En 2070, Istanbul est dirigée d'une main de fer par le gouverneur Hojja. Pour briser la puissance de la confrérie des marchands, celui-ci a décidé d'interdire l'utilisation des épices dans les rites religieux. En réaction, des émeutes ont éclaté, impitoyablement réprimées. Un mouvement de résistance, la Guilde du Safran, a émergé, tandis qu'une prophétie annonce la venue d'un sauveur. Après son intervention à Dakar, contée dans le premier tome, Elzar le Mûrid et son compagnon Moutji arrivent à Tunis où ils doivent récupérer une cargaison d'épices et d'armes ainsi que l'assassin chargé d'éliminer Hojja. A leur grande surprise, ce tueur est une femme...
L'ambiance de cette série ne peut pas laisser indifférent. Son cadre est déjà original car il est rare que la science-fiction mette en scène des villes comme Tunis et Istanbul. Dans ce décor impressionnant, le lecteur a l'impression d'assister à une pièce de théâtre un peu surjouée : les personnages s'y comportent en tragédiens aux attitudes un peu outrées, comme pour accentuer le côté solennel de leur action. Mais malgré l'emphase, la sincérité demeure. Nous sommes plongés dans une révolution où les hommes doivent se prendre au sérieux et se comporter comme des figures emblématiques. Les troubles qui ravagent l'Afrique et le Moyen-Orient montrent que le destin d'un monde se joue ici.
Comme au milieu de toute rébellion, une certaine confusion règne. Les hommes courent et se battent sans parfaitement maîtriser les enjeux de leur lutte. Pièges et trahisons compliquent les choses. Qui tire les ficelles ? Qui est cet étrange prophète qui donne ses instructions à Elzar ? Et dans quel camp se place au juste l'ambigu Moutji ?
Le graphisme de Gomez-Montero mélange curieusement une imagerie qui évoque à la fois un univers historique ou de fantasy – pour la plupart des costumes et des décors – et une anticipation qui affecte surtout les armements et les forces de police. Comme s'il s'agissait d'une lutte entre d'une part la tradition et la foi, et d'autre part un monde futuriste aliénant, sans qu'aucune des deux alternatives ne soit vraiment tentantes. Le dessin rend parfaitement la tension du récit : visages crispés et anguleux, yeux écarquillés et souvent dépourvus d'iris et de pupilles comme si les personnages avaient une vision qui transcende la réalité – ou comme s'ils étaient des morts-vivants (voir la couverture). La mise en page aérée, les couleurs sombres, dans les gris et les rouges-orangés, et enfin les habiles clairs-obscurs achèvent de donner à cet album une atmosphère à la fois originale et marquante. Seule l'utilisation un peu voyante de lignes de vitesse peu utiles est parfois agaçante.
On notera que deuxième album privilégie l'action, avec des scènes de nombreuses scènes de combats. L'intrigue y progresse finalement assez peu, mais l'ambiance est si particulière que cela perd toute importance. Les auteurs ont manifestement trouvé un ton propre qui fait tout l'intérêt de cette curieuse série de science-fiction.
Pascal Patoz
nooSFere
22/10/2001
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