Dans le monde des mangas, Jojo's Bizarre Adventure est un cas unique en son genre. Forte de soixante-trois volumes (!) impossibles à résumer 1, la série relate le destin de personnages exceptionnels sur plusieurs générations. L'œuvre est découpée en plusieurs parties indépendantes (où l'on retrouve les descendants et aïeuls de personnages déjà rencontrés), dont la plus populaire est la troisième : Stardust Crusaders (publiée chez J'Ai Lu à partir du tome douze, et adaptée en OAV). Cette dernière voit l'apparition des « stands », des émanations psychiques liées à leur possesseur et capables d'agir physiquement sur leur entourage. Mi-projection astrale mi-ange gardien, généralement d'apparence humanoïde, les stands peuvent toutefois prendre la forme d'un élément ou d'un objet, mais chacun possède sa nature propre. Les stands ne sont pas forcément destinés au combat, et peuvent être utilisés pour accomplir des actions d'ordinaire impossibles, comme arrêter entre leurs doigts une balle de revolver en plein vol. Pour approfondir le sujet je vous conseille l'excellente adaptation animée, trouvable à dix euros un peu partout, et à mon sens meilleure encore que le manga (plus spectaculaire, en tout cas).
Tout cela nous amène à Rohan au Louvre. Souvenons-nous un instant d'une époque où les « japoniaiseries » étaient raillées dans nos magazines « culturels » et jusque dans les plus hautes sphères politiques, et constatons aujourd'hui les faits : la France est le deuxième consommateur de mangas au monde, l'ambassadeur du Japon en personne se déplace à l'ouverture de Japan Expo, et le Musée du Louvre édite un manga. « Mais pourquoi lui plutôt qu'un autre ? », me direz-vous. Depuis ses premiers dessins, le style de Hirohiko Araki a beaucoup progressé et il est assez fascinant de voir son trait évoluer au fil de son œuvre, quasiment au jour le jour, partant d'une représentation grossière et maladroite des personnages pour aboutir à un style maniériste. Ce perfectionnement sans relâche aura fini par être récompensé avec l'honneur d'une exposition des planches de l'artiste au Musée du Louvre, il y a un an, mais la collaboration entre le mangaka et la prestigieuse institution française ne devait pas s'arrêter là. « One-shot » commandé à l'auteur, en association avec Futuropolis, Rohan au Louvre est une histoire indépendante dont la seule obligation était d'entretenir un lien avec le célèbre musée parisien.
Tout commence par la rencontre entre Rohan, un jeune homme rêvant d'être un jour mangaka professionnel 2, et une jeune femme mystérieuse. Rohan possède un stand qui lui permet de lire dans l'esprit des gens à livre ouvert, au sens figuré comme au sens propre. Cette jeune femme, Nanasé, va lui apprendre l'existence du tableau « le plus sombre jamais peint », possédé par le Musée du Louvre. Cette révélation amènera Rohan à partir à sa recherche, dix ans plus tard. Il m'est difficile d'en dire plus mais sachez que le manga est de toute beauté, l'auteur ayant, semble-t-il, atteint le paroxysme de son art dans un style curieusement proche de l'école européenne, sans forcer le trait sur les exagérations physiques et les perspectives forcées qu'on lui connaît, peut-être par crainte de se « lâcher » dans un format occidental jugé — de son point de vue — plus noble que le manga où tous les débordements sont permis (ce n'est qu'une supposition). Toujours est-il que le dessin est sublime mais, pour résumer, un peu moins « dingue » et plus « sage » que son style habituel, et plus proche de la sobriété des productions franco-belges.
Bref, rares sont les auteurs japonais à voir leur œuvre publiée en France dans un grand format couleurs à couverture cartonnée, espérons que l'expérience ne s'arrête pas là. Précisons juste que cette exclusivité française a vu cinq mille de ses exemplaires vendus au Japon, alors même que l'album n'a pas encore été traduit ! Le monde à l'envers...
Notes :
1. Je vous renvoie tout de même à l'article de Wikipédia.
2. Et à la coiffure de Playmobil, l'auteur ayant une curieuse tendance à doter ses personnages des coupes les plus improbables.
Florent M. 17/04/2010
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