Clark « Doc » Savage Jr., alias l'Homme de Bronze, personnage de pulp créé en 1933, paraît aujourd'hui un peu trop parfait. Aventurier surpuissant plutôt que super-héros doté de véritables super-pouvoirs, il lui a sans doute manqué la noirceur potentielle d'un Batman pour continuer à s'imposer. Pourtant, ce milliardaire d'une intelligence hors norme, d'une force surhumaine et d'une droiture morale sans faille, n'a pas grand-chose à envier à l'extraterrestre Superman (l'Homme d'Acier), né dans la même décennie. Ils incarnaient à leur manière le rêve américain dans les suites de la Grande Dépression et à l'heure du New Deal.
Néanmoins, des rééditions régulières ont permis à Savage de ne pas sombrer dans l'oubli. Récemment, avec la série First Wave, Brian Azzarello a ainsi pu proposer un cross-over associant Doc Savage à deux autres héros antérieurs à la fin de la Seconde Guerre mondiale : Batman (1939) et The Spirit (1940). Cette nouvelle série s'est ensuite prolongée par deux autres séries d'aventures indépendantes, consacrée l'une au seul Doc Savage, l'autre au Spirit.
Ce deuxième opus consacré à l'Homme de Bronze propose une aventure complète en forme de récit de guerre. Notre invincible héros doit s'y enfoncer au cœur d'un Moyen-Orient terrifiant pour détruire des armes de destruction massive mais aussi pour rechercher son ami Ronan McKenna, pourtant réputé décédé. Son périple s'apparente à une véritable descente aux enfers, au milieu de bandes armées aux motivations parfois obscures. Bien que différente dans son origine et ses conclusions, l'étrange folie du lieutenant McKenna n'est pas sans évoquer celles des Kurtz du film Apocalypse Now ou du roman de Conrad, Au cœur des ténèbres. C'est évidemment cette plongée en apnée dans un monde violent et désaxé qui constitue l'intérêt principal d'une intrigue assez tendue, parfois froide jusqu'à l'abstraction. L'ambiance générale de l'album se révèle assez fascinante par son âpreté, même si la narration apparait heurtée au point d'en altérer parfois la clarté. En revanche, le personnage de Doc Savage, machine de guerre sans subtilité et sans humour, manque décidément de profondeur. De même, sa troupe d'acolytes pourtant pittoresques demeure sous-employée. On aimerait que ces différentes figures occupent une place plus marquée et qu'il se tisse une véritable dynamique de groupe, mais en vain. Au final, seuls quelques vilains et surtout le personnage tourmenté du lieutenant McKenna retiennent véritablement l'attention, mais de manière assez brève.
Bref, on peut conseiller cet album pour son ambiance déshumanisante de guerre asymétrique, où tout reste possible malgré le déséquilibre des forces en présence. Mais n'y cherchez pas de personnages attachants, une intrigue limpide ou du sense of wonder... L'Homme de Bronze n'est pas là pour rigoler !
Pascal Patoz nooSFere 07/04/2013
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