« Ceci n'est pas une BD cartésienne. Elle capte le mental et les tripes du lecteur en visant les ressources de son inconscient. » Si cette mise en garde préalable de l'auteur peut paraître prétentieuse, nul ne songera à en contester la justesse en refermant l'album.
Immondys inaugure avec brio une nouvelle collection nommée « Carrément BD », dont le signe particulier est justement le format carré. Ce format oblige à organiser l'espace différemment, même si cela est moins sensible en BD qu'en photographie, à cause du découpage en cases qui reforme souvent les proportions habituelles.
Le scénario est particulièrement déroutant, évidemment de façon tout à fait volontaire. Un homme et une femme, deux artistes qui ne se connaissent pas, reçoivent les pièces d'un casse-tête. Lorsqu'ils l'auront reconstitué, leurs esprits se rejoindront dans d'étranges visions cauchemardesques. En parallèle, un second dialogue entre les mêmes protagonistes semble évoluer pour son propre compte, débutant dès la couverture par un intrigant « Power... on entre en contact intime ».
A ce stade — la série comptera deux albums — , nous en sommes réduits aux hypothèses... Sommes-nous dans le cauchemar d'Albane Beck, une malade qui agonise dans un hôpital, ou déjà morts et errant dans un purgatoire morbide ? Sommes-nous perdus dans une matrice informatique ? Sous l'emprise d'une drogue ? Ou même les jouets d'extraterrestres venus de cette planète noire qui forme le O d'Immondys ? Nous n'en saurons rien, et nous n'apprendrons rien sur l'identité de l'expéditeur du casse-tête...
Cette histoire permet à Hulet d'explorer à fond les univers morbides dans lesquels il excelle. Des scènes surréalistes, des visions fantasmatiques et des voyages hallucinés se succèdent dans une sorte de cauchemar éveillé, aussi oppressant que magnifique. La distorsion du réel est telle que les cases s'inversent, obligeant le lecteur à tourner son album en tout sens pour se retrouver dans ce labyrinthe où les repères habituels n'ont plus cours, sous peine d'avoir la tête aussi à l'envers que les protagonistes.
Est-il utile de préciser que cette oeuvre sans équivalent s'impose d'emblée comme un chef d'oeuvre ? Il faudrait que la suite soit vraiment décevante pour avoir à réviser ce jugement, mais Hulet nous prévient encore : « pas de panique, les choses s'éclairciront en temps voulu » !
Pascal Patoz nooSFere
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