Un village loin de tout, où le bistrot et l'alcool sont les seuls refuges contre l'ennui qui mine les âmes. Parce qu'un homme a été tué avec sauvagerie — peut-être par l'un de ces loups que l'on a récemment réintroduit dans la région — , l'inspecteur Tarpon, cinquantenaire fatigué et désabusé, est dépêché sur place. Il compte classer l'affaire pour rentrer rapidement chez lui, mais une tempête de neige bloque brusquement les accès pour plusieurs jours, tandis que d'autres meurtres surviennent, apparemment commis par une créature de trois mètres pourvues de griffes de vingt centimètres !
L'intrigue de La Bête est très classique et même convenue. L'atmosphère pesante d'un village reclus, le huis clos forcé, le policier dépressif, le climat de peur et de superstition... sont autant d'ingrédients bien connus des amateurs de polar d'ambiance fantastique. Les lecteurs comprendront immédiatement que les loups ne sont pour rien dans l'affaire et qu'il faut plus certainement chercher le mobile de cette série de crimes dans le passé du village. Bref, le dénouement ne surprendra personne, pas même le coup de théâtre à l'américaine quant à la nature du criminel...
Malgré cela, la lecture de La Bête est passionnante ! D'abord parce que dans « roman graphique », il y a le mot « graphique » et qu'ici l'apport de l'image est essentiel. Il suffit d'admirer les cinq premières planches — la simple poursuite d'un lièvre par un loup — pour être totalement conquis par la puissance tragique de ce superbe noir et blanc, alors même que le récit n'a pas encore commencé : peu importe que l'histoire ait un air de déjà vu, c'est évidemment la vision de Chabouté qui en fait tout l'intérêt. Sa vision mais aussi son habileté narrative, qui fonctionne à merveille. Tant pis pour l'originalité, on marche à fond, on s'intrigue, on s'inquiète, on suspecte... Captivant, l'album se lit avec d'autant plus de plaisir que les personnages sont attachants et leur progression émouvante.
Même si l'on aimerait que Chabouté mette son talent au service d'histoires plus personnelles, La Bête est donc un album-roman réussi qui prouve encore une fois que le talent permet de revisiter agréablement des places déjà arpentées.
Pascal Patoz nooSFere 15/09/2002
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