|
Albert Chamisso est un employé modèle des Assurances Générales. Peu de temps après son mariage, d'étranges cauchemars l'assaillent et l'obligent à consulter un médecin. Les cauchemars disparaissent, mais son ombre lui en fait voir de toutes les couleurs… | |
Les cités obscures sont décidément une série dans laquelle les albums se suivent et se ressemblent tout en étant profondément différents ! Il est en effet exceptionnel d'avoir une telle homogénéité dans l'ambiance, alors que le thème, le style narratif et les choix graphiques sont différents...
Ici, les auteurs ont choisi de mettre en scène un conte fantastique très simple, d'une pureté quasiment cristalline... Il s'agit d'une histoire d'un grand classicisme, dans laquelle un homme est confronté à ses cauchemars puis à son double "malfaisant", sa propre ombre... Schuiten peut ainsi jouer avec les diverses possibilités graphiques qu'offre ce thème (jeux de miroirs, jeux d'ombres...), et le personnage en vient à s'examiner dans un miroir qui lui renvoit l'image de son ombre...
La signification de ces jeux, sorte de mise en abyme où le personnage se cherche, réside bien sûr au fond de son être. Seule une analyse psychologique pourrait sans doute nous donner toutes les clés de l'étrange maladie qui frappe cet obscur employé, dont le récent mariage est, sous un dehors souriant, un fiasco, et dont le métier nécessite une malhonnêté ordinaire difficile à assumer... L'anomalie disparaîtra d'ailleurs lorsque le personnage sera enfin épanoui.
En plus du thème du double, L'ombre d'un homme aborde celui de la différence. Au contraire d'Elephant Man, Albert, s'il est aussi contraint de se dissimuler et de se marginaliser, ne pourra évoluer que lorsque lui-même aura accepté sa différence. C'est à ses propre yeux qu'il est un monstre, davantage qu'aux yeux des autres, et la culpabilité n'est sans doute pas étrangère à l'étiologie de son affection...
Les auteurs auront décidément souvent traité le thème de la maladie. Il peut s'agir de la maladie d'un homme (Brüsel) ou d'une ville (La fièvre d'Urbicande), ou encore, comme ici, d'anomalies étranges (L'enfant penchée). Ces bizarreries semblent finalement davantage refléter des affections de l'âme, et les paysages urbains mégalomanes paraîssent être davantage une représentation mentale de la folie humaine.
La qualité des dessins est à nouveau exceptionnelle et l'utilisation de la couleur est remarquable, bien plus importante que dans les albums précédents. Schuiten a d'ailleurs dit avoir pour cet album commencé par appliquer la couleur avant le trait, inversant le processus habituel.
En fonction de sa sensibilité, on pourra être enthousiaste ou détester, mais il s'agit indéniablement d'un album fort, dans une série magnifique, l'une des plus inventives et probablement celle qui se prête le plus à des interprétations multiples, grâce à ses inquiétantes étrangetés.
Pascal Patoz nooSFere
| |
|
.
|