Publié pour la première fois en 1979, cet album peut être considéré comme un classique de la bande dessinée de science-fiction. Il aborde un thème majeur de la SF, encore plus d'actualité en ce début de millénaire où le clonage paraît à notre portée qu'il y a 20 ans : qu'est-ce que l'humain ?
En superficie, l'histoire est simple. Proche de la mort, le concepteur des androïdes de combat que l'on appelle les « exterminateurs » s'aperçoit qu'il existe encore un exemplaire de la première génération qui a fonctionné, la dix-septième. Cet androïde est le dernier a avoir reçu les propres cellules de leur créateur. Lorsque ce dernier meurt, son esprit est projeté dans l'androïde qui va désormais combattre pour obtenir aux androïdes le droit de disposer d'eux-mêmes...
Très elliptique, le récit va droit à l'essentiel. En quelques images, le lecteur perçoit le parcours du maître des androïdes : les échecs des seize premiers modèles, la joie du jeune scientifique face au succès du n°17, l'heure de gloire, puis le vieillissement, le doute, l'interrogation sur le sens de la vie, qui aboutit au choc lorsqu'il retrouve un n°17 survivant, une image rajeunie de lui-même, une sorte de fils non seulement spirituel mais aussi en partie charnel. Trois planches seulement ont suffi aux auteurs pour nous faire saisir ce drame. C'est sans doute cet aspect lacunaire du récit qui autorise de multiples interprétations. Il est par exemple tentant d'en faire une lecture « religieuse ». En effet, le transfert de personnalité du maître dans un androïde n'est pas vraiment rationalisé — un lien spirituel unit-il les cellules clonées à leurs propriétaires d'origine ? Ce transfert constitue un élément fantastique qui confère au récit une dimension mystique : le Maître des androïdes peut se voir comme une sorte de dieu, un créateur qui dispose du droit de vie et de mort sur ses créatures ; en s'incarnant dans l'une d'entre elles, le dieu s'incarne en quelque sorte dans son propre fils — son clone. Il devient alors une sorte de messie qui vient défendre la liberté et le libre-arbitre. L'histoire de la rédemption du maître des androïdes offrirait-elle quelques parallèles avec l'itinéraire d'un certain Jésus ? La morale ne se borne pas à constater que les androïdes sont aussi des êtres humains qui souffrent. Elle modifie les perspectives en soutenant un apparent paradoxe : l'androïde étant une créature purement spirituelle, puisque conçue par l'esprit de l'homme, il est plus pur, en quelque sorte affranchi du péché originel qui s'attache à la chair de l'homme.
Bref, ce « one shot » demeure toujours aussi fascinant, aussi bien dans son propos — scénario de Jean-Pierre Dionnet, l'un des fondateurs de Métal Hurlant et gourou du Cinéma de quartier — que par le dessin de Bilal, qui bénéficie ici d'une nouvelle mise en couleurs. Indispensable.
Pascal Patoz nooSFere 01/06/2002
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