Koblenz est engagé – en échange de dix années de la vie de son commanditaire – pour combattre le Kinzoku Jin, un samouraï géant qui se révèle rapidement être une créature mécanique. La métaphore est explicite : « cette guerre est l'affrontement du passé et du présent, de la tradition et de la modernité, l'empereur et ses réformes envoyant son robot contre vous, symbole du Japon ancestral. » (pl. 22)
Thierry Robin peint un Japon qui s'apprête à sortir de la féodalité pour entrer dans le monde moderne, une société engagée dans une profonde réforme et où les anciens samouraïs n'ont plus le droit de porter leur sabre : « comment vivre dans un monde où tout vous dit que vous appartenez au passé, que vous n'avez plus votre place ici, quand du jour au lendemain vous représentez une relique d'un temps barbare, une relique dangereuse qu'il faut abattre ! » (pl. 12) Pour lutter contre l'invincible robot des temps modernes, Koblenz et Clara vont se rendre dans le pays des créatures mythiques du Japon pour faire appel aux forces surnaturelles et à ces démons tengus qui menacent aussi de disparaître.
D'un côté un empereur qui oublie ses racines, de l'autre des gens ancrés dans le passé et incapables de s'adapter aux réformes. De cette opposition, Thierry Robin tire un récit sensible qui évite de prendre parti en concluant que « tradition et modernité peuvent sûrement cohabiter dans ce pays. » (pl. 47) L'autre opposition du récit est celle du monde réel face au monde surnaturel ; la transition est matérialisée par un changement de couleurs, froides pour le premier, plus chaudes pour le second – la neige prend alors la couleur du sable. Là encore, les deux univers s'interpénètrent et devraient pouvoir coexister.
C'est cette époque de transition qu'a choisi d'illustrer Thierry Robin de son trait élégant. Contrairement à d'autres dessinateurs aux planches monotones, on notera avec plaisir que cet auteur sait diversifier son style : cauchemar verdâtre pour l'affrontement symbolique d'un samouraï et d'une locomotive (pl. 1 à 3), délicatesse en demi-teintes pour l'évocation rapide de l'Histoire du Japon (pl. 11 et 12), luminosité diaphane pour la femme des neiges (pl. 15), jeu de noir et blanc pour le combat entre Koblenz et le robot (pl. 18 à 21), mélange d'étrange et de grotesque pour le voyage en terre surnaturelle (pl. 14 à 28), vision d'enfer pour la forge (pl. 34 à 37)... autant de scènes qui témoignent de l'étendue du talent du dessinateur.
Le réalisme historique se mêle donc à l'aventure, au fantastique et à la SF façon steampunk pour nous donner un bien bel album, qui a en outre l'énorme avantage de pouvoir se lire indépendamment, selon le principe de la série. Beauté, intelligence, sensibilité, Dernier hiver à Ishiyama rassemble décidément beaucoup de qualités. Superbe !
Pascal Patoz nooSFere 02/04/2002
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