Ils sont nés sur les champs de bataille de 14-18, dans le souffle des gaz et des armes à rayon X.

     Ils ont pris le contrôle des grandes capitales européennes. Par-delà le bien et le mal.

     Les feuilletonistes ont fait d'eux des icônes. Les scientifiques sont fascinés par leurs pouvoirs. Pourtant, au centre du vieux continent, une menace se profile, qui risque d'effacer jusqu'au souvenir de leur existence...

     La fin des super-héros européens.

     Cet album, le premier d'une série de six, contient :

     Prologue : « Mécanoïde Curie »

     Septembre 1938. A l'invitation du docteur Mabuse, des dizaines de surhommes affluent dans la ville secrète de Metropolis. Parmi eux, Irène Joliot-Curie, dissimulée sous le masque d'un androïde soviétique. Les révélations que Mabuse s'apprête à faire pourraient déstabiliser l'équilibre des pouvoirs en Europe. Mais un intrus cauchemardesque s'invite à la réunion.

     Episode 1 : « La dernière mission du Passe-muraille »

     Six mois plus tard, à Paris. Tandis que le Nyctalope, tout-puissant protecteur de la Ville lumière, se cherche un biographe dans les milieux surréalistes, Irène Joliot-Curie et son mari Frédéric enquêtent sur les suites de la réunion de Metropolis. Un vieux fidèle de l'Institut du radium accepte de leur venir en aide.

     L'Atalante crée l'événement BD de cette rentrée en lançant une série très attendue : La Brigade chimérique, ou la première collaboration Serge Lehman / Fabrice Colin, qui s'appuient ici sur des dessins de Gess et des couleurs de Céline Bessonneau. Tout part d'un simple constat : il n'y a pas de culture de super-héros en Europe ; certes, il existe bien ici ou là des super-héros créés par des dessinateurs ou scénaristes européens, mais il ne s'agit que de parodies ou d'imitations de ceux des États-Unis. Lehman et Colin ont voulu combler ce manque, tout en rendant un vibrant hommage à tous les personnages de la littérature populaire qui auraient pu, qui auraient dû, devenir les figures principales d'une mythologie super-héroïque. A ceux qui en douteraient, Lehman dédie de manière éloquente cette série à un certain nombre d'écrivains : Rosny, Wells, La Hire, Zamiatine, Lang, Papini, Ray et Messac, créateurs de certaines des figures les plus inoubliables des littératures populaires.

     Europe, 1938. Le Docteur Mabuse convoque tous les super-héros européens pour faire une grande annonce. Il y a là le Nyctalope (France), Gog, l'homme le plus riche du monde (Italie), la Phalange (Espagne)... La réunion a lieu dans la mythique cité de Metropolis (on reconnaît la patte de Serge Lehman), qui aurait pu être la Gotham des super-héros européens. Le but de Mabuse : restaurer une identité européenne — bafouée selon lui par sa dissolution dans le communisme cher à Nous Autres, les représentants soviétiques — et redonner leur statut aux super-héros, qui sont bien des surhommes, des Übermenschen au sens nietzschéen. Pour son Grand Œuvre, Mabuse s'appuie sur les troupes nazies (les Crânes) et espère rallier à sa cause tous les super-héros. Cependant, ceux-ci sont regroupés selon leurs affinités, et les différentes « communautés » s'opposent. Au milieu de ces super-héros, on retrouve un certain nombre de personnes ayant réellement existé, et notamment le couple Jolliot-Curie, qui à Paris entretient des relations étroites avec Nous Autres.

     La série est prévue sur 6 tomes doubles, correspondant à un prologue, 10 épisodes et un épilogue. Les 3 premiers tomes paraissent à un mois d'intervalle, et il faudra a priori attendre début 2010 pour que les 3 derniers sortent. On saura d'ailleurs gré aux auteurs et à L'Atalante de nous proposer ainsi un cycle complet en aussi peu de temps.

     Dans ce premier tome, le prologue nous présente de nombreux héros, et constitue donc un plaisir intense de chasse aux références : même si certaines sont citées explicitement par les auteurs, il appartient au lecteur de retrouver les autres, et il y parviendra plus ou moins bien en fonction de ses connaissances. Quasiment aucun personnage n'est gratuit, tous renvoient à une œuvre qui sous-tend le propos de Lehman et Colin. Mais que le lecteur à la culture moins encyclopédique que celle des auteurs ne s'effraie pas : il savourera tout autant le contenu. Car le monde bâti par les auteurs est très intéressant, très touffu, et les prouesses des protagonistes proprement stupéfiantes. La richesse de l'univers créé permet de nombreuses possibilités quant aux interactions des super-héros entre eux, et avec l'Histoire. C'est du reste l'un des points sur lesquels les auteurs seront jugés in fine dans cette BD : compte-tenu du nombre de références citées, leur sera-t-il possible de toutes les digérer pour les restituer en intégralité sur ces seuls 6 volumes, ou cet étalage de culture sera-t-il au final un peu « gratuit » en ce sens que nombre des personnages présentés ne serviront pas à grand-chose ? Bien sûr, abondance de bien ne nuit point, mais il serait dommage d'avoir ouvert autant de pistes alléchantes pour les abandonner par la suite.

     N'étant pas un fin connaisseur de BD, je ne saurais juger le trait de Gess et les couleurs de Bessonneau, si ce n'est qu'ils me semblent tout à fait adaptés à une BD de super-héros. Et même si certains parti-pris du dessinateur peuvent surprendre au premier abord — les visages de certains personnages n'ont pas de traits — son style reste suffisamment efficace, et sait se parer d'emprunts réguliers aux domaines culturels concernés par l'intrigue, comme avec la reproduction de certaines œuvres surréalistes.

     Au final, ce premier tome de la Brigade chimérique se dévore d'une traite, et se relit aussi sec pour y trouver des allusions et références qui auraient échappé à la première lecture. Un postulat de départ original, un scénario découpé très précisément, et gorgé de références qui sont autant de jeux de pistes, bref un plaisir de lecture intégral, que l'on complètera volontiers en consultant le site web mis en place pour l'occasion, http://www.brigadechimerique.com/.