Étoile se veut une relecture très libre des personnages créés par Alexandre Dumas dans Les Trois Mousquetaires. Nous ne serons donc pas étonnés d'y trouver une histoire sans grand rapport avec celle du roman : le jeune d'Artagnan, arrogant et très porté sur les femmes, est élevé par une mère qu'il méprise depuis la mort de son père, un mousquetaire tombé en disgrâce. C'est par hasard qu'il découvre le corps d'une jeune femme, Constance, flottant dans une rivière ; cette dernière va lui apprendre qu'elle est poursuivie par un mousquetaire vêtu de rouge missionné pour récupérer une « astrate », une « pierre d'étoile » qui, incrustée dans une épée, lui confère un pouvoir particulier. Dans Étoile, chaque épée est ainsi placée sous la protection d'une étoile (un « truc » scénaristique courant dans les mangas : cf. Hokuto No Ken ou Saint Seiya). Les combats d'escrime sont ponctués d'attaques secrètes, et un combattant peut fort bien faire appel à une nuée de corbeaux pour assaillir son adversaire, ou provoquer des mirages pour tromper l'ennemi.
Bon. Pour mémoire, rappelons que le chef-d'œuvre de Dumas s'ouvre sur le départ de d'Artagnan vers Paris, avec en main une lettre de recommandation signée par son père, ancien ami du capitaine des mousquetaires. Fier et fougueux, d'Artagnan reste cependant assez éloigné de la tête à claques qui nous est présentée ici. Soyons francs : seuls les noms des personnages entretiennent un quelconque rapport avec l'histoire de Dumas, ainsi qu'un sous-texte érotique assez présent (bien moins « fin » que dans le roman, à tel point qu'on frôle souvent la vulgarité), ou encore le départ du héros vers Paris, et l'adversité opposant les mousquetaires du roi à ceux de Richelieu. Les inconditionnels du roman — dont je suis — crieront sans doute au sacrilège en découvrant une Constance sans aucun rapport avec la servante d'Anne d'Autriche, ou en voyant le cheval de d'Artagnan (rebaptisé Rossinante, nom du cheval de... Don Quichotte ! ) piquer un sprint infernal (alors qu'à l'origine, d'Artagnan possédait une vieille carne à robe jaune 1).
La relecture de l'histoire ou d'un classique de la littérature française en manga n'est pas une première ( Le Chevalier d'Éon, Jeanne d'Arc, Pierre le Mercenaire...) et le résultat s'avère toujours surprenant par sa modernité, son originalité et son audace. Étoile ne fait pas exception à la règle, même en ayant recours aux grosses ficelles du genre et en s'éloignant considérablement du matériau d'origine. Nous sommes donc bien dans un manga : un personnage principal androgyne et arrogant, une jeune femme innocente placée dans les situations les plus cocasses, un méchant cruel et sadique, des combats rythmés à la manière d'un jeu vidéo... On regrettera simplement des situations et des dialogues parfois puérils, tout en admirant un dessin vraiment sublime, sans doute l'un des meilleurs jamais vus dans un manga.
Au final, Étoile est donc un sacré coup de cuissarde donné au roman d'Alexandre Dumas (qui reste malgré tout très moderne dans sa forme) mais, après tout, les classiques sont faits pour cela... Dommage que son manque de succès ait restreint sa parution à deux tomes seulement.
Notes : 1. Mais peut-être s'agit-il d'un clin d'œil à cette phrase de l'auteur : « Et cette sensation avait été d’autant plus pénible au jeune d’Artagnan (ainsi s’appelait le don Quichotte de cette autre Rossinante), qu’il ne se cachait pas le côté ridicule que lui donnait, si bon cavalier qu’il fût, une pareille monture ; aussi avait-il fort soupiré en acceptant le don que lui en avait fait M. d’Artagnan père. »
Florent M. 27/06/2009
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