Je profite de la parution de La forêt d'acier pour faire un rapide retour à une série de cinq albums consacrés aux aventures de Luc Orient aux prises avec la planète Terango. Parus à l'origine dans !e journal Tintin, Les dragons de feu, Les soleils de glace, Le maître de Terango, La planète d'angoisse et La forêt d'acier forment une série due à Eddy Paape pour le dessin et à Greg (l'immortel auteur d'Achille Talon) pour le scénario. Il s'agit d'une très honnête, très honorabie et très classique science-fiction d'aventures, qui louche fortement du côté de Flash Gordon, modèle que Greg reconnaît bien volontiers avoir pillé — mais il y en eut d'autres avant lui... Un aventurier blond : Luc Orient, une jeune femme brune : Lora, un savant plus âgé : Ka'a, et c'est le trio Flash-Dale-Zarkov qui est reconduit, encore que Lora ne semble pas être la « fiancée » de Luc. Une planète mystérieuse occupée par d'effrayants monstres et des races multiples : nous reconnaissons là Mongo, devenue Terango. Et un dictateur fourbe et méchant qui porte le même nom que la planète rappellera Ming. Greg et Paape ont en outre doté leur trio d'un ennemi terrien féroce et tenace, le docteur Argos, qui témoigne d'un autre emprunt, à Edgar P. Jacobs cette fois, en la personne d'OIrik. Mais tout cela étant du domaine des archétypes et des stéréotypes, je n'irai surtout pas accuser les créateurs de plagiat ! Au contraire, ils jouent un jeu dont les règles sont tellement codifiées qu'autant valait les utiliser que les contourner. Les deux premiers épisodes se déroulent sur la Terre, dans une région perdue du continent indien. Les dragons de feu relate la découverte d'une tribu qui reçu jadis la visite d'extraterrestres, dont le rayonnement des vaisseaux a provoqué des mutations parmi la flore et la faune de l'endroit. Les soleils de glace illustre la rencontre avec des Teranguiens ayant fait un retour sur la Terre, et on ne quitte notre planète qu'avec Le maître de Terango, notre trio devant apporter son concours aux rebelles en lutte contre le tyran, lequel veut conquérir la galaxie en commençant par notre monde ! La planète d'angoisse est centré sur l'errance des Terriens à travers la jungle teranguienne peuplée de monstres et d'humanoïdes ailés ou reptiliens, avant qu'ils puissent rejoindre le camp des rebelles, et La forêt d'acier s'ordonne autour de l'affrontement final entre les troupes de Terango et ses adversaires. On constate que tous les ingrédients-types du space opera sont mis à l'épreuve, et qu'il y a même au fil des épisodes progression géométrique d'une SF antique (la tribu secrète au cœur de la jungle) à une SF de l'âge d'or, avec ses combats où des armes fantastiques sont mises en présence mais où l'astuce terrienne (plus trois bouts de ficelle) triomphe. Là encore, il serait vain de vouloir répertorier les emprunts, mais Carsac, par exemple, me semble assez sérieusement mis à contribution dans Le maître de Terango, avec l'enlèvement en soucoupe volante et les vertiges dus au passage dans le subespace, et aussi la notion que les Terriens, dont la morphologie est différente, sont insensibles aux rayons des soldats teranguiens — comme le docteur Clair aux rayonnements des Misliks... Toutes ces aventures reposent naturellement sur le culte du héros, et cela accentue leur appartenance à une certaine SF bien datée temporellement et idéologiquement : Orient n'est pas Valérian, il y a même un abîme entre eux. Mais il ne s'agit pas d'ergoter sur le plaisir mineur qu'on peut prendre à la lecture d'une bande bien servie par le dessin nerveux d'Eddy Paape, qu'on peut rapprocher de celui de Vance pour Bob Morane. Il faut simplement noter que Paape est plus à l'aise dans la jungle et, d'une manière générale, dans la nature, où il sait fort bien tracer de très décoratives végétations bulbeuses, que dans les cités et au milieu des gadgets mécaniques, qui sentent un peu trop le carton-pâte dans leur joliesses mièvres. A ce titre, les numéros 1, 2 et 4 de la série sont plus réussis que les 3 et 5. Mais quelle importance ? Puisque aussi bien Luc Orient ne fera pas date dans la BD de SF...
Jean-Pierre Andrevon Fiction n°246 01/06/1974
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