Glénat crée l'événement avec un projet sans précédent : Le triangle secret est une histoire écrite par un seul scénariste mais illustrée par 8 dessinateurs. Sept albums sont prévus sur seulement trois ans, ce qui permettra de boucler rapidement le cycle.
Pour augmenter la cohérence de l'ensemble, toutes les parties bénéficieront d'une colorisation et d'un lettrage commun. A ce propos, soulignons que le lettrage est d'ailleurs particulièrement désagréable, rigide et tassé au centre de bulles qui semblent curieusement trop grandes.
Pour réunir autant de dessinateurs sans que chacun ait à se soucier du travail des autres, il fallait qu'ils puissent animer des personnages et des époques différentes. Convard a donc choisi de nous conter une vaste fresque historique, qui s'étend sur 2000 ans puisque son origine se situe à l'époque christique.
C'est ainsi que, travaillant sur les « manuscrits de la Mer Morte », Didier Mosèle — le personnage central de la série — va découvrir des failles dans l'Histoire que nous connaissons, ainsi que l'existence possible d'un frère jumeau du Christ. Mêlant mysticisme et occultisme, églises et sociétés secrètes, petites anecdotes et hauts faits historiques, analyses scientifiques et enquête policière, ce scénario ambitieux et documenté a tout pour captiver.
Dès ce premier album, on regrettera un léger manque de rythme et surtout quelques facilités, comme la bande magnétique destinée à mettre en garde le héros et à lui déconseiller de poursuivre l'enquête. Cette grosse ficelle un peu trop usée inquiète car elle se situe au tout début de l'histoire, mais heureusement l'intrigue se révèle ensuite suffisamment intéressante pour faire oublier cette fausse note.
Il est bien sûr difficile de juger plus avant le scénario : Convard a déjà réussi à nous accrocher, mais ce n'est qu'en 2003 que nous saurons s'il nous a aussi convaincu.
La place des dessinateurs est très inégale. L'époque contemporaine occupant la majeure partie de l'intrigue, Denis Falque — qui suit l'enquête de Didier Mosèle — et Pierre Wachs — qui prend en charge le Vatican — seront présents dans tous les albums, tandis que les autres dessinateurs ne feront que des passages en « guest star ».
Ce premier album réunit notamment Christian Gine, dont le trait évanescent évoque à merveille la période christique, et Gilles Chaillet, égal à lui-même avec une méticuleuse illustration de la croisade de Philippe Auguste. A côté de ces artistes aux caractères prononcés, Pierre Wachs se défend bien avec ses quatre planches autour d'un cauchemar papal, mais en revanche Denis Falque déçoit énormément...
En effet, nous avons de la peine à reconnaître l'excellent dessinateur du Fond du monde derrière ce trait maladroit et fade. Il suffit de comparer ses personnages à leurs doubles représentés sur la couverture (dessinée cette fois par Juillard, comme toutes les couvertures de la série) pour constater à quel point ils paraissent bâclés et sans relief. Cela est d'autant plus dommage que tout l'édifice s'articule autour de ces pages contemporaines qui représentent près de la moitié de l'album (21 planches exactement).
Malgré ces réserves, l'expérience est évidemment passionnante et nous ne pourrons pas éviter de la suivre jusqu'au bout. Sa réussite pourrait en outre annoncer d'autres projets de la même envergure, avec quelques bonnes surprises en perspective. A suivre, donc...
Pascal Patoz nooSFere
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