauphins embarqués à bord des premiers vaisseaux — qui mettent des générations à atteindre leur destination — perdent la raison... Reynolds utilise des développements récents des technosciences, mais rien n'est simple, ni facile. Seul bémol : l'omniprésence de la guerre sans que l'auteur n'ait un discours sur ce qu'il semble considérer comme un élément intrinsèque de toute civilisation humaine, les conflits entre personnes étant à la base de presque toute l'intrigue — laquelle se déroule néanmoins à une échelle véritablement cosmique. Pour peu qu'on se soit laissé prendre par les deux premiers volumes, on veut savoir comment tout ça finira.

 

Domaine français

 

          Jean de la Hire
          La Roue fulgurante (1909) — Lattès.
          Un étrange OVNI avant la lettre emmène un groupe de Terriens dans un voyage autour du Système solaire. Dans une ambiance de roman populaire kitsch, ceux-ci découvrent les créatures peuplant les différentes planètes, dont les plus étranges et originaux sont certainement les Mercuriens monopèdes.

 

          J.H. Rosny Aîné
          Les Navigateurs de l'Infini (1925, 1960) — Rencontre.
          La première expédition pour la planète Mars découvre une race d'être vivants à trois pieds... et finit par faire souche sur la Planète Rouge ! La suite du récit n'a été publiée que lors de sa réédition en 1960. Un sommet d'étrangeté dans la SF française d'avant-guerre.

 

          Raymond de Nizerolles
          Les Aventuriers du ciel (1937) — Ferenczi.
          Comme dans La Roue fulgurante, les personnages y visitent les différentes planètes de notre système solaire ; néanmoins, le vaisseau a été cette fois-ci fabriqué par un savant génial — mais pas fou. Cette saga de plusieurs milliers de pages, publiée en fascicules, a fortement « inspiré » Richard-Bessière pour ses Conquérants de l'Univers qui ont inauguré, au début des années 50, la collection « Anticipation » du Fleuve Noir, laquelle a accueilli pendant un demi-siècle la majorité des space operas français.

 

          B.R. Bruss
          L'Enigme des Phtas (1965), La Planète introuvable (1968), Les Centauriens sont fous (1969) — Fleuve Noir « Anticipation ».
          B.R. Bruss, qui signa aussi Roger Blondel, est l'auteur de nombreux space operas qui se caractérisent par leur pacifisme. Prenant le contrepied des auteurs bellicistes qui sévissaient dans la collection, il ne décrit des conflits interstellaires que pour leur trouver une solution évitant en général le recours à la violence, comme dans L'Enigme des Phtas, où de mystérieuses modifications affectent les populations de diverses planètes situées dans le même secteur spatial, ou dans Les Centauriens sont fous, où un peuple extraterrestre envoûte les colons terriens du Centaure pour les dresser contre la Terre. Il sait aussi mettre sur pied des énigmes d'une dimension cosmique, comme celle qui est au cœur de La Planète introuvable : toutes les expéditions qui ont exploré la planète Brull en ont fourni une description radicalement différente. La mission est envoyée afin de percer ce mystère découvrira qu'il s'agit du même monde, mais pas à la même époque !

 

          Richard-Bessière
          Visa pour Antarès (1963), Série Dan Seymour : 10 volumes (1966-1974), Les Marteaux de Vulcain (1969) — Fleuve Noir « Anticipation ».
          Si l'œuvre abondante de Richard-Bessière emploie beaucoup le voyage dans l'espace, le space opera proprement dit n'y occupe qu'une place modeste. En effet, seuls quelques titres isolés — comme Visa pour Antarès — et les aventures de Dan Seymour, l'Agent spatial n°1, prennent la peine de développer un cadre authentiquement cosmique, même si chaque titre est en général consacré à la description d'une seule planète. Le meilleur volume de la série est sans doute Les Prisonniers de Kazor, avec ses méchants extraterrestres au mode de reproduction insensé, mais Cauchemar dans l'Invisible ou La Loi d'Algor — aux accents de fantasy — ont aussi leur part d'originalité. Les Marteaux de Vulcain, qui se déroule a priori dans le même univers, même si Seymour n'y apparaît pas, conte une expédition tragique sur un monde hostile ; le pessimisme de Richard-Bessière y atteint des sommets.

 

          Stefan Wul
          L'Orphelin de Perdide (1958) — Fleuve Noir « Anticipation ».
          Adapté à l'écran dans les années 80 sous le titre Les Maîtres du Temps, ce court roman d'aventures est peut-être le chef-d'œuvre de son auteur. Avec ses personnages modelés dans la glaise dont on fait les archétypes et ses décors aux vives couleurs servis par une narration jubilatoire, il constitue une sorte de quintessence du space opera d'aventures français des années 50 et 60. La puissance d'évocation de Wul y atteint de tels sommets que l'on oublie de prêter attention aux imperfections de l'intrigue.

 

          Charles & Nathalie Henneberg
          Le Chant des astronautes (1958) — Le Masque « Science-Fiction ». La Plaie (1964), Le Dieu foudroyé (1976) — L'Atalante. Démons et chimères (1977) — Le Masque « Science-Fiction ».
          Les membres de ce couple aujourd'hui bien oublié sont les auteurs, ensemble ou séparément, de quelques-uns des plus grands space operas des années 50. Le Chant des astronautes, paru sous la seule signature de Charles, décrit une de ces guerres totales et grandioses dont le genre raffole, avec une riche galerie d'extraterrestres. La Plaie — publié après la mort de Charles sous le seul nom de Nathalie — , énorme roman épique à l'écriture pleine d'emphase et de préciosité, embrasse un espace immense et atteint par moment une dimension quasi métaphysique. Le Dieu foudroyé, qui lui fait suite, est moins intéressant. Quant à Démons et chimères, il s'agit d'un recueil de nouvelles dont les titres parlent seuls : « La fusée fantôme », « Du fond des ténèbres ». À redécouvrir.

 

          Francis Carsac
          Ceux de nulle part (1954) — Opta « Club du Livre d'Anticipation ». Pour Patrie l'Espace (1962) — Pocket. La Vermine du lion (1967) — Fleuve Noir « Lendemains Retrouvés ».
          Une demi-douzaine de romans et une poignée de nouvelles suffisent à en faire le maître du space opera français de l'après-guerre. Ceux de nulle part, en dépit de son côté désuet, est un fort bon space opera d'aventures, imaginatif et fouillé sur le plan scientifique. Les Misliks éteignent les étoiles ; seuls les Terriens peuvent les arrêter. Pour Patrie l'Espace décrit la vie à bord des immenses vaisseaux qui relient entre eux les mondes habités. Comme dans Citoyen de la Galaxie, les équipages de ces navires mènent une existence indépendante et l'on peut même dire qu'ils ont développé une civilisation propre. La Vermine du lion, enfin, se préoccupe de colonialisme et d'ingénierie génétique. La lutte de Teraï Laprade et de son paralion contre la mise en exploitation de la planète Eldorado est menée tambour battant, prouvant que le space opera constitue le genre idéal pour qui choisit de traiter de politique sur une trame de roman d'aventures. Disons qu'il s'agit d'un chef-d'œuvre et n'en parlons plus.

 

          André Ruellan (sous le pseudonyme de Kurt Steiner)
          Aux armes d'Ortog (1960) — Pocket.
          Célèbre pour ses romans d'horreur, parus dans la collection « Angoisse » (Fleuve Noir), son fameux Manuel du Savoir-Mourir ou ses ouvrages spéculatifs publiés sous son véritable nom, il livre avec Aux armes d'Ortog un roman baroque, épique et flamboyant, dont le vernis médiéval dissimule une intrigue de nature « cosmobiologique ». Peut-être un tantinet imparfait — mais quel souffle ! Nous recommandons également sa suite, Ortog et les Ténèbres (1967), bien qu'elle se situe hors du cadre de cet article — il s'agit d'un fort curieux livre de fantasy métaphysique à quatre dimensions.

 

          Gérard Klein
          Le Gambit des Etoiles (1958) — NéO.
          Saga d'Argyre : Le Rêve des Forêts (1960, 1987), Les Voiliers du Soleil (1961), Le Long Voyage (1964) — J'ai lu, Le Sceptre du Hasard (1968) — Pocket.
          Ici, l'empire galactique s'effondre sous son propre poids : Le Gambit des Étoiles prend en compte le fait que les décalages temporels induits par les voyages à des vitesses inférieures à celle de la lumière rendent impossible tout état interstellaire centralisé. Mais il sait aussi s'élever jusqu'à un niveau métaphysique lorsque la véritable nature des étoiles se dévoile...
          Publiée à l'origine au Fleuve Noir sous le pseudonyme de Gilles d'Argyre, la saga du même nom constitue une petite histoire du futur. Le Rêve des Forêts (paru sous le titre originel Chirurgiens d'une planète) conte la terraformation de Mars, l'eau et l'air étant transportés depuis la Terre grâce à une porte dans l'espace. Dans Les Voiliers du Soleil, Georges Beyle, principal personnage du premier volume, est devenu partie intégrante d'un gigantesque ordinateur luttant contre des envahisseurs extraterrestres. Le Long Voyage voit la planète Pluton transformée en astronef interstellaire. Enfin, Le Sceptre du Hasard, qui n'est pas un space opera bien qu'il se rattache au cycle, décrit une société dont le dirigeant suprême, le stochastocrate, n'est pas élu ou coopté, mais désigné par un tirage au sort auquel participe la totalité de la population.

 

          En France, le genre va peu à peu s'étioler au cours des années 1970 sans produire d'œuvre marquante, malgré une tentative intéressante de Jean-Pierre Hubert (Planète à trois temps — Opta) et quelques bons romans d'aventures signés J. & D. Le May, Jan de Fast, P.-J. Hérault ou Gilles Thomas, avant de pratiquement cesser d'exister au cours de la décennie suivante où seuls quelques habitués du Fleuve Noir le pratiquent encore. Curieusement, c'est lors de cette période qu'il connaît son renouveau aux USA, comme on a pu le voir plus haut. Avec un temps de décalage, les auteurs français vont redécouvrir les joies de l'espace profond.

 

          Ayerdhal
          La Bohême et l'ivraie (1990) — Fleuve Noir.
          Mytale (1991) — J'ai Lu.
          Étoiles mourantes (avec Jean-Claude Dunyach, 1999) — J'ai Lu.
          Qu'il situe ses romans sur Terre ou dans l'espace, Ayerdhal écrit une SF profondément politique, toute impliquée dans les luttes de pouvoir, et surtout pour se débarrasser des oppressions, économiques ou puritaines. Ses héros défendent les valeurs naturelles et les droits des peuples autochtones, utilisent l'art comme une arme (La Bohême et l'ivraie), ou changent de sexe à volonté (L'Histrion, Sexomorphoses). Sa plus grande réussite dans le domaine qui nous intéresse est peut-être Mytale, un planet opera inventif et plein d'action qui fait la part belle aux pouvoirs parapsychiques. Quant à l'épais Étoiles Mourantes, qui reprend et prolonge l'univers créé par J.-C. Dunyach dans Étoiles mortes (Fleuve Noir), il souffre quelque peu de l'ampleur du projet esquissé, sans doute impossible à achever avec la même ambition.

 

          Pierre Bordage
          Les Guerriers du silence (1993), Terra Mater (1994), La Citadelle Hyponéros (1995) — L'Atalante.
          Du point de vue romanesque, Bordage reprend là où Edmond Hamilton s'est arrêté : ses sociétés planétaires sont calqués sur celles du Moyen-Âge ou de la Renaissance, avec un rôle particulièrement peu reluisant dévolu aux prélats, et de jeunes héros au cœur pur. Le plus de l'œuvre c'est, outre un incroyable souffle de conteur, la conviction mystique qui emporte tout le cycle.

 

          Laurent Genefort
          L'Opéra de l'espace (1996) — Fleuve Noir.
          Omale (2001), Les Conquérants d'Omale (2002), La Muraille sainte d'Omale (2004) — J'ai Lu.
          Considéré à ses débuts comme un honnête faiseur — mais il a commencé très jeune ! — , Genefort a su mûrir et imposer progressivement sa vision, construisant un univers coloré, peuplé de races les plus diverses et sillonné par les traces de Grands Anciens — ici, les Vangk, qui ont laissé des Portes dans l'espace permettant les voyages les plus extraordinaires. Genefort, qui a un vrai talent pour l'image, rappelle parfois Stefan Wul dans ses meilleurs moments. L'Opéra de l'espace — cet article ne pouvait ignorer pas plus ignorer ce titre que Space opera de Jack Vance — suit le périple aventureux d'une troupe de chanteurs d'opéra qui, pour survivre, doivent se faire aventuriers autant que saltimbanques. Sa création la plus remarquable à ce jour est Omale, un monde gigantesque dont on devine assez vite qu'il s'agit d'une sphère de Dyson, dont les habitants ont cependant le sang nettement plus chaud que les personnages de Larry Niven.

 

          Roland C. Wagner
          Le Chant du cosmos (1999) — L'Atalante.
          Le co-auteur de cet article — mais pas des lignes qui suivent, naturellement — a effectué quelques sorties dans l'espace extérieur au début des années 1990, avec Cette Crédille qui nous ronge (Fleuve Noir), premier essai de planet opera pacifiste, ou le facétieux Les Psychopompes de Klash (récemment réédité sous le titre Aventuriers des Étoiles (Mnémos) en compagnie de sa suite parue en feuilleton dans Bifrost), mais son space opera le plus achevé reste Le Chant du Cosmos et son avenir d'où la guerre et la violence ont quasiment disparu. Quasiment : comme dans les histoires de robots d'Asimov, où il y a intrigue seulement lorsque les lois de la robotique sont ou semblent être prises en défaut, il est nécessaire — pour l'auteur — de préserver des poches de violence. La description de la planète Éden, qui joue ici le rôle d'un de ces isolats, est un des grands moments du livre : terrés au fond de bunkers souterrains, les Édéniques ne montrent jamais leur vrai corps en public, et n'envoient en surface que des clones téléguidés (on pense aux Clans de la Lune Alphane, de Philip K. Dick) exposés aux mille morts d'un monde où chacun est en guerre perpétuelle avec tous les autres. Avec sa structure pastichant le roman sportif, Le Chant du Cosmos emmène en balade lecteur et protagonistes, surprend à plus d'un tournant, et met en jeu — c'est le cas de le dire — le sort de l'univers.

 

          Pour conclure, nous citerons un ouvrage en langue russe d'Ivan Efremov, La Nébuleuse d'Andromède (Éditions du Progrès, Moscou) l'anthologie Cor Serpentis (Éditions de Moscou), qui permettront au lecteur de se faire une idée de l'approche du space opera par les auteurs soviétiques. Et cette liste ne serait pas complète sans L'Invincible (Pocket), du Polonais Stanislas Lem, qui présente un traitement du genre à contre-courant des tendances dégagées ci-dessus.

 

          L'année indiquée après le titre original est celle de la première parution. Dans le cas d'une prépublication en magazine, la date donnée est celle correspondant au dernier épisode. L'édition française signalée est la plus récente.

Notes :

1. Cet article est tiré du blog Génération SF [note de nooSFere]
2. La Main gauche de la nuit, Les Dépossédés (Pocket)
3. La Voie terrestre (Robert Laffont).
4. Le Livre de Poche.
5. Robert Laffont.
6. Michel Pagel, dans La Sirène de l'Espace (Fleuve Noir), a tenu à expliciter sur un mode ironico-nostalgique cette adaptation à l'espace de la mythologie de la navigation à voile.

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Thèmes, catégorie Space Opera
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