BPM Odyssée 1, qui se présente sous la forme d'un album cartonné de petit format et d'un CD audio associé, est une œuvre difficile à classer : l'approche multimédia « littérature + BD + musique » n'est pas (encore) vraiment reconnue comme un vecteur d'expression indépendant de ses composantes. Nous tenons pourtant là un bel exemple de synergie artistique, où le tout s'envole très loin au-dessus des parties. En ce sens, BPM Odyssée n'est pas une œuvre de SF : elle est l'émergence du futur dans les formes d'art quotidiennes.
L'intrigue est très simple : mal dans leur peau, les deux personnages principaux, Tatoo et Adel, se lancent, accompagnés d'un comparse (un peu trop effacé), dans une quête d'identité symbolisée par une « rave » mythique. La célébration de cette « grand-messe » doit se dérouler en un lieu mystérieux et quasi-inaccessible qui n'est pas sans évoquer les nids d'aigles où s'accrochent monastères orthodoxes et ruines de citadelles cathares. La composante mystique, voire cosmique, est prégnante. On la perçoit dans les efforts des personnages pour exister au sein d'une société où ils se sentent irrémédiablement marginaux : Tatoo, elle, se retranche derrière son tatouage oriental, et meuble sa solitude par des mortifications et des cérémonies « vaudou », où le sang se mêle à une naïveté enfantine. Vaines défenses : le vide est là, prêt à l'engloutir. Ce vide, on le retrouve chez Adel qui, de son côté, essaie de tricher ; mais costard-cravate et intégration de surface ne parviennent pas à enrayer la progression du désert dans son existence. L'ultime planche de salut, c'est, au-delà des pièges de la récupération médiatico-commerciale, la restauration du temple primitif de la fête : cette fameuse « rave » où les richesses enfouies au plus profond de ces êtres écrasés de frustration spirituelle viendront enfin à la lumière, au sommet de ce plateau zébré des éclairs de l'orage et frôlé par les planètes si proches. Quête dérisoire autant que tragique : la voiture qui emmène les personnages vers leur destin porte l'immatriculation DEATH 666.
Par-delà cette trame qui, somme toute, s'inscrit dans la tradition de la révolte rimbaldienne, la grande qualité de BPM Odyssée réside surtout dans les choix esthétiques de sa formule multimédia. Poésie sans frontières linguistiques, graphismes éclatés et savantes musiques électroniques s'unissent en une puissante synergie. Dans le concept de Hervé Guillen, les mots souples et insaisissables de Marco se mêlent au design de SH, aux dessins de Paulin Kim, aux couleurs grises-amères de Witkovitch et aux accords transcendentaux de Guss, en une synesthésie qui nous entraîne à mille lieues des « produits » commerciaux promus à grand renfort de teasing. Le fin du fin en matière de cyber-culture : ce mode d'expression fusionnelle oscille entre la netteté du trait et des perceptions plus floues, plus lointaines, presque subliminales, qui ne sont pas les moins importantes dans cette immersion profonde au cœur de cavernes colorées de fresques, de mots et de sons.
Au total, cette œuvre est un superbe ovni et une incontestable réussite. Elle aurait sans doute gagné à être associée à une intrigue plus élaborée, mais on y sent bien l'enthousiasme novateur d'un groupe d'artistes dont on attend les prochaines réalisations avec un intérêt et un plaisir anticipés.
Notes : 1. Site : http://www.bpmodyssee.com
Robert Belmas nooSFere 10/04/2002
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