Le Père Noël n'a pas la cote en cette fin de millénaire ! Déjà malmené dans les fantaisistes Monstrueux Noël de Lewis Trondheim et Merlin contre le Père Noël de Joann Sfar et José-Luis Munuera, le voici au coeur de l'étonnant projet commun de Tronchet et O'Groj, destiné à mettre en scène un monde père-noëlisé! Voici la version d'O'Groj, tandis que celle de Tronchet se nomme Houppeland.

     Avec un humour pince sans rire, mais ravageur, nous sommes entraînés dans la dérive politique absurde d'une société en crise qui — dans une vaine tentative de relance de l'économie — impose des Noël de plus en plus fréquent, jusqu'à devenir quotidiens : « Noël au balcon, Noël aux tisons » clame ainsi la sagesse populaire... Enfermé dans ce système délirant, le pouvoir bascule aux mains d'une improbable dictature des Pères Noëls, maintenue fermement par une armée de barbus rouges et blancs, mais agacée par un serial-killer amateur de bottes...
     Dans le rôle du témoin, et bien qu'affligé d'un strabisme particulièrement marqué, le petit Gregory Prion porte sur tout cela un regard lucide, qu'il nous fait partager dans sa rédaction sur papier quadrillé — rédaction un brin hors sujet puisqu'elle aurait du porter sur « l'aspect hanchanteur de Noël ».

     Saugrenue cette histoire ? Certes. Mais il s'agit surtout d'un récit époustouflant dont l'intrigue parfaitement maîtrisée oscille entre farce et cauchemar, avec une invasion de Pères Noël aussi oppressante que celle de l'extraordinaire séquence qui ouvre le film La cité des enfants perdus.
     Absurdité n'étant pas synonyme de folie, la logique interne de cet étrange conte n'est jamais prise en défaut. Au contraire, le scénario est d'une grande rigueur, mettant en scène un Paris occupé et affamé comme aux heures les plus sombres de l'Histoire. On y verra ainsi une satire féroce et irrésistiblement drôle, aux surprises nombreuses et aux détails hilarants.

     Le graphisme très sûr d'Ogroj donne à cette vision cauchemardesque un caractère palpable et angoissant. Très habilement, le dessin enjoué et les couleurs éclatantes des premières pages laissent bientôt la place à des teintes sombres aux couleurs du Père Noël : le trait se fait charbonneux et tout devient noir, blanc ou rouge, jusqu'à la Seine qui prend l'aspect d'un fleuve de sang. Par endroit, on remarque une teinte vive : ici un palmier vert, là un prospectus bleu...

     En bref ? Il y a du génie dans cet album !
     Sur ce, je vous souhaite « un assez bon Noël » !

Pascal Patoz          
nooSFere