Le jour de ses 13 ans, Félix est entraîné par une sorte de lutin à travers le mur de ses toilettes. De l'autre côté, un pays nommé « Pays »l'accueille comme le Khatedra, « l'élu de la prophétie » : Félix doit aider son peuple à combattre les Houargs, des créatures terrifiantes et sanguinaires.
Ange est un couple de scénariste qui parvient souvent à renouveler des intrigues déjà souvent exploitées. Dans Némésis, le récit « X-filoïde » fonctionnait à merveille ; dans L'œil des dieux, roman pour la jeunesse, le thème classique de l'interprétation de la réalité était habilement remis en scène. Récemment, le premier album de La Cicatrice du souvenir fut pourtant plutôt décevant. De même, les premières pages de Khatedra inquiètent : l'association des termes « élu », « prophétie », « guerre » et « envahisseurs » suffit à susciter la nausée tellement une certaine fantasy a abusé de ces notions. Mais le scénario d'Ange est bien plus malin qu'il n'y paraît de prime abord. Après la surprise initiale du jeune garçon, celui-ci se prend au jeu. Considéré comme un véritable dieu vénéré par tous, entouré d'amis et aimé par une délicieuse jeune fille, Félix se sent comme dans un rêve magnifique dont il n'a plus aucune envie de sortir. Sa seule présence galvanisant les troupes, il mène son nouveau peuple au triomphe... Mais sous leurs armures menaçantes, les Houargs sont-ils si monstrueux que cela ? Félix n'est-il pas en train de favoriser un terrible massacre sans avoir pris la peine d'étudier les véritables causes du conflit ? Ses nouveaux amis ne se montrent-ils pas cruels, eux aussi, lorsqu'ils réduisent les Houargs en esclavage, en leur déniant la possession d'une âme ? Lorsque Félix commencera à se poser des questions, devra-t-il s'étonner d'être rapidement renvoyé dans son propre univers ?
Sous couvert de la fantasy et d'un récit d'aventures distrayant, Ange aborde ainsi le thème du génocide, vu du côté de vainqueurs qui s'estiment pourtant – sincèrement ? –agressés. Une allusion au « génocide tchétchène » figure d'ailleurs dans la dernière planche, superflue pour le lecteur adulte mais utile pour aider les plus jeunes à mieux comprendre le sens de l'album. Plutôt que d'être trop démonstratifs, les scénaristes ont préféré montrer la lente prise de conscience d'un jeune héros initialement étourdi et aveuglé par l'adulation dont il fait l'objet.
Le trait de Castaza est bien plus élégant que ne le laisse supposer une couverture assez quelconque. Il exploite une imagerie pseudo égyptienne, riche de formes géométriques complexes et vivement colorées, avec des personnages bien campés et un découpage efficace.
Khatedra est donc un album qui ajoute une dimension didactique à l'aventure, ce qui n'est finalement pas si fréquent. Plutôt destiné au jeune lecteur, il amène celui-ci à s'interroger sur le manichéisme qui régit habituellement les guerres de fantasy – mais aussi bon nombre de nos propres guerres, où le coupable désigné peut aussi s'avérer être une victime...
Pascal Patoz nooSFere 08/10/2001
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