Lomm est une bande dessinée abjecte qui force le respect. Quelque chose comme l'Orange Mécanique du 9ème art. Sur une Terre qui semble avoir connu un grand désastre, les pulsions archaïques règnent : se défendre, trouver à manger, se reproduire. Une race humanoïde s'est assurée une place en haut de l'échelle des prédateurs par des instincts particulièrement agressifs. La morphologie de cette race est variable : les mâles dominants ont des ailes, et les autres sont dits « sauteurs » en raison de leur habilité à la course. Les hauteurs de l'arbre géant où vit cette race, un arbre aux branches nues, symbolise bien la sécheresse spirituelle de cet univers ; en bas, la jungle grouillante de proies et de prédateurs. Le graphisme est à l'unisson : ligne claire, lumière plate, des cieux délavés. Une saison froide et sèche d'un bout à l'autre, interrompue seulement tous les ans par une saison d'orages de cendres, sans doute celles du monde ancien. Lomm est un rejeton de la race. Sa maman est belle comme un alien. Son père, Kral, est un mâle redouté. Il décide de ne pas éliminer Lomm à la naissance, malgré l'aspect peu engageant du petit : il ressemble aux humains, une race débile qui rampe dans la jungle. Sur quoi son père part bientôt fonder un nouveau nid avec une autre femelle. TBC nous fait entrer dans cet univers darwinien par le récit de l'apprentissage de Lomm, scandé d'épisodes épouvantables. Lomm apporte un peu de candeur dans cet univers asphyxiant. De candeur, mais pas de sentimentalisme. Voir la conclusion terrassante de ce premier volet. Cette histoire est frappée au sceau de la désespérance la plus radicale. La pensée, le rêve, la morale ne sont plus que des cendres, et ne subsiste que la pulsion nue. La réussite de l'oeuvre est de produire un récit d'une violence froide très dérangeante, sans l'adoucir par la sentimentalité ou verser dans les effets complaisamment horribles. Un récit sur le fil du rasoir. Apre poésie des temps modernes, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle est décapante. Du haut de son arbre Lomm voit une lueur par-delà les collines. Y a-t-il là-bas un secret à découvrir ? Ou l'espoir d'une vie meilleure ? Le récit prendra-t-il alors une dimension épique supplémentaire dans les épisodes à venir ? Il faut souhaiter en tous cas que TBC arrive à maintenir la rigueur du premier tome, car il pourrait bien nous offrir une des oeuvres majeures de la BD contemporaine.
Sylvain Fontaine nooSFere 05/11/2003
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