L'uchronie est rare en bande dessinée. Res Punica a l'intérêt d'en être une authentique, puisque le point de divergence historique est clairement identifié : au cours des guerres puniques, Hannibal poursuit sa marche vers Rome et la soumet, permettant à l'empire carthaginois d'étendre son hégémonie sur l'ensemble du monde méditerranéen. En 2814 après la fondation de Carthage (soit en l'an 2000 après JC), date à laquelle débute le récit, la Res Punica (la Chose Punique) demeure un gouvernement totalitaire implacable.
Les spécialistes prétendent que plus la date de l'action est proche du point de divergence, plus l'uchronie est convaincante. Cet album pourrait en être la démonstration, car ici, avec plus de 2000 ans de distance, l'aspect uchronique semble en effet perdre tout intérêt. Le scénariste ne retrace pas le cheminement historique qui a conduit à la formation de ce monde totalitaire, technologiquement décalé par rapport à celui que nous connaissons, et il laisse au lecteur le soin d'imaginer l'intervalle libre. Pourquoi le terme latin de « res punica » s'est-il imposé ? Pourquoi le langage ne l'a-t-il pas fait évoluer vers un « répunique » analogue à notre république/res publica ? Pourquoi notre Amérique est-elle dominée par les Mayaks – les lecteurs de La Porte des mondes de Robert Silverberg supposeront que la découverte de l'Amérique a été retardée d'un siècle ? Que sont devenus les grandes figures de notre siècle – Hitler, Staline, entre autres...– dans cet univers alternatif ? Etc. Bref, les intérêts habituels de l'uchronie – essayer de comprendre les mécanismes de l'Histoire, et confronter des personnages historiques célèbres à des situations différentes – n'ont pas cours ici.
Au lieu de cela, Jean-Marc Cosset nous présente une variation sur le thème bien connu du monde totalitaire, évoquant bien sûr le fameux 1984. Il ne se démarque malheureusement pas des clichés du genre : le héros est un petit fonctionnaire consciencieux qui ne perçoit la cruauté du monde qui l'entoure que le jour où sa famille en souffre ; sa révolte débute par une fuite au cours de laquelle il tombe providentiellement sur un réseau de résistants qui se terrent dans les profondeurs de la ville... Rien de bien neuf donc, au moins dans ce premier album. L'intrigue est sans surprise, et elle ne bénéficie pas de l'humour du Brazil de Gilliam par exemple. Son originalité aurait pu être l'aspect uchronique, mais seule la séquence d'introduction – d'ailleurs assez insupportablement grandiloquente – apporte des éléments dans ce sens.
Comme le dessin, plaisant mais encore un peu raide et impersonnel, ne suffit pas à donner davantage de caractère à ce scénario trop classique, l'album ne soulève pas vraiment l'enthousiasme. Il ne s'agit néanmoins que d'une première œuvre – plutôt prometteuse –, et il reste donc à espérer que les auteurs enrichissent et affirment leur univers dans les suites à venir.
Pascal Patoz
nooSFere
19/03/2001
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