Une étrange silhouette se profile sur le faîte des toits. C'est un homme jeune avec une tête... de hibou.
Le récit nous ramène quinze ans plus tôt, dans un royaume en liesse. Le couple royal vient de donner naissance à un héritier. Les fêtes se succèdent et des plans pour l'avenir s'esquissent. C'est la nourrice qui est confrontée, la première, à l'horreur de l'événement. Le jeune prince a pris la tête du corbeau venu se poser sur le bord de la croisée. C'est l'effondrement. La reine parle de malédiction et le roi de sort jeté. L'enfant prend la tête des animaux qu'il regarde en face.
Le frère du roi fait venir les médecins attachés au palais et impose le secret sur la situation. Le prince sera enfermé dans sa chambre, veillé par la reine. Les médecins sont exécutés.
Les années passent. Le jeune homme a reçu une éducation, donnée par un moine, à travers un judas. Tous les miroirs ont été supprimés et il est servi dans une vaisselle en bois pour éviter tout reflet. Mais l'habitude est source de relâchement. Un jour c'est sur un plat en métal qu'on lui sert sa nourriture. Il découvre son apparence, sa tête de chat, le dernier animal qu'il avait regardé. Il brise son environnement et s'enfuit... Mais quelle quête peut-il mener ? Comment vivre et exister dans la société avec un tel handicap ?
Michel Rodrigue renoue, dans cet album, avec la veine féerique. Il brosse un conte sur la différence, proposant la vision de l'entourage qui ne veut pas l'accepter et cache la réalité, puis celle de l'individu qui doit assumer cette transformation. C'est lors de discussions avec René Hausman, de qui il est très proche, que l'idée de ce scénario lui est venue. Il tenait à satisfaire la passion de celui-ci pour le dessin animalier et son attrait pour les contes. En concoctant cette histoire, qui semble issue des temps anciens, où le héros porte une tête d'animaux variés dans une atmosphère fantastique, il ne pouvait que combler les vœux du dessinateur. Le scénariste s'est amusé à glisser, dans le récit, nombre de références à des œuvres célèbres et rejoint, quelque peu, les fameuses métamorphoses d'Ovide.
Mais une telle histoire n'aurait pas ce rendu, cette grâce, sans le talent de René Hausman. Ce créateur féru de nature, avec tout ce qui la compose, des être vivants à la flore, effectue un travail à l'aquarelle d'une haute qualité. Pour cet album, il a, d'ailleurs, innové et oeuvré en couleurs directes sans la moindre esquisse de trait. Il donne ainsi, à ces compositions, la spontanéité de geste, la fraîcheur du premier jet.
Le Chat qui courait sur les toits conjugue le talent de deux créateurs au pinacle de leur savoir-faire, pour un résultat exceptionnel.
Serge Perraud nooSFere 20/06/2010
|