Il est grand comme un ours, a une peau tantôt blanchâtre comme du lait d'ânesse, tantôt jaunâtre comme de l'urine. Il a deux dents qui crachent de la fumée, et des yeux tout à fait humains. Il a la queue d'un petit chien. Il a les pattes griffues. Et c'est avec ces pattes qu'il attrape ceux qui l'approchent, et celui qui se fait attraper meurt sans espoir de salut.

     Le prosopopus est qualifié en langue grecque d'anthropophage, car la plupart du temps il tue les hommes et les mange. Mais il mange aussi le lait fermenté en grandes quantités.

     Récit étrange et pénétrant, entièrement muet, Prosopopus nous révèle un monde d'où, à son image, brutal, sans pitié et grotesque dans sa démesure, jaillit un monstre moderne.

     Avec cette œuvre éblouissante, qui ne ressemble à aucune autre, Nicolas de Crécy laisse dans nos cœurs, une fois le livre refermé, une empreinte indélébile.

     Un homme est assassiné en pleine ville, au milieu de gardes du corps impuissants à arrêter le meurtrier. Ce dernier s'échappe, satisfait mais légèrement blessé, puis retrouve une femme pour une nuit d'amour. De ces corps s'échappent des effluves de sang et de sperme qui donnent naissance au Prosopopus, un monstre aussi hideux qu'affectueux, aussi protecteur que destructeur...

     Tout comme ces effluves, les histoires de plusieurs protagonistes vont se croiser, dans l'espace et dans le temps, en nous plongeant dans un cauchemar onirique et étouffant.

     Etrange ! Tel est le mot qui s'impose au lecteur en feuilletant ce superbe ouvrage, composé d'une succession de petits tableaux qui s'éloignent des habituelles cases, rehaussés par les magnifiques couleurs de Nicolas de Crécy.

     Cette bande dessinée sans bulle, entièrement muette, débute par un long éditorial signé Laetitia Bianchi qui nous présente, avec l'appui de moult références, cette créature mythique et ancestrale qu'est le Prosopopus. Il nous plonge directement dans l'ambiance globalement tourmentée et sombre du scénario, une histoire complexe arbitrée par ce fameux monstre grotesque mangeur de yogourt, un cauchemar morbide enduré par le meurtrier, un délire hallucinant dont on aimerait sortir sans pour autant y arriver....

     De façon incroyable, les scènes s'enchaînent parfaitement, bien que le scénario intègre de fréquents flashes-back qui structurent l'intrigue sans un seul mot d'explication. Une prouesse !

     Etrange ? Oui, décidément le mot convient...