En un autre temps, un autre lieu ( ?), existe le peuple des Amazones. Ces farouches guerrières traquent sans relâche les Reclus, des hommes qu'elles considèrent à la fois comme des esclaves et des bêtes sauvages. Mais l'une d'entre elles, Oona, est lasse du sang et tombe amoureuse de Jida, un Reclus rebelle. De cette relation coupable naît un enfant qui doit être sacrifié parce qu'il est de sexe mâle. Les prêtresses ignorent que son jumeau va être soustrait à leur colère... La jungle des Amazones connaît aussi la fureur de conquistadors descendus d'une étrange machine, un vaisseau spatial venue d'une planète lointaine, qui va un temps accueillir Oona en son sein... Cette machine est retrouvée de nos jours et étudiée par des scientifiques, qui désignent par « Alpha Locus » ce que les Amazones nomment « l'Antre du Dieu Jaguar » et les Reclus « la Mère des douleurs ». Autour d'elle, la lutte entre ces deux peuples se poursuit. Jida a tout oublié de son passé mais il va retrouver Oona. Mais comment peuvent-ils être encore vivants à notre époque ? Sont-ils immortels ? S'agit-il d'esprits réincarnés ? Ont-ils voyagé dans le temps ou dans l'espace ?
Les récits parallèles et alternés des deux univers sèment quelque peu la confusion chez le lecteur. Mais pas de panique, Dufaux nous a habitué à des scénarios particulièrement tortueux et il ne fait pas de doute que tout s'expliquera dans le troisième et dernier tome de cette série, d'emblée annoncée comme une trilogie. Déjà, ce deuxième album clarifie un certain nombre des éléments découverts dans le précédent : les pièces du puzzle se mettent peu à peu en place autour de cette fameuse machine, le vaisseau spatial qui a conduit les conquistadors dans ce que l'on suppose être le passé de notre monde.
Il reste bien des incertitudes et des questions, mais c'est évidemment ce qui fait tout l'intérêt de cette histoire où, comme à son habitude, Dufaux mêle l'Histoire au fantastique et à la science-fiction, de manière très originale — voir par exemple l'Impératrice Rouge dessinée par Adamov, très librement inspirée de la Russie de la Grande Catherine. Inutile d'essayer de rationaliser ses histoires de façon à les intégrer à notre univers : dans ce dernier, il serait hautement improbable que de réels conquistadors nommé Hernan Cortes et Diego Velasquez soient envoyés par la reine chrétienne d'un empire interstellaire ! Non, il s'agit bien d'un univers propre à Dufaux, qui s'octroie le droit d'y revisiter l'Histoire au gré de sa fantaisie.
Jan Bosschaert est un dessinateur flamand mais aussi un peintre de toiles érotiques. La grâce et la sensualité de son graphisme se révèle dès les couvertures : finesse des formes, des attitudes, des jeux d'ombres et de lumières. Il excelle autant dans les scènes contemporaines — en particulier les scènes de combat dont l'esthétique évoque Matrix — que dans la représentation d'un vaisseau spatial aux formes originales (une sorte de coquillage-insecte) ou celle d'une forêt primitive et sauvage. Les couleurs pâles, des verts, des bleus, des ocres blafards, accentuent l'impression de malaise que distille le récit.
Malgré ses qualités, cette série ne s'adresse sans doute pas à un large public. Certains lecteurs seront probablement déroutés par la non-linéarité du récit, par sa volontaire confusion initiale. D'autres le seront peut-être par cette exploitation d'éléments historiques réinsérés sans lien logique avec notre propre univers. Ils pourront même se montrer violemment allergiques à ce qu'ils considèreront comme un amalgame inutilement embrouillé, abscons et prétentieux. Mais même si elle ne sera pas du goût de tous, la réussite est indéniable. Le scénario est ambitieux, complexe et original, le dessin superbe et personnel... Bref : un régal pour les lecteurs qui accepteront de jouer le jeu et de suivre Dufaux dans les méandres tourmentés de son imaginaire !
Martine Lavogez nooSFere 08/11/2002
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