Paris, fin XIXème ou début XXème. Au cours d'une séance de spiritisme chez la mystérieuse comtesse Eva Sokorowska, un étrange malaise frappe le jeune Léopold de Gygès... Le lendemain, il se découvre hanté par un aimable fantôme : celui de Thomas de Lancret, né en 1498 et écuyer de François Premier. Si Léopold tente d'abord de se débarrasser de cet encombrant compagnon, un duel va l'obliger à accepter sa présence puis son aide, car Thomas se montre beaucoup plus compétent que lui quand il s'agit de se battre... Mais, après ce duel et quelques autres batifolages qui vont assurer à Léopold une toute nouvelle réputation de héros, nos deux compères vont découvrir que leur « rencontre » n'est pas le fruit du hasard... Ils ont été réunis pour combattre une autre entité double, un « janus » à deux visages, similaire à ce qu'ils sont devenus, mais en beaucoup plus maléfique...
Ce conte fantastique pourrait être très sombre, mais les auteurs en ont fait au contraire un lumineux récit d'aventures rocambolesques. Notre double héros se bat en duel, fréquente les bordels comme les salons mondains, joue les voleurs masqués bondissant sur les toits de Paris, réinvente le parachute, etc. Bref, les péripéties sont nombreuses, mais jamais gratuites, toujours dans la logique du récit principal. Rythmé et bourré d'action, c'est un hommage aux romans-feuilletons et surtout un véritable régal de lecture, d'autant plus que l'humour y est aussi très présent. Un humour qui transparaît notamment dans les délectables dialogues de ce couple de héros mal assortis et pourtant complémentaires : Léopold est insouciant, mollasson et plutôt lâche, très loin du héros qu'il est censé devenir, tandis que Thomas a le sens de l'honneur qui était en vogue à son époque, la joyeuse vitalité d'un homme qui a passé 400 années dans les limbes et l'extrême agilité que lui confère son état de fantôme. Pour autant, la partie sombre du récit n'en perd pas sa force. Le second janus est trouble à souhait, avec un côté séducteur qui augmente sa dangerosité, et les souvenirs de son itinéraire oriental forment un intéressant récit parallèle que l'on pourrait souhaiter plus étoffé.
A l'image du scénario, le dessin fait preuve d'une élégance qui convient parfaitement à l'époque mise en scène, ainsi que d'un grand dynamisme et d'une séduisante expressivité : les mimiques des personnages ajoutent beaucoup à l'humour de l'ensemble, tandis que le personnage du méchant demeure tout à fait inquiétant.
Bref, scénario et dessin ont réussi à maintenir un parfait équilibre entre l'aspect fantastique plutôt sérieux, voire terrifiant, et le côté aventures feuilletonesques enjouées et débridées. Voilà une belle réussite, à lire sans attendre, car ce premier tome est déjà si dense qu'il pourrait se suffire à lui-même, comme un one shot dont la fin demeurerait ouverte. On attend néanmoins la suite avec impatience, car les auteurs ont manifestement d'autres projets pour le janus Léopold/Thomas, sympathique super-héros à demi-mortel.
Pascal Patoz nooSFere 08/07/2003
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