Avec son faciès lunaire et son air dégingandé, Issicol a un air de parenté avec le squelette héros de l'Etrange Noël de Mr Jack de Tim Burton.
C'est d'ailleurs un message de mort qu'on lui confie, une mission absurde pour laquelle il n'a bien sûr aucune compétence... Une étoile mystérieuse arrive, et la fin du monde semble proche : la nouvelle doit être annoncée en douceur à la population, et devinez qu'Issicol ?
Le scénario est tout simplement extraordinaire ! Jean-François Hautot parvient ici à mêler la dérision, le loufoque, la nostalgie, la tragédie et la poésie avec une parfaite maîtrise.
Fonctionnaire au sens le plus péjoratif du terme, Issicol est un rêveur lunatique, un être doux, paisible, insipide et incolore, sur qui la vie a passé sans qu'il s'en aperçoive.
Pour cet anti-héros, cette mission aura des vertus initiatiques. Au coeur d'un village perdu, hanté par des doux dingues et des prostituées, Issicol va découvrir l'amour, le mensonge, la foi, la tentation... Au bout de ce voyage burlesque, il sera devenu un être humain.
Certaines scènes sont inoubliables, comme la course ahurie d'Issicol sous la pluie de feuillets qui s'abat sur le village, comme le récit grotesque de l'apparition de Marie-Madeleine dans la flaque d'urine d'un alcoolique, ou encore comme la pseudo conférence d'un Issicol devenu écrivain de SF...
Le dessin est tout simplement... extraordinaire, lui aussi ! David Prudhomme se permet ici un travail très personnel, en toute liberté... Jouant de la silhouette élastique d'Issicol, de courbes fluides et de contrastes prononcés, il sublime le récit en lui apportant à la fois un dynamisme graphique et une dimension onirique qui soulignent l'aspect cauchemardesque du récit.
Port Nawak porte bien son nom (N'importe quoi, en verlan) : c'est une oeuvre délirante et hors norme. Chef d'oeuvre inclassable et excentrique, cet album pourra effrayer les lecteurs préférant une bande dessinée plus classique, mais il enthousiasmera les amateurs d'absurde et d'originalité.
Pascal Patoz nooSFere
Je suis toujours surpris par le mode de classement des bibliothécaires. Pour les Bandes Dessinées, par exemple, j'aimerais que l'on m'explique pourquoi elles sont classées pas : scénaristes... ( ?) Imaginez que vous vouliez lire tout Tardi ou tout Giraud/Gir/Moébius... il vous faudrait aussi chercher ces DESSINATEURS à Forest, Malet, Jodorowsky, J.M. Charlier, Vance etc. Je ne parlerai pas de cette discrimination qui rabaisse le dessinateur au niveau du faire valoir, celui qui imagine l'histoire ayant plus d'importance... Hergé, Franquin et autres talentueux dessinateurs ont au moins la chance d'être leur propre scénariste (et encore, pour Franquin, pourquoi ne pas le classer avec Greg ?) sans parler aussi du fait que certains dessinateurs sont oubliés : Vic Hubinon, et/ou certain scénariste, qui est celui qui permet à Gillon de nous donner une magnifique histoire de SF ? Pourquoi cet emportement me direz-vous. Pour une raison simple : Port Nawak est signé Prudhomme / Hautot et rien à l'intérieur n'indique qui fait quoi. Or l'album est classé HAU Por... Dans le même lieu j'ai emprunté un Benacquista & Barral classé BEN Die. Et comme dirait mon camarade Bobby Lapointe : « Comprend qui veut, comprend qui peut... » Ce qui pourrait nous donner envie de traiter tous les bibliothécaires de Marcel...
Donc Hautot au scénario et Prudhomme au dessin. D'abord c'est du NOIR & BLANC, mais attention pas dans le tranché (façon Marc-Antoine Mattieu), dans le nuancé : du blanc au noir en passant par toute la gamme des gris, soulignés et/ou atténués par des verticalités et des horizontalités de lignes. Du noir & blanc comme dans les films de Hawks ou de Truffaut. Les personnages sont à la limite de la caricature. Les courtes séquences qui les mettent en œuvre alternent plan rapproché, plan américain, plan éloigné, gros plan (pas toutes dans cet ordre là). L'ensemble est assez plaisant à l'oeil et donne une impression d'équilibre très travaillé.
Côté scénario (peut-être aurais-je dû commencer par là ?), une administration centrale confie à l'un de ses employés (qui ordinairement confectionne des moutons en mie de pain) le soin de préparer à une éventuelle catastrophe qui la détruirait la population « arriérée » d'une lointaine région : Port Nawak (vous avez remarqué la possible traduction de l'expression par : « N'importe quoi » ?). Elle lui confie un gros rapport sur le sujet mais celui-ci s'envole juste au moment où il arrive à Port Nawak. Le fonctionnaire est donc condamné à courir après les feuilles pour éviter la panique. Il décide de se présenter comme auteur de Science-Fiction dont le brouillon du texte s'est envolé. Dans le même temps chaque soir un objet de plus en plus lumineux apparaît dans la nuit. Cette course aux feuilles est une façon simple et efficace de nous faire connaître les habitants du lieu (je me permettrais de ne pas déflorer la fin) et d'organiser une rencontre culturelle de Science-Fiction (on sent ici que l'auteur sait de quoi il parle).
On est prié de laisser ses doutes au vestiaire et de s'abandonner au récit... qui bien sûr tente de donner à réfléchir...
Noé Gaillard nooSFere 08/04/2010
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