Le grand rouage marque le dénouement de la série Horologiom, unanimement reconnue comme un chef d'œuvre.
Dotée d'un scénario puissant et original, cette série a mis en place un univers merveilleux et décalé où s'allient la poésie d'œuvres comme le Roi et l'oiseau de Grimault et Prévert, l'onirisme du Slumberland de McCay, et la froide logique absurde et aliénante de mondes fonctionnarisés à la manière de Kafka ou d'Orwell. A Horologiom règne en effet le culte du mécanique, et chaque homme porte au sommet de son crâne une clef qu'il faut remonter régulièrement, destinée à inhiber sa part animale. Mariulo, un homme sans clef, s'introduit cependant dans la cité et menace les fondements du culte du Grand Rouage. Ce cinquième tome nous révèlera l'étrange genèse de ce monde dans un superbe finale à la hauteur de l'ensemble de la série.
Autre atout d'Horologiom, le dessin de Fabrice Lebeault est magnifique et constamment surprenant. Il invente un bestiaire mécanique fabuleux – la première édition de ce cinquième volume s'ouvre d'ailleurs sur un Répertoire machinique de huit pages – , ainsi qu'une architecture extravagante et démesurée, qui prend souvent figure humaine ou animale (voir à ce sujet l'extrait de planche ci-dessus, particulièrement explicite). Enfin, le talent de coloriste de Florence Breton achève de parfaire cet univers graphique peu commun. Le résultat est stupéfiant de beauté !
Bref, la lecture d'Horologiom est un pur bonheur, à la fois pour l'intelligence, le cœur et les yeux. C'est un incontestable et indispensable chef d'œuvre !
Pascal Patoz nooSFere 02/01/2001
En 1994, Fabrice Lebeault entamait Horologiom, une série inventive et passionnante qui valu à son auteur un tombereau de prix fort mérité et l'enthousiasme de la rédaction bifrostienne. Dans de telles conditions, impossible de ne pas revenir une dernière fois sur les lieux du crime à l'occasion de la sortie de ce cinquième et ultime volume du cycle... Les hommes d'Horologiom, ville coupée du reste du monde, vivent dans le culte de la mécanique et dans le rejet de 1' « odieuse animalité », c'est à dire tout ce qui, soi-disant, rapproche l'homme de l'animal et l'éloigne de l'être parfait : émotions, sexualité, enfantement, maladie... La ville est donc peuplée d'automates surveillant le bon fonctionnement de l'immense mécanique bien huilée, de prêtres veillant au respect du culte du « Grand Rouage ». Et tous les hommes sont dotés d'une clé, fichée dans le crâne, qui garantit leur « fonctionnement » correct. C'est pourquoi l'irruption accidentelle de Mariulo, un homme sans clé, au tout début de la série, représente un affront et une menace inadmissibles pour le système. Mariulo devient l'objet de toutes les attentions et de toutes les poursuites : des prêtres qui doivent le détruire, des hommes avides de pouvoir qui désirent l'utiliser pour leurs propres ambitions. Et aussi d'une poignée d'idéalistes voulant délivrer les habitants d'Horologiom du joug mécanique, et les réconcilier avec leur animalité/humanité. Au fil de la série, Lebeault a bâtit un formidable délire visuel et imaginaire. Les êtres qui peuplent Horologiom, robots ou moyens de transport, sont d'improbables chimères mécaniques, à roues, à pattes, à ailes ou à ressorts, au service d'une impitoyable mécanique totalitaire. 1984, Brazil et Lewis Caroll dessinés par un horloger fou... On l'a dit : ce cinquième album est le dernier de la série. Vous saurez donc enfin qui est réellement Mariulo, ce qu'est le Grand Rouage, l'origine d'Horologiom. On a parfois l'impression que Lebeault a voulu se débarrasser de sa série — quand l'intrigue laisse la place à un long pavé explicatif. Mais l'histoire réserve le lot de surprises et de révélations auxquelles on était en droit de s'attendre. Reste à ranger Horologiom sur l'étagère des univers délirants, quelque part entre La Nef des fous de Turf et Alice au pays des merveilles...
Philippe Heurtel Bifrost n°21 01/12/2000
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